Production n Le paysage livresque, loin de s'effriter et de tomber en désuétude, se voit gratifié, depuis quelques années, de parutions nouvelles qu'il nous est tout à fait loisible aujourd'hui de lire. Des romans pathétiques aux fictions pittoresques, les mots de nos auteurs empruntent à la réalité sociale une actualité souvent abrupte. Après son premier roman Les trois doigts de la main, Slimane Aït Sidhoum nous revient avec un nouveau roman La Faille*. Une fiction par trop allégorique qui sait se jouer des images cocasses contraires aux expressions idiomatiques. L'ironie exacerbée de notre auteur dispute au verbe cru un humour souvent mordant. Avec une plume acérée, le vécu dramatique de ses personnages souvent atypiques, la fiction au mouvement narratif, fragmenté, nous relate la catastrophe naturelle du 21 mai 2003 qui a profondément ébranlé la région de Boumerdès et ses environs. Mais qu'on ne s'y trompe pas : l'auteur signe avec un titre aussi évocateur un ouvrage dont la trame romanesque aux accents certes réalistes donne toute sa verve créatrice à une écriture alambiquée qui touche du doigt la faille superficielle pour atteindre, en réalité, un événement tragique autrement plus profond. En lisant d'un trait ce roman, on se retrouve coincé entre deux espaces temporels : le temps figé des personnages que le séisme frappe de plein fouet et celui d'un narrateur aux prises avec une passion amoureuse dont l'histoire s'intensifie au fur et à mesure qu'elle se calque sur une société secouée elle-même par les effets dévastateurs de la destruction, de la mort insoutenable. Une société nivelée de l'intérieur par le terrorisme intégriste, mais aussi par la perte instantanée des valeurs humaines dans un désordre apocalyptique qui se moque bien des victimes et se joue des drames intérieurs avec une rare théâtralité : «Un tel spectacle me rebutait. Alger de toutes les splendeurs, Alger et ses façades blanches, Alger qui cache ses sculptures de maîtres sous ses balcons, Alger qui se penche enivrée par l'air pour y tremper ses terrasses dans la grande bleue et leur donner un goût iodé mériterait un meilleur sort» (p17), s'exclame le narrateur dès les premières pages du roman. Le ton mordant du livre raille en fait la réalité éprouvante pour donner ensuite libre cours à des échappées lyriques, avec une note froide, grinçante. Les personnages et la fiction s'entremêlent pour décrire les maux sociaux dans leur horreur, les classes sociales et leur arrivisme. Le texte arrive à hiérarchiser le sentiment de peur dans les cœurs. Le narrateur tente de nous raconter une vérité pas toujours bonne à dire : la corruption des couches sociales sur un ton corrosif. Ce n'est que lorsque la trame du récit prend ses allures de romance à deux voix — ici le remarquable glissement des personnages masculin et féminin. «Rania» la femme aimée s'approprie le «je» du narrateur pour se raconter. Femme adultérine, fugue, énigmatique, cultivée, mais surtout corrompue comme son mari, elle n'aura de cesse d'ensorceler le «journaliste sans bac», comme l'écrit l'auteur. Cet amour coupable est pourtant conciliable parce que les protagonistes du roman sont trop différents. Cette passion secrète s'évanouit dans les rues de Paris et finit dans le petit village de Sidi M'lih où le narrateur retrouve sa douce épouse Mina. Il y a dans ce roman de Slimane Aït Sidhoum, une plume qui fouille dans des références culturelles. Comme ce clin d'œil de l'auteur à l'essayiste tchèque Milan Kundera, ce Robespierre qui le nargue ou encore cette statue de Danton l'homme politique français fervent orateur du XVIIIe siècle. La Faille est une fiction qui se cherche une issue heureuse dans l'esprit d'une dénonciation forte en symboles et en sensations multiples. (*) La Faille, Slimane Aït Sidhoum, Editions Chihab, Alger, 2005, 144 p.