Photo : M. Hacène De notre correspondant à Béjaïa Kamel Amghar En guise d'explication à l'extrême violence juvénile qui a récemment secoué plusieurs régions du pays, on était nombreux à mettre l'accent sur la détresse, le spleen et le désœuvrement de cette frange sensible de la société. Outre les problèmes de chômage et de mal-vie, les analystes ont souligné la médiocrité de la prise en charge des besoins culturels et sportifs de la jeunesse. Le manque de loisirs, la scolarité perturbée, le désintérêt de la famille, l'influence négative de la rue et des médias étrangers sont cités comme autant de facteurs aggravant le pessimisme endémique des générations montantes. Ne dit-on pas souvent que la musique adoucit les mœurs ? Les infrastructures culturelles et les établissements de jeunesse, auxquels l'Etat accorde un intérêt particulier, existent pourtant dans la quasi-totalité des communes à travers le pays. Mais ce patrimoine, généralement confié à des bureaucrates sans réelle vocation, ne répond plus aux attentes des principaux intéressés. Pour prendre l'exemple de la wilaya de Béjaïa, on trouve dans chaque localité un centre culturel, une bibliothèque municipale, une salle omnisports, un terrain de proximité ou une maison de jeunes. Dans les grands centres urbains, on a même droit à des salles de cinéma, des piscines, des stades multisports et des auberges de jeunes. Dans la pratique, toutes ces acquisitions sont paralysées faute d'initiatives. Ainsi, des dizaines de centres culturels restent quasiment fermés à longueur d'année. Dans toutes les localités, ces bâtiments prétendument culturels ne servent pratiquement à rien si ce n'est pour abriter des campagnes électorales et des activités assimilées. La réouverture des salles de cinéma, fermées au début des années 1990, nécessite aujourd'hui de profondes réfections et le renouvellement du matériel de projection devenu obsolète. Au niveau des maisons de jeunes, l'activité se résume dans la plupart des cas au club Internet et à la cafétéria. Autrefois, des excursions, des activités de loisir, des tournois sportifs, des cours d'initiation à la peinture, à la musique, au théâtre et à la photographie y étaient proposés aux jeunes à des tarifs symboliques. On pourrait en dire autant des aires de jeux et des salles omnisports. En l'absence d'une réelle dynamique associative, l'infrastructure sportive existante ne sert pas tellement les jeunes. Même quand cet élan associatif se manifeste, les régisseurs de ces espaces fixent des règles et imposent des conditions dissuasives. Dans une petite commune de l'arrière-pays, le directeur d'un complexe sportif de proximité refuse toujours au club local de volley-ball d'utiliser la salle sous prétexte que cela «risque d'endommager le tapis». Seules quelques adhérentes d'un anonyme club d'aérobic en profitent pour y danser. Suprême aberration : sollicité pour arbitrer ce différend, le DJS approuve la décision du fonctionnaire et déboute l'association. Des lacunes et des ratés de gestion caractérisent aussi la mise en service des bibliothèques communales. La dotation régulière de ces établissements en ouvrages récents n'est pas souvent garantie. Gérés par des fonctionnaires sans réelle connaissance dans le domaine, ces espaces ne créent pas d'événements périodiques pour vulgariser leurs activités et fidéliser leurs abonnés. Illustration : la bibliothèque municipale de la ville de Béjaïa renferme un important fonds documentaire de 53 163 ouvrages. Cependant, elle ne totalise que 462 lecteurs sur une population de 150 195 âmes. Des ventes-dédicaces, des journées thématiques, des rencontres avec des spécialistes ou de petits concours destinés à la jeunesse sont autant d'initiatives susceptibles d'élargir le cercle des amateurs des belles lettres et des lecteurs de manière générale. En somme, il y a manifestement un sérieux déficit en matière d'encadrement. Doté en moyens et confié à des animateurs compétents, un tel patrimoine aurait certainement bénéficié aux élèves et à la jeunesse de manière générale. Construire des infrastructures aux jeunes est incontestablement une très bonne chose. Mais cela ne suffit pas, il faut aussi veiller à ce qu'elles soient réellement fonctionnelles pour remplir convenablement leurs missions. Tout le problème est à ce niveau.