Entretien réalisé par notre envoyé spécial à Cannes H. Mohamed Alors que nos cinéastes se dispersent et se perdent dans l'opacité de la nouvelle loi sur le cinéma, des réalisateurs tunisiens font entendre leur voix et tentent de s'unir à partir de Cannes. Rétrospective depuis le pavillon des cinémas du monde où une grande table ronde a réuni cette année une pléiade de cinéastes d'Egypte, de Tunisie et même d'Iran en l'absence notable d'Algériens. Le thème de la conférence était axé, rappelons-le, sur le «Printemps des peuples et le renouveau du cinéma du monde arabe». Les pays arabes s'étaient réellement donné rendez-vous ce jour-là en faisant entendre haut et fort leur voix. La révolution arabe avait réellement fait sensation à Cannes. On n'oubliera pas cette image du drapeau tunisien flottant la nuit sur la Croisette. Fier de son nouveau pays, c'est le cinéaste de Plus jamais peur, Mourad Ben Cheikh, qui l'a porté en ce mois de mai 2011. Voici un échantillon des communications des invités tunisiens lors de cette table ronde, de la plus sobre, dirions-nous, à la plus radicale. Amine Cheboub, vice-président de l'Association des cinéastes tunisiens : «Nous sommes ouver ts à toute proposition de coopération» «En ce qui concerne le cinéma tunisien, nous étions moins lotis que nos frères égyptiens qui ont une industrie du cinéma. Nous, en Tunisie, nous avons en moyenne deux à trois longs-métrages par an. Et encore, ce n'est pas chaque année». C'est vrai que pour le court-métrage, il y en a de plus en plus et on a vu l'émergence de jeunes réalisateurs très prometteurs qui seront, sans conteste, la relève du cinéma de demain. Je suis très fier d'eux, nous allons vraiment changer l'image cinématographique de la Tunisie. Nous sommes en train de nous organiser en Tunisie à travers des associations de cinéastes, de syndicats des producteurs, aussi de l'association de réalisateurs de films afin de nous unir et parler d'une même voix pour réformer le cinéma tunisien, et partant, tenter de d'obtenir un CNC tunisien pour faire en sorte que les films tunisiens se financent par eux-mêmes et non par un ministère de la Culture. Ce dernier, malheureusement, ne donne pas assez et pas à tout le monde. De ce fait, nous sommes souvent obligés de courir après des fonds européens qu'on a très rarement mais qu'on a malgré tout. Je tiens, d'ailleurs, à remercier l'Europe qui a été présente pour notre cinéma, parfois même plus souvent que la Tunisie elle-même pour qui la culture passait au second, voire au troisième plan. Concernant l'avenir de notre pays, je suis confiant. Nous avons une société qui a conscience de l'importance de réussir cette révolution et nous allons réussir à faire de cette Tunisie la Tunisie dont on a toujours rêvé. Je pense sincèrement que nous allons y arriver. Nous sommes ouverts à toute proposition de coopération pour venir en Tunisie créer des événements, des liens entre nos associations et nos institutions.» Nadia El Fani, réalisatrice : «C'est toujours le moment de parler de liberté…» «Je lance un appel à tous les intellectuels. Je demande depuis deus semaines qu'il y ait des prises de position politiques claires en Tunisie. Si je suis attaquée sur un problème de liberté de conscience, c'est parce que j'ai déclaré que je ne crois pas en Dieu. Aujourd'hui, apparemment, il y a des groupes en Tunisie qui refusent qu'on puisse dire cela dans ce pays. Je sais que c'est un tabou énorme en Islam de dire que je suis athée. Je l'ai fait en toute conscience même si certains n y voient que de la provocation. Ce n'est pas que de la provocation, même si c'est un acte provocateur qui peut servir à installer un débat. C'est évident. Je sais ce que je fais. J'ai ce film qui s'appelle Ni Allah ni maître pour ça, car j'estime qu'il est temps que tous les intellectuels arabes – artistes, politiques, et associations arabes, même toute la société civile – prennent position par rapport à cela. Il y a croyance ou non-croyance. Il y a un débat énorme à soulever dans nos sociétés. Qu'on ne me dise pas que ce n'est pas le bon moment. Parce que c'est toujours le moment de parler de liberté. Je ne vois pas pourquoi, après une révolution, ce ne serait pas le moment de dire «je revendique le droit à la liberté de conscience». Parce qu'à mon sens, il a toujours existé de façon discrète. Je ne vois pas pourquoi on n'aurait pas le droit de prononcer ces mots-là. C'est un véritable enjeu qui se soulève aujourd'hui en Tunisie, car il va y avoir des élections. Contrairement à l'Egypte, nous, nous avons arraché une Assemblée constituante. C'est un très bon point mais tout l'avenir de la Tunisie va se jouer là. Si nous continuons sur le chemin de la modernité, nous aurons fait un vrai pas et une vraie révolution. Je ne pense pas que la modernité puisse faire l'impasse sur la première liberté qu'est la liberté de conscience. C'est aussi une vraie façon de contrer les islamistes. Si nous arrachons une société qui va se doter d'une Constitution laïque, c'est fini, le combat islamiste est mort. S'ils sont aussi virulents envers des gens comme moi, Nouri Bouzid ou d'autres intellectuels, nous aurons gagné, ils ne pourront plus rien faire après. Face à ce silence qui devient vraiment assourdissant, il faut vraiment prendre positon et obliger les partis politiques à se positionner par rapport à cela.