Beaucoup de familles algériennes attendent le mois de Ramadhan pour la circoncision de leurs enfants et particulièrement le 27ème jour du mois, Leilat el kedr, pour toute la baraka qu'on lui prête. Mais sous le prétexte de l'accomplissement d'un devoir religieux, des dépassements ont lieu chaque jour. Souvent, ces circoncisions de masse sont organisées par différentes associations de bienfaisance, associations politiques et Assemblées populaires communales (APC) avec tout ce que cela suppose comme risques tant infectieux que traumatiques et psychologiques. Le scandale des enfants circoncis et mutilés d'El Khroub, à Constantine est encore dans les mémoires. Pour mettre un terme à ces mutilations et ces accidents, une circulaire ministérielle datant du 5 juin 2006 est venue organiser la pratique des circoncisions. Mais, malgré cette instruction limitant la circoncision aux seules structures chirurgicales et aux seuls chirurgiens, malgré le scandale d'El Khroub, les circoncisions collectives réalisées dans la précipitation et l'anarchie continuent, faisant des victimes parmi les enfants. Dans certains hôpitaux, l'administration ignore les règles et donne son accord pour la circoncision de dizaines d'enfants le même jour sans que ces derniers soient examinés au préalable. Les salles du bloc opératoire se voient envahies par des citoyens, sans qu'aucune notion d'asepsie ni condition d'hygiène ne soit respectée. Et souvent, lorsque le service est dépassé vu le nombre élevé d'enfants, on fait appel à de simples médecins et non à des chirurgiens pour pratiquer ces circoncisions. C'est dire que les mauvaises habitudes ont la peau dure, en dépit de cette circulaire et malgré le danger des circoncisions de masse, on continue de faire fi de cette mesure, mettant en péril la vie des enfants. Les spécialistes tirent la sonnette d'alarme. Ce geste chirurgical d'apparence simple et anodin peut se transformer en drame. Beaucoup d'enfants victimes d'erreurs et d'accidents lors de circoncisions sont pris en charge par le professeur Djaafar Hantala, chef du service de chirurgie pédiatrique depuis 1990. Il est de ceux qui prennent leur métier à cœur. Nous l'avons rencontré au CHU de Beni Messous, toujours disponible, ne perdant pas d'un iota son énergie et son sourire durant ce mois sacré, au chevet des enfants malades. Les risques des circoncisions de masse, il connaît bien. C'est lui qui a pris en charge les enfants mutilés d'El Khroub. Dans cette affaire, plusieurs enfants circoncis ont subi des sections de verge. Il a réussi avec son équipe à les sauver. Sur un total de 86 circoncis, 46 ont eu des brûlures totales, moyennes, ou partielles alors que 18 ont eu des brûlures profondes, et 9 ont nécessité des greffes de l'organe génital (trois d'entre eux avaient carrément perdu leur verge). Il y a lieu de rappeler que, suite à ce terrible accident, trois spécialistes se sont déplacés d'Alger, en l'occurrence le professeur Djaafar Hantala ainsi que les professeurs Ladjadj du CHU Mustapha, et Metiche de la clinique centrale. Le professeur Hantala rappelle les faits tragiques. «La circoncision de 86 enfants d'El Khroub âgés entre deux et quatre ans, s'est déroulée dans une école, en deux heures de temps, sans anesthésie et sans outil adéquat», s'indigne-t-il. Sitôt pris en charge à Alger, les enfants d'El Khroub ont pu être sauvés, grâce à une technique personnelle réalisée par le professeur Hantala et l'équipe de Beni Messous, en 2006. Selon le professeur Hantala, depuis la promulgation de la circulaire ministérielle, «nous avons deux à trois fois plus de circoncisions qui arrivent au CHU de Beni Messous». «On ne cessera jamais de le répéter, ces circoncisions de masse dans les écoles, les mosquées notamment, présentent beaucoup de risques», ajoute-t-il. Il est scandaleux de voir que, dans certains cas, ces circoncisions collectives sont pratiquées de façon purement anarchique, dans des écoles, des mosquées, par des personnes qui n'avaient jamais pratiqué la circoncision, sans gant, ni matériel, pas même d'anesthésie. Par ailleurs, souligne notre interlocuteur, en plus du danger des circoncisions de masse, de nombreuses erreurs et accidents sont constatés, dus notamment à une mauvaise technique, à l'absence de bonnes conditions et d'hygiène, rappelant que l'utilisation du bistouri électrique, qui a causé pas mal de brûlures, est à bannir. Le professeur Hantala ne manque pas d'insister fortement sur le fait que la pratique d'une circoncision doit impérativement répondre à un certain nombre de conditions. «D'abord, elle doit avoir lieu dans un lieu médicalisé, dans une clinique dotée d'une instrumentalisation adaptée et de matériel stérilisé pour éviter tout type d'accident.» Des cas isolés d'enfants victimes d'accident sont ainsi régulièrement relevés. Le petit Badreddine, un enfant de huit ans, a été victime d'une circoncision ratée à l'hôpital Meftah. Il a été aussitôt pris en charge au CHU de Beni Messous par le professeur Hantala. Badreddine est maintenant sauvé, grâce à une double greffe réalisée par le professeur. Sa mère raconte son calvaire. Inquiète de l'état de son enfant après sa circoncision, elle fera le tour des médecins, en vain. «Son état ne faisait que s'aggraver (enflement et infection) et cela ne faisait qu'augmenter mon inquiétude. J'ai décidé enfin de le ramener à Beni Messous. Ce n'est qu'une fois qu'il a été pris en charge que j'ai pu être soulagée», dit-elle. Il a été hospitalisé depuis le 9 août et le professeur Hantala a réussi à corriger l'anomalie en réalisant une double greffe. Autre cas survenu cette fois-ci à Mila, un accident dû à l'utilisation d'un produit non recommandé pour la circoncision. Par ailleurs, il y a à peine un mois, rappelle le professeur Hantala, un enfant est mort suite à sa circoncision dans un cabinet médical à Chlef. Cette structure ne disposait pas de conditions adéquates pour ce genre de pratique. Il faut savoir que cette technique n'est pas enseignée mais apprise sur le tas. A. B.