De notre correspondant au Canada Youcef Bendada L'auteur de cette sentence n'est autre que Joseph Stiglitz, (Nobel d'économie et l'un des créateurs de la nouvelle économie keynésienne) qui s'est exprimé en septembre dernier sur la crise financière et bancaire qui secoue la planète. Mais les heures sombres que vivent les financiers de Wall Street sont en train de s'étendre à l'ensemble du système mondial. Nul n'en sera épargné. Après l'Europe qui a réagi d'abord mollement et par la suite avec fermeté, voilà le Japon qui adopte un plan de relance de 115 milliards pour stimuler l'activité intérieure touchée par l'inflation et pour soutenir les entrepreneurs et les consommateurs. La Chine, qui possède quelques centaines de milliards de dollars en bons du Trésor américain, vit une déprime exceptionnelle à cause du ralentissement économique et d'une baisse des exportations. La Russie constate avec frayeur que les malheurs de la finance américaine contaminent sérieusement le système bancaire de l'Empire alors que les banques affrontent leur première crise de manque de liquidités, que même la Banque centrale n'arrive pas à résoudre malgré les mesures prises. La crise financière et bancaire au Canada La crise est vraiment inopportune pour le gouvernement conservateur de M. Harper qui voulait faire l'impasse sur la conjoncture en cette période de campagne électorale, mais il a été rattrapé par les effets de cette crise enfantée par le puissant voisin du Sud. Tout le monde sait que, lorsque l'économie américaine s'enrhume, la canadienne éternue fort ! Et pour cause : 85% des exportations canadiennes sont absorbées par les Etats-Unis, c'est dire qu'en matière de complémentarité (dépendance?) on ne peut mieux faire. En décidant de provoquer des élections anticipées du fait d'excellents indicateurs économiques et de performances réelles de l'ensemble de l'économie, dopée par les prix du pétrole de l'Alberta (oui, l'Alberta possède les plus grandes réserves du pétrole au monde… juste derrière l'Arabie saoudite), le Premier ministre, M. Harper, ne se doutait pas encore de l'ampleur de la crise qui s'annonçait à peine chez le voisin du Sud et qui ne tarderait pas à contaminer le Canada. La stratégie qui prévalait alors reposait sur la nécessité pour les Canadiens de devoir lui donner une majorité pour lui permettre de mener correctement sa politique économique, que le statut de gouvernement minoritaire en Chambre, ne lui permettait pas de réaliser. Mal lui en a pris, car l'ampleur de la crise a eu vite fait de s'installer au Canada et les gains électoraux qu'il espérait sont en train de s'évaporer, puisque les sondages le donnent en perte de terrain, surtout au Québec. Ce n'est que depuis le 10 octobre que les effets de la crise commencent à être reconnus officiellement. Et l'on parle déjà de récession, mot que personne ne voulait utiliser jusque-là et les économistes avouent que cette situation pourrait perdurer au-delà de mars 2009. Une semaine folle, folle, folle ! C'est une folle semaine que le monde de la finance vient de vivre avec une dégringolade vertigineuse des marchés boursiers qui ont joué avec les nerfs des banquiers et des politiques qui n'ont eu de cesse de renouveler leurs appels aux investisseurs à ne pas céder à la panique malgré le fait qu'ils assistent à l'effritement de leurs actions. Or, la panique est bien réelle si l'on se réfère aux offensives, maintenant concertées, des banques centrales, à l'image de celle de la zone euro, de la Banque d'Angleterre, de celles de Suède, de Chine et même de Suisse qui ont abaissé leur taux directeur. Plus encore, s'il n'y avait pas péril en la demeure, les ministres des Finances du G7 ne se seraient pas rencontrés à Washington pour concocter un plan commun dont les mesures annoncées samedi dernier soir devraient apaiser les craintes. Mais la semaine qui vient de s'écouler est vraiment à marquer à l'encre rouge car nous avons eu droit à un jeu de yoyo de la Bourse qui en a dérouté plus d'un. Un jour ça monte. Le lendemain ça descend. Alors que le cours de certaines actions d'entreprises aurait dû monter, c'est l'inverse qui s'est produit. Mais le plus inquiétant, c'est le prix du pétrole qui connaît une baisse vertigineuse, mouvement accompagné par la baisse historique du dollar canadien qui était, il y a moins d'un mois, à parité avec le dollar américain. Aujourd'hui, il ne représente plus que 86 cents américains. Comme si ce n'était pas assez, voilà que les prix des métaux sont en baisse et ce n'est rien avec la dégringolade des cours touchant toutes les places financières. C'est cette situation hors du commun qui a forcé le Premier ministre canadien à admettre enfin que quelque chose est en train de se passer dans son pays. Forcé d'admettre qu'il y a réellement une crise, malgré la solidité réelle et effective des banques canadiennes qui ne consentent du crédit (à la consommation ou à l'investissement) qu'à des conditions draconiennes, M. Harper a décidé d'agir, et l'économiste qu'il est passe en mode curatif. Son ministre des Finances, et juste avant d'entrer en réunion avec les autres ministres du G7, a annoncé un plan de 25 milliards de dollars destinés aux banques. Ainsi, pour faire face au manque de liquidités, voilà le gouvernement qui s'emploie à les fournir aux banques en rachetant les hypothèques non «intoxiquées», soit solvables, contrairement à ce qui s'est déroulé aux États-Unis. Ce procédé, s'il permet aux banques de souffler quelque peu, leur permettra de satisfaire les demandes des investisseurs et manufacturiers d'alimenter leur trésorerie et de faire fonctionner leurs usines… pour éviter les faillites et continuer à exporter vers les États-Unis. Ces derniers, et alors que les 700 milliards tardent à être mis en place, voient le raffermissement de leur dollar coïncider avec les difficultés majeures du secteur de l'automobile puisque GM, Ford et Chrysler se préparent à se mettre sous la protection de la loi sur la faillite pour échapper momentanément à leurs créanciers du fait de la difficulté qu'ils éprouvent à financer leurs activités. Quelle spirale ! Nous voilà dans une situation où, après le déversement sur le marché de milliers de milliards de dollars, nous sommes confrontés à une rareté sans précédent de liquidités. Cette rétention du crédit est bien compréhensible car le manque de confiance est là et n'est pas près de disparaître. La confiance ne règne plus. Dans ces économies où le maître mot était «laissez faire», il y a comme quelque chose qui ne va plus. D'ailleurs, les interventions répétées des banques centrales n'y suffisent plus. Les gouvernements s'y mettent. Exit Adam Smith, J. M Keynes est de retour ! Qui l'aurait cru ? Voilà des voix qui s'élèvent pour vendre l'idée d'un retour à l'intervention des gouvernements dans cette tourmente qui n'en finit pas. Les dégâts causés par le «laissez faire» des capitalistes incitent à un retour à plus de présence de l'Etat et plus d'interventions dans la sphère économique des pouvoirs publics pour stopper l'hémorragie et les effets désastreux d'une politique du libre marché qui a permis à des institutions et des capitalistes d'être à l'origine de cette crise. Et voilà que la théorie de Keynes revient hanter les gouvernements en ces temps où il devient urgent de trouver des solutions à une crise que le milliardaire Warren Buffet assimile à un «Pearl Harbour économique». Mais les annonces d'apaisement restent insuffisantes pour dissiper les craintes et les discours commencent à prendre un virage de 180 degrés pour vanter les mérites du déficit et briser le tabou qui entoure cet outil qui a tant servi pour la relance économique dans l'entre-deux guerres. Nous sommes en plein retournement de la situation : Keynes, cet économiste décédé en 1946, avait énoncé une théorie qui battait en brèche l'analyse classique traditionnelle et préconisait la nécessité de l'intervention publique. Ce n'est ni plus ni moins qu'un appel aux Etats pour qu'ils jouent un rôle régulateur sur les cycles économiques afin qu'ils injectent soit la richesse, sinon à créer des déficits pour relancer les économies en panne. En tout cas, les mesures annoncées à l'issue de la réunion des ministres du G7, si elles ne sont pas de nature à freiner, pour l'instant, la dégringolade vertigineuse des Bourses, ont montré la nécessité d'un front commun. Il faut croire que les économies occidentales ont compris que le temps des initiatives dispersées de chaque pays est désormais révolu, et qu'il faut faire place à la concertation. Mais les discours jusque-là n'ont que peu d'effet sur la crise que rien ne semble arrêter. Les banques manquent de liquidités, les investisseurs se plaignent déjà de la difficulté d'obtenir des crédits, la récession est là et bien installée en Amérique du Nord. La mondialisation aidant, les autres économies, épargnées pour le moment, seront bientôt atteintes de ce mal rampant. Alors, à ce moment-là, il sera bien difficile à «une chatte de retrouver ses petits». Déjà, le FMI, dans ses prévisions pour le Canada, réduit de 1 à 0,7% sa prévision de croissance en 2008. Pour 2009, ce taux est révisé à 1,2%. D'ores et déjà, nous pouvons dire que 2009 qui s'annonce sous de mauvais auspices, sera l'année de tous les dangers !