La reprise de l'économie mondiale risque d'être lente, alors qu'il faut déjà s'attendre à ce que d'autres crises ou d'autres bulles financières éclatent encore dans les années à venir. Tunis (Tunisie). De notre envoyé spécial C'est ce qu'a soutenu, en substance, le prix Nobel d'économie, l'économiste américain, Joseph E. Stiglitz, lors d'une conférence qu'il a tenue lundi dernier à Tunis, sous le thème de « L'après-crise financière : options pour l'Afrique ». Invité par le groupe de la Banque africaine de développement (BAD), Joseph Stiglitz, fidèle à ses idées, a surtout mis en avant l'impératif de veiller au « juste équilibre entre le marché et l'Etat ». La reprise économique aux USA, a-t-il assuré, « sera lente et nous ne devons pas croire que la crise ne va pas se reproduire après ». Le premier enseignement qu'il faut tirer de cette grande récession, estime le conférencier, est qu'« aucun pays n'est préservé de la crise et nous ne savons pas si les institutions et les politiques actuelles sont bonnes ». De l'avis du professeur Stiglitz, les pays en développement ont été surtout touchés par la crise à travers les exportations et les transferts des revenus, alors que les pays les plus intégrés à la finance mondiale ont été touchés de plein fouet. L'Asie, a-t-il souligné, a été également touchée par la crise du fait des conséquences de cette dernière sur le commerce extérieur, mais les pays asiatiques, à l'exemple de la Chine, n'ont pas vraiment connu la récession, selon ses dires. Et d'enchaîner : « Les pays ayant des excédents ont davantage résisté au choc, à l'inverse des USA qui connaissaient déjà un grand déficit structurel quand la crise a frappé. » « L'évolution de la dette aux USA, a-t-il souligné en ce sens, n'est pas soutenable et nous ne savons pas ce qui va se passer, mais on sait qu'il se passera quelque chose. » Aussi, a-t-il avancé : « Il y a eu moins de souffrances en Europe qu'aux USA, car ces derniers n'ont pas de filet de sécurité permettant d'aider la population. » En somme, rappellera Stiglitz : « L'histoire du capitalisme est marquée par les bulles financières et les crises ; et les notions de contagion et de partage des risques sont les deux faces d'une même médaille. » Aussi, lancera-t-il, les modèles économiques classiques sont erronés ; le capital a été mal alloué et les banques qui ne jouent pas leur rôle de base ont engendré des problèmes économiques et sociaux. Les innovations financières, soulignera-t-il au demeurant, ne sont pas toutes de bonnes idées, car elles n'ont pas toujours accru l'efficacité économique. « Et même si l'on ne peut pas être sûr des politiques à mener, a-t-il signifié, on peut tout de même être plus prudent, car quand le gouvernement peut intervenir pour juguler la crise, il peut aussi intervenir pour prévenir les risques de crise. » Au sujet du passage du G8 au G20, le professeur Stiglitz estime qu'il s'agit d'une évolution importante, bien qu'insuffisante, « car les pays riches ne peuvent gérer seuls », a-t-il annoncé. De même, selon ses dires, « le sommet de Copenhague sur le climat a été une occasion ratée pour faire face au problème du réchauffement climatique ». Et d'avertir en définitive que si à Wall Street on commence à se réjouir de la fin de la crise ; ailleurs, dans les milieux universitaires notamment, « l'on n'a pas le sentiment que c'est fini ». Profil « Un défenseur inlassable du développement et de l'Afrique. » C'est en ces termes que le président de la BAD, Donald Kaberuka, a tenu à présenter le célèbre prix Nobel d'économie, à l'ouverture de sa conférence à Tunis. Economiste américain connu et reconnu de par le monde, Joseph E. Stiglitz est en effet réputé pour être un fervent contestataire de l'ordre économique actuel. Lauréat du prix Nobel d'économie en 2001 pour ses analyses des « marchés avec asymétrie d'information », il est aujourd'hui professeur d'économie à Columbia University. De 1993 à 1995, il était membre du Conseil des conseillers économiques sous l'Administration Clinton, avant de devenir, par la suite, économiste en chef et premier vice-président de la Banque mondiale de 1997 à 2000. En 2008, il a présidé, à la demande du président français Nicolas Sarkozy, une commission sur la mesure de la performance économique et le progrès social, dont le rapport final remet en question l'impertinence du PIB par habitant comme indicateur de progrès social et de croissance. Il compte à son actif de nombreuses publications célèbres, dont Globalization and Its Discontents, traduit en 35 langues.