Elle est l'une des dernières femmes à s'accrocher à Nassah. Ce hameau aujourd'hui déserté par tous. Jusqu'au milieu des années soixante-dix, la déchra était encore habitée. Dès que Chéchar a été promu en Daïra, Chir a commencé à se vider, pour n'être qu'un souvenir hanté par les fantômes des Martyrs que Khalti Hafsia a connus. Ces Moudjahidine peuplent sa mémoire avec des détails extraordinaires sur leurs faits, leurs dires et leurs tenues vestimentaires. Elle disait à ce propos : «Ya memmi (oh mon fils), si tu me demandes ce que j'ai mangé la veille je ne saurais te le dire, mais la Révolution, je m'en souviens comme si ça s'est passé hier, de la première balle jusqu'aux youyous de l'Indépendance.» Hafsia Achi est veuve de chahid. Elle est née à Mechta Nassak est y vit à ce jour, même si elle a une maison avec son second mari à Chéchar. Elle est la mémoire vivante des sept ans et demi de la Guerre de Libération dans toute la région de Qabbou au sud de Chéchar, dans la wilaya de Khenchela. Elle a vu les siens mourir sous les balles coloniales et des harkis, qui ont fait autant de mal si ce n'est plus. Quand elle débite des souvenirs de guerre, elle n'omet aucun détail, sauf les dates précises, même si ses indications permettent de situer les événements, tant sa chronologie des faits est frappante. Khalti Hafsia soupire pour ponctuer ses récits, sans haine, sans amertume. «Ils (les soldats français, ndlr) ont fait ce qu'ils ont fait, nous avons fait ce que nous devions faire, aujourd'hui nous sommes libres», disait-elle. Khalti Hafsia est témoin du prix payé pour l'indépendance. Région aride, montagneuse, rocailleuse, enclavée, Qabbou était le refuge idéal des moudjahidine qui en ont fait une citadelle de la Révolution. Khalti Hafsia a accompagné son mari, Afroukh, comme l'appelaient affectueusement ses compagnons d'armes, jusqu'à son martyr en 1956 à Smardhas, cet autre haut lieu de la Révolution et de faits d'armes. Elle raconte qu'elle est restée terrée avec des Moudjahidine, des civils et des enfants, dans une grotte sombre pendant plus d'un mois. Quand elle a vu la lumière du jour, elle a failli perdre la vue. Khalti Hafsia parle rarement d'elle et de ses souffrances. Elle évoque surtout les souffrances des autres, le martyr de ceux qui ont mis l'Algérie au dessus de tout, les déplacements massifs des populations, la faim, le froid et le supplice des familles qui n'avaient plus personne pour les prendre en charge après le martyr des leurs. A soixante-quinze ans, sa mémoire est un miroir des sept ans et demi de l'épopée nationale, dans la région de Chéchar. A. G.