De notre envoyé spécial à Khenchela Abdelkrim Ghezali La wilaya de Khenchela est à cheval entre les Hauts Plateaux et ses plaines qui s'étendent à perte de vue au nord et l'Atlas saharien escarpé, accidenté, semi-désertique dans le sud. Si le printemps s'installe avec faste et couleurs dans ces plaines riches et dans la partie nord du massif des Aurès, au sud de la wilaya, c'est la désolation et la soif qui crevasse le sol et assèche les visages. Seul le barrage de Babar permet une note d'espoir chez les populations essaimées le long de la vallée de Oued Laarab de Khirane jusqu'à Loualja. Les lâchers des eaux de ce barrage sont attendus par les paysans comme une bénédiction, notamment en période de chaleur. Ailleurs, si le ciel s'assèche, la terre est comme pétrifiée par un soleil de plomb. Des projets de réalisation de cinq barrages ont été retenus au titre de l'exercice 2010 au bénéfice de la wilaya de Khenchela. Ces infrastructures hydrauliques devront renforcer, à terme, les capacités locales d'approvisionnement des populations en eau potable et étendre les superficies de terres agricoles irriguées dans plusieurs régions de la wilaya. Les travaux de construction du barrage de Taghrisset, prévu dans la région de Yabous, sont sur le point d'être lancés par l'entreprise nationale Cosider. L'étude technique estime à plus de 5 millions de mètres cubes la capacité de stockage de cet ouvrage hydraulique qui sera réalisé en 30 mois. D'un coût de 7,1 milliards de dinars, ce barrage fournira annuellement 2,5 millions de m3 à l'irrigation de périmètres agricoles dans les localités de Lemsara, Bouhmama, Chelia et Yabous. Il alimentera également, après la construction de stations de traitement et de pompage, les agglomérations de ces mêmes localités en eau potable. Deux autres barrages de capacités encore plus importantes font actuellement l'objet d'études de faisabilité pilotées par l'Agence nationale des barrages et transferts. Ces ouvrages sont prévus dans le sud de la wilaya de Khenchela, à Ouldja, pour une capacité de 57 millions de m3, et à Melagou, dans la région montagneuse du nord, pour une capacité de retenue de 50 millions de m3. Deux autres ouvrages, l'un à Rakhouche, près de Babar (10 millions de m3), et l'autre à Lazrag, près de Bouhmama, sont au stade de l'étude des caractéristiques des bassins hydrographiques. Si ces projets sont les bienvenus pour les populations et l'agriculture des régions bénéficiaires, rien n'est prévu dans le sud de la daïra de Chéchar dont le relief est pourtant favorable aux barrages, notamment à Oued Bni Balbar et Oued Tafassour, qui serpente le long de Nassah, passant par Chir Ali Ouathmane, Taglalet, Boussenanen, Taghzout, Aïn Yaghla, pour ne citer que ces localités, où des familles tentent de ressusciter, en vain, une agriculture vivrière, l'élevage et l'apiculture qui étaient les activités principales des aïeuls. Si Nassah est déserté c'est en raison de son enclavement et du manque d'eau. Pourtant, ses habitants d'origine, établis au chef-lieu de la daïra de Chéchar, ne désespèrent pas d'y revenir et de lui redonner vie, pour peu que les autorités de la wilaya de Khenchela et de la daïra de Chéchar cessent leur attitude méprisante à l'égard de cette zone, toujours interdite. Ce sont les autorités coloniales qui ont décrété Nassah zone interdite parce qu'elle était le fief des moudjahidine qui s'y rendaient, venant de toutes les régions du pays, pour s'y refugier et transiter avant de se rendre en Lybie ou en Tunisie. Nassah, avec son relief accidenté, était alors une zone connue et peuplée aussi bien par ses fils que par les moudjahidine. Depuis l'indépendance, Nassah n'a plus droit de cité. Il est oublié, y compris par les élus de Chéchar dont les querelles chroniques et les divisions légendaires sont la cause de blocage de l'APC et de ses activités. A moins de quatre kilomètres de Chir Ali Ouathmen passe pourtant une route nationale bitumée reliant Khenchela et Biskra. Une piste de fortune aménagée dans les années quatre-vingt-dix menant vers Nassah est devenue impraticable en raison du manque de tout entretien et de tout intérêt des autorités locales. D'ailleurs, un projet de bitumage de cette piste de quatre kilomètre a été inscrit dans l'exercice de l'actuel mandat du conseil communal qui, au-delà de son inaction, refuse de lancer les travaux de ce projet, estimant que Nassah est abandonné par ses habitants. Ces élus savent de fait que c'est l'enclavement entretenu qui a poussé la population à quitter ses terres et à les abandonner. Il ya deux ans, un forage a été réalisé à Chir Ali Ouathmen, ce qui a suscité beaucoup d'espoir chez les gens de cette mechta dont beaucoup avaient décidé de s'y établir, encouragés en cela par l'aide de construction rurale octroyée par l'Etat et par l'abondance de l'eau découverte. Cependant, l'APC de Chéchar a refusé de financer l'achat d'une pompe devant permettre à cette eau d'être exploitée pour étancher la soif des hommes, des bestiaux et de la terre. Ni la wilaya ni la daïra n'agissent pour faire bouger les choses. A Chéchar, tout stagne. Le chômage endémique sévit, poussant les jeunes diplômés et sans qualification à l'errance, à la drogue ou au banditisme. La ville de Chéchar est sans âme, sans charme. Ses rues défoncées ne bénéficient d'aucun entretien. Les élus se complaisent dans leurs querelles et ne s'intéressent aux populations que lorsque les échéances électorales approchent. Chéchar n'a qu'une seule fierté : ses martyrs qu'on invoque comme on invoque ses saints quand on est impuissant. Les martyrs de Chéchar avaient rêvé d'un avenir meilleur pour la région et pour leurs enfants. Reviendront-ils un jour pour insuffler un élan d'espoir et de renaissance à ce berceau de la révolution devenu un tombeau oublié. Avant de prendre les armes contre l'occupant, les sacrifiés de Nassah, comme ceux de toute la région de Chéchar, avaient sué pour arracher au sol aride ce qu'il était possible d'arracher pour faire vivre les leurs. Si les pionniers de ces hameaux aujourd'hui abandonnés s'y étaient établis depuis des millénaires, c'est parce qu'il y avait des raisons objectives et des possibilités d'y vivre. Les personnes âgées et les générations nées pendant la guerre de libération ont en mémoire les vergers verdoyants de Chir, de Tafassour, de Taghzoute, de Tibounchine et dans toutes ces parcelles de terres longeant l'oued aujourd'hui asséché. Pourtant, les moyens techniques et le savoir-faire existant permettent de rendre l'eau disponible et de donner vie au désert. Manifestement, c'est la volonté politique qui semble être plus aride que la nature.