La messe des élections législatives est dite et le rituel terminé. Les Algériens, et d'abord le personnel politique, ont le choix entre se barricader dans un fixisme récriminatoire qui ne changera rien aux résultats du scrutin du 10 mai ou se projeter dans un avenir qui s'accomplira avec ou sans les élections, régulières ou non. Bien sûr, il ne s'agira pas de faire comme si de rien n'était, si les irrégularités dont il est fait état étaient de nature à inverser les tendances essentielles telles qu'elles ressortent des chiffres communiqués par le ministre de l'Intérieur. Mais il y a déjà un premier chiffre faiblement contesté, celui de l'abstention, évaluée à 57,1%. Comme s'il n'était pas déjà suffisamment effarant par son ampleur, certaines voix ajoutent à la stupeur en avançant que le chiffre a été minoré. Nous voilà bien servis pour choisir un angle d'attaque, car un abstentionniste ou, mieux, une «voix abstentionniste» est toujours porteuse d'un message. En l'absence d'instruments reconnus d'évaluation et de mesure de l'opinion de l'électorat algérien, il peut paraître ardu de se livrer à un exercice de décryptage et de compréhension. Les émeutes et les grèves récurrentes, le chômage et la précarité sociale, les privilèges insolents, des lois à géométrie variable… toute une série d'indicateurs permettent néanmoins d'appréhender les causes globales d'un mécontentement qui peut se traduire par l'attitude tout à fait honorable et citoyenne de refuser de voter. Première leçon, donc, le nombre d'Algériens mécontents est trop élevé pour un pays qui n'a jamais disposé d'autant de richesses et de capacités financières. Même en le pondérant par une large soustraction de 30% de ceux qui ne votent pas par refus politique, le chiffre de 12 millions et demi d'abstentionnistes ne descend qu'à un peu moins de 9 millions d'électeurs. La comptabilisation des bulletins nuls (1, 668 million) donne un ordre de grandeur des suffrages exprimés pris en compte, aux alentours de 7,5 millions, soit moins du tiers des électeurs inscrits. Un chiffre qui doit donner sérieusement à réfléchir.Qu'en eût-il été si Bouteflika, himself, ne s'était pas transformé en VRP de ces élections, jetant tout son poids dans la campagne électorale à partir de Sétif notamment, à 4 jours du scrutin ? Pour la deuxième fois, après Arzew le 24 février dernier, il avait déployé tout son art oratoire fait de gravité et de résonance patriotique, en faveur de la participation pour contrer l'abstention. Les élections du 10 mai, reconnues comme correctes par les observateurs internationaux et les grandes capitales, étant un succès personnel pour le chef de l'Etat, il lui incombe maintenant le devoir de dire au peuple algérien –dont les abstentionnistes comment il va utiliser ce tremplin pour faire faire à l'Algérie un vrai bond qualitatif politique et économique. Il ne pouvait, en effet, rêver d'une meilleure Assemblée que celle qui sera installée dans les tout prochains jours. Son parti, le FLN, sera pratiquement seul maître à bord dans l'hémicycle avec un nombre de députés (228) qui frôle la majorité absolue. Le RND d'Ouyahia, dont la gémellarité avec le grand vainqueur du 10 mai n'est plus un atout décisionnel, est maintenu dans une position d'infériorité avec seulement 72 sièges. Quant aux islamistes de l'Alliance verte qui crient à la fraude, il est à parier que leurs menaces ne dépasseront pas le stade de la gesticulation verbale et qu'ils ne renonceront pas aux privilèges auxquels ils ont pris goût, d'une participation au futur gouvernement. Autrement dit, pendant les deux ans qui lui restent encore à passer à El Mouradia, le président de la République aura les coudées totalement franches pour fixer le cap, orienter l'avenir de l'Algérie dans un sens ou dans un autre, nommer et démettre qui il veut, y compris dans l'armée et les services de sécurité. Il n'est pas jusqu'au prochain Premier ministre qu'il ne puisse aller chercher ailleurs que dans la majorité parlementaire. C'est dire…Si, comme il l'a laissé entendre à Sétif, il ne rempilera pas pour un quatrième mandat en 2014, une occasion historique est là devant lui, qui ne demande qu'à être saisie, pour laisser une Algérie apaisée, réconciliée avec elle-même, son passé, son présent et son avenir. Il peut impulser des réformes fondamentales, imposer des décisions fortes. N'ayant que le meilleur à laisser, et après avoir relativement fait la part belle au conservatisme social et religieux, les Algériens sont en droit d'attendre de lui un sérieux rééquilibrage pour qu'ils retrouvent la douceur de naguère d'une coexistence pacifique qui a cimenté leur unité. Tout dépendra, finalement, de la manière dont M. Bouteflika voudra rentrer dans l'histoire et de l'image qu'il voudra laisser de lui après 12 ans à la tête de l'Etat et qui a régné sans qu'il ait été un «trois- quarts de président». A. S.