Depuis le 12 novembre dernier, date de la r�vision �partielle et limit�e� de la loi fondamentale du pays, Abdelaziz Bouteflika III ne dispose plus ni en face, encore moins � c�t� de lui, de candidat de poids, capable de lui disputer le sprint final vers une installation � vie, sur le tr�ne de la r�publique g�rontocratique d�Alg�rie. Pas si vrai que cela ! Depuis au moins les �lections l�gislatives de 2002, une redoutable formation politique non agr��e, sortie tout droit de la bo�te de maquillage � �lections de Zerhouni, � l�alchimie pourtant bien dos�e, joue au trouble-f�te �lectoral, se permettant m�me l�arrogant pied-denez de devenir la premi�re force politique du pays. Son nom: l�abstention. Longtemps contenue dans les limites respectables d�un �piph�nom�ne politique mineur et de mode de r�gulation technico-politique des chiffres �lectoraux par trop polic�s du parti unique, l�abstention a fait une irruption remarqu�e et remarquable dans les mar�cages du champ politique alg�rien, sit�t ce dernier ouvert � l�aventure des �lections �propres et honn�tes�. Au cours des �lections l�gislatives de 1991, historiques � plus d�un titre, l�abstention fut le v�ritable vainqueur, et ce� d�s le premier tour ! Avec 59% du corps �lectoral (5 435 929 non-votants), l�abstention ne fit qu�une bouch�e du monstrueux FIS, qui n�obtint avec sa redoutable machine �lectorale et ses fameux bulletins tournants, que 47,13% (3 260 359 voix pour un corps �lectoral de 13 258 554 �lecteurs inscrits !) En 1995, et selon de nombreux t�moignages concordants, le puissant, inesp�r� et silencieux r�servoir de voix non exprim�es que constituait l�abstention, fut utilis� comme urne d�appoint par le �cabinet noir� de la r�publique renaissante, pour �parfaire � et conf�rer un caract�re historique et irr�versible au retour du �processus d�mocratique�. Les chiffres sont �cr�t�s au profit du taux de participation qui est port� � 75,68% gr�ce � environ 15% de voix silencieuses qui changent de camp, de statut et surtout qui disent �oui� au candidat dont la victoire a �t� programm�e le soir du scrutin, alors que le matin m�me, elles �taient � la p�che � la ligne. Depuis cette triste m�saventure, l�abstention innove en s�amusant � cache-cache avec les redoutables agents de r�gulation des scrutins qui hantent et �cument les nuits �lectorales d�Alg�rie. C�est ainsi qu�elle reprend le chemin de la croissance en r�sistant aux �lections l�gislatives de 1997 � la boulimie �lectorale d�un nouvel et inattendu acteur politique, �n� avec des moustaches�, tout frais �moulu du laboratoire du syst�me. Elle r�ussit � d�cider 5 738 170 �lecteurs � ne pas se rendre aux urnes et parvint miraculeusement � porter ce chiffre � 6 836 136 de sans voix � la premi�re �lection pr�sidentielle de Abdelaziz Bouteflika. Gr�ce, il faut l�avouer, � une bienveillante neutralit� du �cabinet noir�, qui, une fois n�est pas coutume, ne voulait pas offrir au candidat- pr�sident le quart de manteau �lectoral, qu�il a r�clam� dans une fracassante d�claration, � la sortie du bureau de vote, o� il a accompli son devoir �lectoral. Avec le r�f�rendum sur la concorde civile, retour de manivelle spectaculaire ! L�abstention est terrass�e, lessiv�e, mise KO par le redoutable code de gestion des �consultations �lectorales�, mis au point par le nouveau ma�tre des lieux : chaque �lection pr�sidentielle sera d�sormais syst�matiquement suivie d�un r�f�rendum, qui corrigera � la hausse les d�g�ts difficilement �maquillables� de la perc�e de l�abstention, d�sormais visible � l��il nu dans les bureaux et centres de vote. Avec le �oui� et le �non� du r�f�rendum, les chiffres se pr�tent plus facilement au travail de faiseurs de quotas du s�rail qui, pris de griserie, ne respectent m�me plus leurs propres normes. C�est ainsi que le r�f�rendum sur la concorde civile de la fin de l�ann�e 1999 sera cr�dit� d�un taux de participation de 85,06% alors que Yazid Zerhouni, le responsable politique premier des statistiques �lectorales, avouera sans ciller dans une d�claration � l�ENTV faite au lendemain de l��lection pr�sidentielle d�avril 2004, que �le taux optimum, incompressible, de participation aux �lections en Alg�rie est d�environ 83%�. En ne surveillant d�sormais que les significations politiques du seul score �lectoral du pr�sident, � travers la �programmation � d�un taux de participation respectable tournant autour de 60% (58,01%pour la pr�sidentielle de 2004), corrig�e juste apr�s par le r�f�rendum de confirmation massive de la politique de r�conciliation nationale (79,76%), le �cabinet noir�, nouvelle version, semble avoir sacrifi� les r�sultats des autres scrutins � la r�alit� des chiffres vrais du terrain, caract�ris�s par la fulgurante et irr�pressible mont�e de l�abstention. En optant dans ce cadre pour une politique de �mal-�lection� de toutes les autres institutions nationales et locales (APN, assembl�es locales), le syst�me a innov� en mati�re de double jeu avec la riche palette de la cagnotte de l�abstention, magique gisement �lectoral, en ces temps de raret� des vaches maigres que sont les �lecteurs. C�est cette nouvelle strat�gie machiav�lique du pouvoir qui permettra � l�abstention de conqu�rir d�finitivement le statut incontest� de premi�re force politique du pays. L��v�nement est historique. Il se manifestera de fa�on �clatante, � deux reprises : une premi�re fois au cours des l�gislatives du 30 mai 2002 en �tant sup�rieur et au nombre de votants (9 662 591 contre 8 288 536) et m�me au nombre de voix recueillies par le pr�sident Bouteflika � l��lection pr�sidentielle de 2004 (8 651 723 voix). Aux �lections l�gislatives de mai 2007, l�abstention enregistre pour la deuxi�me fois son plus haut niveau historique depuis l�ind�pendance du pays : presque le double du nombre de votants qui se sont rendus aux urnes(12 098 017 abstentions) !... Entre-temps, le gisement des sans voix est, conform�ment � la nouvelle alchimie de sortie des urnes mise en place, utilis� � l��lection pr�sidentielle de 2004 (il n�est plus que de 7 598 472), pour permettre au pr�sident de redevenir virtuellement la premi�re force politique et en 2005 (r�f�rendum sur la r�conciliation nationale) au taux de participation de se situer d�cemment en de�� du seuil incompressible de 83% fix� par Zerhouni, six mois plus t�t. Avec un taux de participation de 79,76% aliment� essentiellement � partir de l��cr�tement de la vague des abstentionnistes, l�abstention est contenue dans les limites de 20% (3 707 250). Moins de deux ans plus tard (�lections l�gislatives 2007), lib�r�e de ses pesanteurs, cette derni�re reprend de la hauteur et prend l�allure d�un v�ritable tsunami avec 12 098 017 abstentionnistes ! Dans le combat entre les deux principales forces politiques que sont d�sormais l�Alliance pr�sidentielle et l�abstention, cette derni�re a d�j� remport� le premier tour. Elle a impos� au pr�sident le recours au Parlement plut�t qu�au r�f�rendum pour r�viser la Constitution de 1996. Le pr�sident a annonc� publiquement son intention de prendre sa revanche en organisant, sit�t install� dans son fauteuil de pr�sident � vie, un r�f�rendum de r�vision de la Constitution. En attendant, il doit passer l��tape de l��lection pr�sidentielle. Si la chastet� d�mocratique des urnes est respect�e, l�ultime combat contre le r�gne de la g�rontocratie sera men� par l�alliance strat�gique et historique entre deux variables statistiques : l�abstention et les bulletins nuls, qui repr�sentaient � la derni�re �lection l�gislative pr�s de 80% du corps �lectoral. Sauf si, une fois de plus, on d�cide de donner les voix des �sans voix� au candidat-pr�sident� � vie. Dans ce cas-l�, m�me ceux qui ne voteront pas pour ne pas cautionner un processus de putsch constitutionnel� cautionneront.