Photo : N. Hannachi De notre correspondant à Constantine Nasser Hannachi
Ce qui reste de Souika, ou plutôt de l'âme de Constantine, est ressuscité à chaque Ramadhan. Une résurrection, aux odeurs d'épices et de mets et aux couleurs de produits disparates, vient ranimer pour un mois ces lieux ridés par le temps, mais n'ayant pas perdu pour autant leurs «saveurs». Dès l'entrée principale par la rue Mellah Slimane (ex-rue Perregaux), c'est l'invitation à un voyage gastronomique chargé d'histoire. Les étals de confiseries jouxtant les boutiques de fruits secs (abricots, pruneaux…), se prolongent le long de la ruelle serpentine où la circulation piétonne dans ce passage étroit est rendue encore plus difficile par l'intensité du rush des personnes. En matinée ou en après-midi la médina caresse délicatement ses fidèles visiteurs, groggys par le jeûne. Tout simplement la cité renaît instinctivement avec son mois préféré, le Ramadhan. La ville du Vieux rocher quoique fragmentée par la décentralisation de la population habitant la périphérie (nouvelle ville et Khroub), problématique du logement exige, garde des visiteurs authentiques au cœur de sa pensée. Et le mois sacré est la jonction de cette tradition qui s'invite annuellement pour permettre parfois des retrouvailles autour d'une virée. Pourtant le label urbanistique faisant la particularité de ce carrefour ramadhanesque par excellence des Constantinois et des visiteurs et passagers d'autres contrées, aura été quelque peu affecté par la bêtise humaine. Seule une façade d'entrée est réhabilitée pour tenter de garder vivaces les contours authentiques de la vieille ville dont les allées sont usées. Par miracle elle continue de résister aux divers changements tous azimuts qu'elle ne cesse d'endurer depuis quelques années. Tel un leitmotiv on y entend juste «ya hasra » le bon vieux temps est passé par là…Un soupir qui ne cesse de se propager depuis que Constantine s'est vidé de sa quintessence ancestrale en raison de multiples bouleversements, dont la destruction inconsciente de quelques bâtisses et la négligence qui s'en était suivie pour restaurer ce qui devrait être préservé. Malgré ces métamorphoses «El madina el qadima» demeure la Mecque des jeûneurs.
Elle est un lieu de pèlerinage. Soit par nostalgie à l'image de ce sexagénaire : «Ce n'est pas la souika que l'on connaît à Constantine, mais c'est un rituel de la fréquenter au mois de carême. Une escapade s'y impose question de remonter dans le temps et d'en exhumer la belle époque…». Soit par besoin d'approvisionnement. C'est une marée humaine qui se profile le matin en quête de bonnes affaires. Hommes et femmes s'y côtoient. Les commerces pullulent. Les anciens marchands côtoient des étals «nouveaux-nés» où toutes sortes de marchandises sont proposées. Le vide n'est presque pas toléré entre deux échoppes. Autrement dit «entre deux commerces git un troisième», fut-ce en face d'un cloisonnement pour reprendre une expression populaire… Cependant la concurrence semble ne pas avoir de place dans ce lieu voué au métissage. Rares sont les commerçants qui se plaignent du marché illégal.
L'informel «chatouille» le formel dans une concurrence de Rahma… Pour certains, cet espace ayant opté pour sa destinée de la sorte il y a des lustres. «Chasser les vendeurs à la sauvette ou éradiquer certains étals égratignerait la configuration originelle, commerciale de Souika», note un habitant parmi ceux qui y résident encore. «Et puis ce sont des commerces à des revenus bas qui, sont exercé. Vendre El ‘khatfa' dhiouls en mois de Ramadhan ne lèse personne et n'a aucun effet néfaste sur l'économie», ajoutera-t-il. Ainsi l'informel cohabite avec le marché légal dans une ambiance jugée «acceptable», dès lors que les produits de large consommation ne sont pas le propre des commerçants «du Ramadhan ». Il y a des étals de viande qui gênent les bouchers. De 100 à 200 dinars de moins le kilogramme, les petites bourses ne disent pas non à cette baisse. Chacun y trouve son compte pour rentabiliser sa journée. Commerçant comme client. Sans faire l'impasse sur la prolifération de l'informel encore, Souika a une autre caractéristique qui fait sa notoriété au mois de jeûne. C'est un diaporama contrasté qui domine ses ruelles étroites à pavées, malgré quelques transformations. Torréfacteurs, antiquaires, bouquinistes, maintiennent leurs activités. Des quantités de produits alimentaires à même le sol sont exposées et proposées aux passants. Piétonne de surcroit, ce qui lui confère le charme du siècle dernier, Souika accueille quotidiennement des clients toutes bourses confondues. Car au-delà de l'aspect nostalgique de ressourcement, les ménages la fréquentent surtout pour «ses vertus mercuriales» abordables pour les bourses moyennes. Viandes, pain de maison, petit lait, Zlabia. Samsa étant proposés à des tarifs jugés abordables quoique leur qualité laisse à désirer. Mais l'odeur naturelle l'emporte souvent sur les dinars… «Pour rien au monde je ne sacrifie le pain ou la galette de la vieille ville », avouera un passant. Et la file d'attente devant le laitier du coin se forme crescendo. Les retardataires n'auront plus une goutte, assure un habitué du magasin. A vrai dire Souika a toujours eu rendez-vous avec les fêtes sacrées, mais le mois de Ramadahan lui est cher ! Une baraka réactive l'atmosphère et s'y installe : tout le monde rentre avec son couffin du f'tour ! Un don qui n'est tout de même pas perçu de la même manière par tout le monde. «La baraka est partie avec les gens d'antan…», déplore une personne âgée. Demeurons optimiste, tempère-t-on, Souika est protégée par sidi Rached. Et Ramadhan est son éternel garant et parrain divin. A vrai dire l'enveloppe de modernisme imposée aux quatre coins de Constantine ne trouvera pas son relief dans les sinuosités de la cité légendaire. Les gens demeurent attachés par dessus tout à certains repères gastronomiques ancestraux, propres à la ville de Ben Badis. Un charme ramadhanesque qui s'amenuise de plus en plus vu la dégradation partielle du site, mais Souika s'exprime et dégage ses senteurs …Une façon de perpétuer son existence.