Le Ramadhan a toujours ses particularités à la vieille ville de Constantine. Malgré un état de déliquescence profond dans lequel se trouve plongée la médina depuis quelques années, les Constantinois ressentent toujours un plaisir à venir se ressourcer en foulant le pavé des vieilles ruelles. Le site est incontestablement le baromètre des prix de tous les produits commercialisés dans la ville. Ici, on ne peut pas s'en priver de marquer un passage par la rue Mellah Slimane (ex-Perrégaux), ne serait-ce que pour sonder les prix de la viande rouge. L'artère qui sépare les parties basse et haute de Souika demeure aussi un lieu de prédilection pour les amateurs de pruneaux, de dattes, d'amandes et autres épices inévitables dans les plats constantinois. Pour les anciens habitants de Souika, dont la plupart resentent un véritable déracinement après leur évacuation vers la nouvelle ville Ali Mendjeli, les choses ont beaucoup changé. Les marchands regrettent le bon vieux temps où Souika avait toujours un rendez-vous de charme avec le Ramadhan. « Le temps et les hommes ont fini par avoir raison d'une cité qui ne désemplissait pas à longueur de journée », soupira un vieux commerçant installant ses étals au bout de la rue des Cousins Keraouz. Les habitants vivant sous la menace des effondrements n'attendent que des informations sur d'éventuels recasements, alors que les projets de réhabilitation de la vieille médina, classée récemment patrimoine national, demeurent des discours vagues. La vieille médina accueille le Ramadhan dans une ambiance plutôt terne, même si des commerces s'efforcent à donner aux lieux un semblant de fraîcheur. Le commerce ambulant bat son plein dans des ruelles devenues trop exiguës pour laisser passer les piétons. La moindre parcelle vaut son pesant d'or. Même en face des lieux de culte, telle la mosquée Sidi Abdelmoumène, les gargotes s'érigent comme pour inciter les passants à marquer une pause gastronomique obligatoire. Pour les connaisseurs et les habitués des lieux, les préparatifs pour le mois sacré imposent un passage par le Moulin du chatt, dans la rue Saïd Bentchicou, tenu par la famille Belhaï et qui continue de servir malgré son état délabré. Ici, on vient même de loin pour moudre l'inévitable frik pour la chorba du Ramadhan. « C'est un produit local d'une qualité inégalable », nous signale une vieille dame qui attend patiemment son sac. La traversée de la rue Larbi Ben M'hidi pour passer à l'autre rive de la vieille médina renseigne sur les repères perdus d'une ville qui se clochardise irréversiblement. Les fameux quartiers d'El Djezzarine et R'cif, qui connaissaient une effervescence particulière à quelques jours du Ramadhan, sont désormais méconnaissables, et l'insaisissable Rahbet Essouf ou place des galettes plus célèbre par ses marchands indétronables de zlabia et autres pâtisseries orientales, ne gardera désormais qu'un titre éphémère après avoir troqué tous ses espaces par la force des choses, contre un marché pour femmes de plus en plus prospère.