La mésaventure vécue par le peuple mapuche (gens de la terre) du Chili au cours de ces dernières années illustre de la manière la plus explicite le type même d'exactions visant à dépouiller une communauté, un peuple de son identité. «Le peuple mapuche persiste depuis cinq siècles à respecter et faire respecter son existence et sa conscience» ; il a résisté à l'invasion colonialiste, à la conversion au catholisme et se dresse aujourd'hui face à l'aliénation capitaliste visant à une déforestation de ses terres voulue par Benetton*. La preuve est ainsi fournie selon laquelle, depuis que Magellan, Vasco de Gama, Amerigo Vespucci et Colomb ont cherché à voir ce qu'il y avait derrière l'horizon et, jusqu'au naufragé Robinson Crusoë et enfin Savorgnon de Brazza, les rapports entre autochtones et étrangers n'ont pas toujours été bâtis que sur la curiosité, le besoin d'aller loin ou encore d'établir des passerelles avec d'autres communautés, mais bel et bien sur la spoliation, le déni même, si toutes les entreprises échafaudées reposaient, pour la bonne conscience, sur l'émancipation des peuples, leur civilisation, évangélisation, etc. Et c'est comme ça qu'il en a été pour les Bushmen, les Jivaros, les Cheyennes. L'histoire étant un éternel recommencement. En jetant les bases d'une colonisation de l'Algérie, la France ne disposait-elle pas déjà d'un vade-mecum. Car il ne suffisait pas de massacrer les populations éparses à travers d'immenses territoires, il y avait surtout une nécessité impérieuse de couper tout lien ombilical que les habitants avaient avec leur terre, leur culture, leurs traditions, les rapports sociaux. Seule une dantesque lobotomisation des populations laissait croire à l'envahisseur l'idée d'une rupture mnémonique et l'installation d'un nouveau mode de vie, de rapports de maîtres à sujets et surtout de nouveaux repères imposés à des milliers d'Algériens, déplacés par la force ou contraints de quitter des régions à feu et à sang. Aux quatre coins cardinaux du territoire, les vieilles villes ou villes originales étaient celles qu'il fallait domestiquer au plus vite, en ce sens qu'elles constituaient non seulement le bastion de la résistance mais aussi et surtout le terreau de la mémoire collective, à même d'entretenir le sentiment d'irréductibilité des populations. D'où les mesures prises par l'envahisseur d'en dévaloriser l'image par l'installation de maisons de tolérance à leurs différentes entrées. Une attitude visant évidemment à réduire les visites de proches et les regroupements familiaux et par voie de conséquence la persistance de toute velléité de révolte et capacité d'organisation. Ce ne fut heureusement pas le cas et la révolution eut lieu. A. L. * Habilleur italien