Amar Ghoul, matheux et ingénieur en génie civil, mécanique et nucléaire, a la bosse des chiffres mais ne serait pas un adepte de la numérologie. S'il était un mordu de gématrie kabbalistique ou d'arithmancie pythagoricienne, il aurait su que le chiffre 21 a une fréquence vibratoire particulière dans le chemin de vie de la Kabbale et dans sa propre vie ! Le sempiternel ministre des Travaux publics est né un 21 février. Exactement le même jour, mais à des années d'intervalle du RND. Le Rassemblement national démocratique, parti né dans les éprouvettes du régime, avec des bacchantes de Sikh, selon la croquignolette formule de l'illustre Mahfoud Nahnah. Chiffre fétiche et porte-bonheur d'un Ghoul, ancien disciple du leader islamiste disparu. Dans la Kabbale judaïque comme dans la mystique numérologique islamique, Amar Ghoul, c'est des dates porte-bonheur et des chiffres symboliques. Les années 1961, 1997, 1999 et 2012, et les chiffres 21, 14, 40, 10 et 5. Soit, respectivement, les dates de sa naissance à El Abadia (ex-Carnot), ainsi que les années de son premier mandat de député, de son premier maroquin ministériel et de son couronnement politique en 2012 avec le TAJ, l'acronyme en arabe du Rassemblement de l'espoir pour l'Algérie. C'est, en quelque sorte le Taj Mahal pour un homme qui semble bénéficier de la prévenance magique de Marraine la bonne fée du régime. Amar Ghoul, qui n'est pourtant pas un super ogre de la politique algérienne, est né aux ambitions politiques suprêmes avec, avant même la légalisation de son parti, une couronne royale sertie de députés, de sénateurs et de ministres ! Magie bienfaitrice des chiffres : ministre dans les 14 gouvernements bouteflikiens depuis 1999 et, en guise de dot politique, en 2012, 40 députés, 10 sénateurs et 5 ministres ! Presque les 6 chiffres gagnants du Loto ! Mais pourquoi le régime a-t-il précisément choisi ce technocrate gris-béton pour en faire un homme susceptible de porter un jour un destin politique ? Les chemins du régime ne sont pas toujours praticables comme les autoroutes que Ghoul fait construire à la vitesse d'un Chinois à l'œuvre avec une bitumeuse. Parfois, comme les desseins de la Providence, ils peuvent être insondables. Des numérologues et autres astrovoyants disent cependant que le régime voudrait en faire un Tayyip Erdogan algérien, mais sans la capacité de faire et de défaire du leader islamiste turque qui, lui, est né dans une urne électorale transparente, probe et propre. Amar Ghoul, autant l'ingénieur que le ministre, ne manque pas de qualités propres. Dont une hallucinante élasticité, une surprenante capacité à passer entre les gouttes et une indéniable aptitude à s'adapter aux situations et aux hommes. Les moins indulgents appelleront ça de l'opportunisme. Ajoutons alors à ces vertus propres sa caractéristique d'islamiste modéré, ce dont il se défend désormais. En réalité, un islamiste bon chic, bon genre, plus présentable qu'un Abou Djorra Soltani, démonétisé d'un point de vue politique et qui se voyait, avant l'heure, dans la gandoura d'un Rached Ghannouchi algérien. L'attention bienveillante du régime à l'endroit d'Amar Ghoul est aussi une réponse, par la bande de fréquence islamiste, au «printemps arabe». Dans la logique de reproduction du pouvoir, à savoir la consolidation de son système d'autoconservation, Ghoul est un chaînon pertinent dans le jeu de stabilisation politique du pays. D'autres appellent ça la reconduction du statu quo et il y'en a même qui ont pensé y introduire un peu de mouvement. On le voit bien, la mise en selle et en scène d'Amar Ghoul, islamiste «nahnahiste», déclaré mais rarement assumé, à défaut de créer un cercle politique vertueux, a favorisé au moins un appel d'air clientéliste. Déjà que des ministres, des députés, des sénateurs et des cadres de la Haute Administration ont rejoint son mouvement ou s'apprêtent à le faire. En même temps, son TAJ fonctionne déjà comme une machine de vampirisation du courant islamiste modéré et légal, représenté par le MSP, El Islah, le FJD d'Abdallah Djaballah, Ennahda et le FC, le Front du changement d'Abdelmadjid Menasra, lui aussi un transfuge du MSP, l'avatar organique du Hamas. L'entreprise de phagocytage ne touche pas seulement la mouvance de l'islamisme modéré, représentant en Algérie du mouvement des Frères musulmans. Le captage de clientèles touche aussi le courant nationaliste représenté notamment par le FLN, le RND et le FNA de Moussa Touati. On saura, dans pas longtemps, si les élections municipales du 29 novembre donneraient une première idée de la force politique conférée par le régime au TAJ, ce fruit d'une entreprise de cooking et de cocooning politiques. Elles seront aussi un test pour la force d'attraction électorale réelle du TAJ, au-delà même des quotas traditionnellement prédéfinis. On saura alors, très vite, si Ghoul est seulement un bébé-éprouvette, né avec de grosses moustaches, des députés, des sénateurs et des ministres en prime. «La création est une déformation, une sublimation positive ou négative d'un élément banal», disait Michel Conte, l'auteur-compositeur et chorégraphe français, auteur, entre autres, de «Nu… comme dans nuage». N. K.