Mohamed, Assia et Baya, et d'autres, avaient juste l'âge de l'adolescence quant ils sont sortis manifester, à Belcourt un certain 11 décembre 1960, crier leur refus du colonialisme. Aujourd'hui encore, ils gardent les séquelles des blessures que leur ont occasionnés les soldats de l'armée coloniale, qui ont usé de tous les moyens pour mater cette rébellion menée par des enfants et des femmes pour marquer le soutien du peuple algérien au FLN. Ces manifestations, dont le coup d'envoi est parti de Belcourt, ont gagné plusieurs quartiers et villes, d'El Harrach jusqu'à Hadjout, et bien d'autres. Elles ont inexorablement propulsé devant les Nations unies la cause algérienne et son droit à l'autodétermination. Lors d'un forum organisé par l'association Mechaal Echahid, au siège d'El Moudjahid, l'avocate et militante des droits de l'Homme, Me Fatima-Zahra Benbraham, a plaidé pour l'octroi du sStatut de chahid aux enfants assassinés lors des manifestations du 11 décembre 1960. Elle a, en outre, suggéré aux lycéens présents à cette table ronde de faire des recherches pour déterminer l'identité des enfants tués entre le 10 et le 13 décembre, et inhumés dans l'anonymat à El Kettar . Auparavant, la conférencière a indiqué que peu de documents restent de ces événements, si ce n'est un document d'El Moudjahid, qui avait publié un spécial portant le numéro n° 75, et les coupures de journaux français de l'époque, pour porter devant l'opinion publique internationale la revendication du peuple algérien. Les journalistes qui devaient accompagner la visite de de Gaulle, ont alors rapporté que les Algériens, grands et petits, avaient exprimé avec fermeté leur refus du projet français proposant l'assimilation et l'octroi de la nationalité. De son analyse du contenu de ces publications, il en ressort que plusieurs ingrédients ont été la cause de ces manifestations, notamment la cohésion du peuple avec le FLN, le rôle des commissaires politiques, les très grandes pertes, estimées 300 000 hommes, des dizaines de milliers de prisonniers, la répression féroce, la détermination des Algériens, le caractère algérien qui ne se plie jamais devant la force, les convictions profondes que l'Indépendance est inéluctable. A cela s'ajoute le revirement des Américains, qui soutenaient les Français au départ, mais ils ont fini par imposer à la France de changer de politique vis-à-vis des Algériens. Elle rappellera que les événements se sont déclenchés le 9 décembre à Belcourt, suite à une rixe entre de jeunes Français et des Algériens, qui ont refusé une demande de fermer les magasins à la demande des premiers. Ils ont surpris les autorités coloniales qui ne s'y attendaient pas, mais elles ont minimisé leurs portées tant que les habitants de la Casbah ne s'en étaient pas mêlés. Mais, ces derniers s'y préparaient, en fait, puisque les femmes sont descendues en masse à la rue de La Lyre pour acheter des tissus aux trois couleurs vert, blanc et rouge, pour la confection de l'emblème national. Après avoir décrit le déferlement des Algériens vers Belcourt, et la mobilisation par la France de 400 000 soldats, Me Benbraham a indiqué qu'avec ces événements les prémices de l'Algérie indépendante étaient réunies. «Ce n'était pas la voix des fellaghas qui a retenti, mais de tout le peuple algérien.» La parole est donnée, ensuite, aux acteurs de ces événements dont le témoignage a ému plus d'un. Mohamed Bentaleb, journaliste, honoré à l'occasion de ce forum, avait à l'époque 11 ans quand il est sorti manifester à Belcourt au côté de Farid Maghraoui. Victime de la fusillade déclenchée par l'armée française, il en garde encore les séquelles : une blessure à la cheville qu'il traine. Mettant en exergue le rôle des jeunes, il révélera que ce sont les jeunes de 13 à 20 ans qui étaient à l'avant-garde de ces manifestations. Il racontera comment lui et ses compagnons ont fait diversion à l'armée française, présente à l'emplacement de l'actuel monument aux martyrs, à El Madania (ex-clos salembier), pour descendre manifester au Ruisseau Mme Assia racontera, quant à elle, comment lors de ces manifestations elle tenait haut le drapeau algérien, même quand elle tombait par terre. Traquée, elle dut changer de domicile et de vêtements pour que le drapeau ne tombe pas entre les mains de l'armée coloniale. Alors qu'elle même était soignée chez elle clandestinement, elle faisait avec une de ses copines le tour des pharmacies pour l'achat de l'alcool chirurgical qu'elle remettait aux moudjahidine pour soigner les blessés. «Le jour des manifestations, malgré la faim, on ne prenaitqu' un verre de lait, on a fait tous les quartiers de la Redoute jusqu'à Belcourt». Pour sa part, Mohamed Selmane, blessé à 11 ans, garde toujours en mémoire les youyous des femmes qui retentissaient lors de ces manifestations, mais aussi qu'étant enfermé dans une cave il a fait la découverte macabre d'un Algérien tué à cette occasion. Pour Mme Amirat et Baya Maroc, ces manifestations n'étaient pas spontanées. Elles étaient planifiées par le FLN : «la veille de la discussion de la question algérienne à l'ONU, on nous a demandé de sortir manifester.» «Nous avons reçu un ordre pour faire en sorte que l'on sache que ce ne sont pas les fellaghas tous seuls qui font la révolution, mais que tout le peuple algérien lutte pour son indépendance», a indiqué Mme Amirat. «Notre responsable, qu'on appelait cheikh, dans la wilaya 4 zone 1, nous a donné l'ordre de descendre, de sortir les drapeaux que les femmes ont confectionné durant la nuit, mais nous n'avions pas le droit de participer», a-t-elle témoigné encore. Mme Maroc, qui raconte ces manifestations, auxquelles elle a participé à Hadjout, l'a rejoint dans ses dires que, «ces manifestations n'étaient pas spontanées. Elles étaient bien planifiées, surtout dans la wilaya 4, les femmes ont bien préparé les drapeaux, j'étais la première à sortir dans la placette de Hadjout avec une dame non voilée, qui s'appelait Mokrani Khedidja, malgré tous les militaires qu'il y avait dans cette ville coloniale. Donc, nous avons souffert le martyre, parce qu'ils ont tiré sur nous. Moi j'ai deux jeunes enfants qui sont morts. Nous avons mis les enfants et les femmes comme boucliers et les hommes étaient derrière». A. R.