Je m'appelle Chahid. Je ne suis pas une victime passive ou collatérale du colonialisme, puisque j'ai choisi volontairement de prendre les armes pour défendre ma dignité, ma liberté et mes biens. Je suis mort des millions de fois les armes à la main. Je suis l'incarnation de la résistance à toute forme d'oppression. Du 14 juin 1830, jour du débarquement de vos ancêtres, à Sidi Fredj, au 5 juillet 1962, jour de l'embarquement de vos concitoyens vers la France, je n'ai pas eu de répit. Je suis la synthèse de milliers d'années d'histoire, d'invasions, de brassage culturel et humain. Dans cet espace géographique que vos ancêtres ont baptisé Algérie, cohabitaient des populations musulmanes, chrétiennes et juives dans l'harmonie et la bonne intelligence. A l'invasion française, le taux d'alphabétisation des Algériens dépassait celui de certains pays européens. L'Algérie était un Etat reconnu et avait des relations diplomatiques avec l'Europe et l'Amérique. A ce titre, Monsieur le président, vos ancêtres ont occupé un pays souverain. A ce titre Monsieur, la résistance à l'occupation était légitime. Ce constat étant établi, la libération de la patrie spoliée n'était qu'une question de temps. L'Administration coloniale et l'armée d'occupation ont compris assez tôt que les Algériens n'étaient pas un peuple domptable. C'est pourquoi sa soumission nécessitait une oppression féroce, une acculturation abêtissante et une expropriation aliénante. Vos ancêtres, Monsieur le président et vous le savez très bien, ont usé des mêmes méthodes que celles utilisées par les colons européens contre les Amérindiens. L'objectif étant, sinon de vider l'Algérie de ses populations en les décimant, du moins en réduire le nombre par tous les moyens : massacres collectifs, famines, maladies, déportations, emprisonnements, tortures, enfumades, viols, destructions du patrimoine, des repères et de la mémoire, analphabétisme, charlatanisme et j'en passe. De 1830 à 1870, la résistance était tribale, régionale, circonscrite, prenant en compte le code de l'honneur et le respect de l'adversaire tel que mes ancêtres l'ont toujours fait en pareilles circonstances. L'attitude de l'Emir Abdelkader, de Bouamama, d'El Mokrani, d'El Haddad et de tant d'autres résistants, en fût la preuve et vos généraux en avaient reconnu l'esprit chevaleresque. Après quarante ans de résistance et de révoltes populaires, nous avons déposé les armes pour prendre le temps de vous connaître, vous découvrir, vous comprendre. L'apprentissage a été ardu, non pas parce que les Français étaient compliqués, mais parce que nous n'arrivions pas à assimiler vos référents culturels et juridiques au nom desquels vous vous arrogiez le droit d'occuper une terre qui ne vous appartenait pas, pour asservir tout un peuple au nom d'une œuvre civilisationnelle, qui n'en était pas une. C'est avec cette même arrogance que vos compatriotes ont voté la loi de février 2005 où ils chantent les bienfaits du colonialisme. Cent soixante-quinze ans après l'occupation de l'Algérie et quarante-trois ans après l'indépendance de l'Algérie, rien n'a changé dans la mentalité colonialiste d'une certaine France dont les positions aujourd'hui, laisse croire que pour la France officielle, la guerre d'Algérie n'était qu'une bataille perdue et que la guerre n'est pas terminée. C'est ce que nous avons compris entre 1870 et 1945. L'œuvre coloniale était orientée au profit des colons et de l'intérêt de la France contre les populations algériennes. La France a refusé tous les droits aux Algériens. La patrie des droits de l'Homme et de la révolution Française, n'a jamais considéré les Algériens comme des humains qui ont les mêmes droits que ceux des Français d'Algérie et de la métropole. Pourtant, les Algériens se sont vus imposer les mêmes devoirs, si ce n'est plus, que les Français. Ils ont pris part à la libération de la France à deux reprises. En Mai 1945, les Algériens ont été récompensés par un génocide. Pendant ces journées sanglantes, je suis mort 45 000 fois et de plusieurs façons. Désormais, Monsieur le président, il y avait un fleuve de sang entre nous et aucune coexistence sur la même rive de la Méditerranée n'était possible. Vous ne connaissiez pas vos frontières, nous vous les avons dessinées. Je m'appelle Chahid El Karama. Je suis mort chaque jour des 132 ans d'occupation et je ressuscite chaque jour pour incarner un Algérien. Je suis témoin de la férocité du colonialisme que vous refusez de condamner. Je suis témoin des méthodes oppressives, de la barbarie des tortures, de l'horreur des viols, des exécutions sommaires, des disparitions forcées, de la misère de mon peuple, de ses souffrances, de ses humiliations qui l'ont poussé à se soulever contre la France coloniale et tous ses symboles militaires et civils, pour défendre sa dignité bafouée. Je m'appelle Chahid El Houria. Ma liberté n'a jamais été négociable. Je ne l'ai pas découverte dans les manuels scolaires des quelques écoles coloniales que j'ai fréquentées et qui s'évertuaient à me convaincre que j'étais Gaulois. J'ai tété cette liberté au sein de ma mère, je l'ai mâchée dans la galette d'orge et je l'ai respirée dans l'air de mes Atlas, de mes plaines, de mon désert. Ma liberté a été chantée par les bardes et les aèdes amazighs depuis la nuit des temps. J'ai lu Paul Eluard, Monsieur le président et j'ai décidé aussi d'écrire Liberté avec mon corps, mon sang, ma sueur sur le mur de l'Histoire. J'ai compris pendant les 132 ans d'occupation illégitime, que ce qui a été par les armes ne peut être repris que par les armes. A Verdun et en Alsace, quand j'ai été mobilisé de force, à deux reprises, pour libérer une patrie qui n'est pas la mienne, je m'étais dit : «Au nom de quoi les Français résistent et combattent l'occupation allemande et pas nous, les Algériens ?». Vous êtes assez perspicace Monsieur le président, pour admettre que toute occupation étrangère d'une terre est abjecte et que la liberté de Paul Eluard et de Larbi Ben M'hidi est la même. Je m'appelle Chahid El Djazaïr. Mon martyr est la résurrection de l'Algérie que vous visitez aujourd'hui, cinquante ans après mon sacrifice. Faites la comparaison Monsieur le président entre l'Algérie française et l'Algérie algérienne. Certes, ce n'est pas le paradis dont rêvent les enfants de l'Algérie indépendante qui n'ont pas connu l'enfer du colonialisme. L'Algérie c'est mon paradis Monsieur le président. A. G.