N'écoutez pas les défaitistes : les lecteurs friands d'actualité n'ont jamais eu autant d'information de qualité à leur disposition. Le secteur de l'information ne s'est jamais aussi bien porté. Ça paraît logique: à peu près tout ce que vous voulez savoir à propos de n'importe quel sujet est à portée de main. Pas besoin de prendre mon analyse de la crise bancaire de Chypre pour argent comptant : vous trouverez facilement des articles sur le sujet dans le New York Times, le Wall Street Journal, Financial Times ou The Economist. Ou si vous voulez éviter le prisme de l'opinion américano-britannique, vous pouvez toujours consulter le blog de Yanis Varoufakis, un brillant économiste grec. L'agence de presse Reuters a créé une option interactive qui vous permet d'essayer différentes formules pour observer les effets d'une modification de la taxe sur les dépôts bancaires du pays. Un gestionnaire de fonds de Londres qui écrit sous le pseudonyme Pawel Morski a également apporté son opinion éclairée sur le sujet sur Twitter ainsi que sur WordPress. Vous pouvez même regarder en ligne une interview d'Athanasios Orphanides, ancien conseiller de la Banque Centrale originaire de Chypre, sur Bloomberg TV. Encore mieux, l'état actuel des médias vous permet d'ajouter profondeur et contexte à l'actualité. Plusieurs sources de Twitter m'ont recommandé un article de 2008 écrit par Perry Anderson pour le New York Review of Books qui traite d'une période plus large de l'histoire de Chypre depuis son indépendance. Paul Krugman nous rappelle le problème plus général des petits Etats insulaires qui servent de centres bancaires et des dilemmes que cela pose pour la régulation financière mondiale. Il propose également un lien vers un rapport étendu du FMI sur l'économie de Chypre.
Les lamentations Pourtant, cette abondance de sources n'est absolument pas abordée dans la dernière édition très pessimiste du State of the Media Report («Rapport sur l'état des médias») du Pew Research Center. A aucun moment le rapport ne présente le web comme un moyen rapide pour le public d'accéder à des informations nombreuses et détaillées, ni comme un indicateur majeur de santé pour le journalisme. Au lieu de ça, on nous offre des lamentations : «En 2012, l'érosion continue des ressources de l'information a convergé avec l'augmentation des opportunités pour les hommes politiques, les agences gouvernementales, les entreprises, et bien d'autres encore, de transmettre leur message au public sans intermédiaire.» Les renvois de personnel dans le secteur de la presse, a précisé Pew, ont «fait chuter l'industrie de 30% depuis son pic en 2000 et fait passer le nombre d'employés à plein temps sous la barre des 40 000 pour la première fois depuis 1978». C'est un point de vue qui n'est pas tout à fait faux, mais qui est erroné. C'est en fait une manière un peu étroite de concevoir les choses, qui confond les intérêts des producteurs avec ceux des consommateurs, les apports et la production, et qui néglige la seule vraie source du bien-être humain : la productivité. De nos jours, il ne faut plus qu'un faible nombre d'agriculteurs pour produire en abondance, et de la même manière, les lecteurs d'aujourd'hui ont accès à bien plus de points de vue variés et de bonne qualité qu'ils ne peuvent en lire. Posez-vous la question : avez-vous plus ou moins de bons articles à lire aujourd'hui qu'il y a treize ans ? La réponse est, bien entendu, plus. En effet, une chose sur laquelle le rapport Pew a eu raison d'insister (et chez Slate, on en est très conscients), c'est qu'il est difficile, sur Internet, de se faire beaucoup d'argent grâce à la publicité. C'est surtout difficile pour la même raison qui fait qu'Internet est une mine d'or pour les lecteurs : il y a beaucoup de concurrence et beaucoup de choses à lire. Auparavant, un journal traditionnel ne connaissait généralement qu'un seul rival dans une même ville. Le Times, par exemple, avait pour rival Newsweek. Ce n'est plus le cas : maintenant, le Times est en concurrence avec tous les sites Internet en anglais de la planète. C'est dur, mais ça ne fait que souligner d'autant plus l'étendue des énormes avancées en termes de productivité qui sont en train de bouleverser le secteur. La distribution a connu des améliorations stupéfiantes : plus besoin de se rendre dans une presse spécialisée pour trouver des journaux d'autres villes ou des magazines étrangers. Faites une recherche sur Internet. Vous pourrez consulter des sites d'actualités israéliens quand un nouveau gouvernement sera constitué, ou pendant une visite du président américain, et les ignorer le reste de l'année.
Tout ce qu'Internet et la technologie permettent Internet a également rendu accessible une incroyable collection d'ouvrages déjà parus. Cet essai rédigé par Anderson il y a cinq ans à propos de Chypre est encore pertinent de nos jours. Hier soir, après m'être souvenu qu'il avait écrit un livre sur l'île, je suis tombé, en cherchant son nom sur Internet, sur un vieil article de Christopher Hitchens sur Chypre. Bien sûr, la technologie numérique a énormément simplifié la production des actualités. Des tableaux et des graphiques peuvent être créés et publiés en quelques minutes. Les données du secteur public, les recherches académiques et les rapports des laboratoires d'idées sont à portée de main, au lieu de ramasser la poussière sur des étagères oubliées. Grâce aux e-mails, à la messagerie instantanée, et aux téléphones portables, il est plus facile de contacter ses sources ou de travailler en collaboration avec des rédacteurs. Enfin, et surtout, les sites ne manquent pas de place. Nous essayons de ne pas publier de mauvais articles, mais nous ne refusons jamais la publication de bons articles sous prétexte d'un manque de place. Nous ne raccourcissons pas arbitrairement le texte pour qu'il convienne à un concept de mise en page. Autrement dit, de nos jours, n'importe quel journaliste peut produire bien plus d'articles que nos prédécesseurs le pouvaient en 1978. Et le public a accès à l'intégralité de notre production. Et pas seulement notre production d'aujourd'hui. Mais celle d'hier, et de la semaine dernière, et du mois dernier, et de l'année dernière, etc. En fait, si l'industrie ne se porte pas très bien, c'est parce qu'elle est très productive. Mais pour ceux qui essaient de vivre du journalisme, le problème est très sérieux. Pourtant, d'un point de vue social, ces problèmes sont le genre de problèmes que tout le monde souhaiterait avoir. Aux Etats-Unis, les vrais problèmes touchent des secteurs comme la sécurité sociale, ou l'éducation, qui n'ont pas encore été transformés par des technologies visant à augmenter la productivité. Pew s'inquiète de constater qu'un peu plus de 30% des participants de l'étude «ont abandonné leur moyen traditionnel d'accès aux actualités parce qu'il ne fournissait plus le type d'information auquel ils avaient été habitués». De manière plus optimiste, cela veut dire que sur un marché compétitif, des producteurs de contenu qui ne répondent pas aux besoins de leur public perdent des parts de marché qui sont récupérées par leurs concurrents. Des hôpitaux ou universités moyennes n'ont pas vraiment à se soucier de voir leur fréquentation diminuer au profit de nouveaux venus ou de concurrents plus performants offrant une meilleure qualité de service. L'augmentation des prix qui en a découlé a eu des conséquences négatives sur la croissance économique, les revenus de la classe moyenne, et de manière générale, sur la prospérité du pays. Malheureusement, l'information n'a jamais représenté une part assez importante des dépenses typiques d'un foyer pour qu'elle ait une véritable influence sur l'économie. Mais ne vous y trompez pas, malgré les difficultés et les réductions de personnel, il n'a jamais été aussi facile pour le consommateur américain d'accéder à l'information. M. Y. in slate.fr