LA TRIBUNE : Vous êtes le 1er Docteur Européen médiateur familial. Qu'est-ce qui vous a amené sur ce chemin de la médiation familiale? DR RABIA HAMIDI : C'est à partir d'une réalité sociétale observée sur le terrain que ma réflexion a émergé: la société contemporaine se complexifie et pour la famille qui évolue aujourd'hui dans ce cadre, le cours de la vie n'est plus un long fleuve tranquille. Dès lors qu'un changement survient suite à une séparation ou divorce, l'équilibre de toute la famille est bouleversé. Dans ce contexte émotionnellement difficile, elle doit vivre au rythme des procédures, des différends qui ressurgissent, exacerbés par des incompréhensions. Je cite un exemple concret qui illustre clairement les conflits liés à la pension alimentaire. L'argent peut se révéler comme la cause de la discorde au sein du groupe familial. Or, c'est à travers lui que les individus peuvent se dire tout ce qu'ils pensent, tout ce qu'ils ont sur le cœur, quitte à blesser l'autre. Parce qu'en fait, en arrière-plan, vit l'histoire conjugale, familiale émotionnellement chargée. Je pointe là la face cachée de l'iceberg que la justice ne peut guère traiter. Je suis à l'affût d'une pratique innovante faisant coexister le Droit et la vie privée. Ainsi, Médiateur Familial diplômé d'Etat (de la 1ère promotion en 2007), je poursuis mes études à l'université de Lyon II Louis Lumière où je me spécialise dans l'ingénierie de la médiation. Et pourquoi s'arrêter en si bon chemin, disent mes Professeurs. Dans le cadre de l'université mixte de recherche (France, Luxembourg, Espagne), un nouveau domaine scientifique est à explorer. Une thèse de Doctorat européen, en médiation familiale s'offre à moi (tout en travaillant à Nice). En Espagne, à l'Université Espinardo de Murcia, j'ai donc soutenu mes travaux de recherche devant un jury venant des grandes universités d'Espagne et du Portugal.
Quels sont les facteurs qui ont aidé à votre réussite ? Avec la motivation, le seul chemin de ma réussite est l'honnêteté associée à une éthique dans mon travail. Je puise également la force d'avancer et de poursuivre mes recherches, dans l'amour, le soutien et le respect de ma famille dans mes choix. Ses encouragements à mon égard sont renouvelés. C'est ainsi que ma réussite est à l'image et à l'identité de la femme algérienne.
Un projet de médiation familiale est en cours en Algérie, initié par le ministère de la Solidarité nationale et de la famille. Que pensez-vous de l'idée même du lancement de ce projet ? Il s'agit d'un projet ambitieux qui mobilisera aussi bien une forte expertise dans le champ socio-juridique que d'importantes compétences de l'ingénierie de la médiation notamment de boîte à outils adaptée de manière propice à la conception de chaque dispositif. Cependant, n'ayant pas tous les tenants et les aboutissants de ce projet et surtout ne connaissant pas le cadre législatif dans lequel il s'inscrit, je ne peux qu'encourager cette initiative novatrice qui valorisera notre pays.
Le concept de médiation familiale reste toutefois vague. Pourriez-vous nous donner une définition précise ? La médiation familiale fit ses premiers pas en Amérique du Nord, des années 1930 jusqu'à la fin des années1980. En 1978, O. J. Coogler, avocat, ouvre le premier centre de médiation familiale qui se généralise aux Etats-Unis et atteint le Canada puis la France. Cette approche complémentaire au Droit s'étend sur le plan international et se développe progressivement notamment dans certains pays de l'Afrique du Nord. La médiation en matière familiale s'inscrit dans les Marc (modes alternatifs de règlement des conflits) en prenant en compte, outre l'aspect juridique, la dimension communicative et personnelle du conflit. La médiation, traitement relationnel et judiciaire du conflit intrafamilial se distingue de l'arbitrage, et se différencie également de la conciliation. La médiation familiale est un processus de gestion du conflit dans le domaine familial entendu dans sa diversité et dans son évolution. Cet outil présente l'avantage de promouvoir les modes de règlement consensuels et de réduire les coûts économiques et sociaux de la séparation et du divorce, à la fois pour les familles, pour l'Etat et pour la société. Elle a pour effet, mais non pour but, de désengorger les tribunaux. Précisément, la famille se situe à la croisée du public et du privé. D'un côté, il y a le Droit et les procédures judiciaires, de l'autre, il y a la rupture affective, familiale, événement humainement traumatisant qui rend hommes, femmes et enfants vulnérables. Autrement dit, avec l'évolution de la famille contemporaine (traditionnelle, reconstituée, monoparentale) l'instabilité conjugale est démontrée chaque année par des taux élevés de séparation et de divorce. Dans certaines situations, les tensions conjugales non apaisées impactent le lien parental. Il devient alors encore plus problématique, lorsque la spirale des conflits envahit toute la sphère familiale : parents, enfants, grands parents et proches. Dans un tel contexte, concilier les besoins affectifs, psychologiques et économiques de chacun des conjoints qui se séparent, présente une très grande complexité. Le plus grand danger réside dans l'instrumentalisation de l'enfant par l'un de ses parents, voire parfois les deux. C'est le risque de l'enfant otage du divorce de ses parents. La question qui se pose alors est de savoir comment parvenir à pacifier, apaiser une procédure de divorce conflictuelle sans préalablement tenter une reprise du dialogue entre les parents en situation de rupture, de crise. L'outil principal d'apaisement et de pacification des séparations et divorces, réside dans la médiation familiale. Elle permet une déconflictualisation des relations parentales, la reprise d'un dialogue parental, l'entente dans le partage des responsabilités, le respect du rôle du père, de la mère et la place de l'enfant. Ce soutien à la co-parentalité offre aux parents séparés, la possibilité de réorganiser la famille après la rupture. Dans ce sens, nous préservons l'unité familiale et prévenons les conséquences d'une éventuelle dissociation du groupe familial qui peut conduire encore la famille à la fragilisation. L'évaluation des effets de la médiation familiale, a démontré de manière significative que les parents séparés possèdent de réelles compétences et un savoir-faire pour élever leur enfant dans un climat familial plus apaisé, important pour son développement.
Qui est le médiateur familial ? C'est un professionnel tiers impartial, compétent. Sa qualification est garantie par un diplôme d'Etat (crée en France en 2003). La formation des médiateurs tant sur le plan déontologique que sur le plan méthodologique s'adresse aux juristes, psychologues et travailleurs sociaux. Les domaines de l'enseignement pluridisciplinaire tels que : Droit, sociologie, psychologie, économie, techniques d'écoute, de communication et de négociations permettent au médiateur familial l'acquisition d'un savoir-faire et d'un savoir-être. En tant que spécialiste de la gestion de conflits intrafamiliaux, son impartialité et l'absence de pouvoir liée à l'esprit de la médiation, lui permettent d'accompagner la famille dans des moments d'exacerbation des conflits, pour rétablir un dialogue, trouver des accords mutuellement acceptables en tenant compte des besoins de chacun, dans l'intérêt de l'enfant.
Quels sont ses avantages (avantages de la médiation familiale) ? La déjudiciarisation des conflits intrafamiliaux qui relèvent de la sphère privée. Engager une procédure judiciaire peut être non seulement très coûteux financièrement, et psychologiquement mais demander également de nombreux mois d'attente entre le dépôt de la requête et le jugement. Dans ce délai d'attente, le climat familial ne peut que se détériorer davantage. En revanche, dans le cadre de la médiation, les parents accueillis rapidement, en tant qu'ex-conjoints vont construire leurs auto-solutions consensuelles dans une logique gagnant/gagnant. Avec les négociations parentales, les accords trouvés peuvent être testés, et remis en question lors des séances suivantes, avant l'élaboration d'un projet d'entente qui sera remis et homologué par le Juge aux affaires familiales. Comme l'illustre bien le slogan ‘'Mariage d'un jour, parents pour toujours'', le lieu de la médiation en tant qu'espace tiers permet d'accepter de rencontrer l'autre, généralement le père. C'est surtout reconnaître à chacun une place dans ce lieu, d'écouter, d'entendre, d'être en communication avec l'autre. C'est un lieu d'altérité où les émotions sont exprimées dans un cadre «suffisamment bon» : bienveillant et sécurisant. En effet, les ex-conjoints après avoir évacué «l'abcès du conjugal» et «vidé leur sac» sont accompagnés par le médiateur familial qui tente de les amener à se questionner sur les effets de leur séparation, de leur divorce et d'aborder leurs responsabilités en tant que parents tant sur le plan éducatif que financier, et ce dans le cadre du respect du Droit de l'autorité parentale. Inversement, dans le cadre du contentieux familial, se séparer sans se déchirer, reconstruire le lien de co-parents en bonne intelligence, n'est pas possible. L'élaboration de tout le travail d'apaisement, et de pacification, se fait dans l'espace de médiation. Par ailleurs, il est des situations où le processus de médiation est difficile voire impossible à mettre en place et atteint ses limites, c'est le cas de violences intra-conjugales (physiques, économiques ou morales).
Que préconisez-vous pour une bonne réussite de ce processus ? En termes de recommandations, je dirai d'abord, pour garantir l'efficacité du processus de médiation, qu'il est nécessaire de respecter ses principes fondamentaux notamment l'impartialité, la neutralité, l'indépendance et la confidentialité du médiateur. Son utilisation en partenariat étroit avec tous les acteurs judiciaires, permet d'améliorer certaines situations conflictuelles. Afin d'éviter le flou conceptuel, frein réel à son développement et sa promotion, il est donc très important de savoir distinguer la médiation en matière familiale de la médiation généraliste (médiation des organisations et sociale Il convient en outre, de mettre en œuvre des pratiques efficaces de sensibilisation sur les effets des conflits intrafamiliaux qui s'accompagnent de risques évidents. Incontournables, elles doivent être davantage systématisées en direction de tous les acteurs judiciaires, des professionnels et du public. Enfin, l'institutionnalisation de la médiation familiale dans la séparation et le divorce permettra de simplifier la procédure et d'alléger la charge du contentieux familial. Dans ce cadre, le Juge aux affaires familiales pourra enjoindre aux conjoints de rencontrer un médiateur familial. Cette possibilité permettra aux magistrats de ne pas perdre trop de temps à informer, et parfois convaincre les personnes et leurs avocats de l'utilité d'effectuer une médiation. Aussi, à l'initiative des personnes et en amont de la procédure de divorce, la médiation spontanée est un outil efficient d'aide à la décision. C'est de cette façon que la médiation familiale judiciaire pourra être réalisée sur proposition du Juge aux affaires familiales, ou pourra s'initier sur une démarche spontanée des personnes, dite ainsi médiation conventionnelle. C'est de cette façon que la culture de paix, de la communication non-violente se développera, en fortifiant l'harmonisation sociale et renforçant la cohésion du lien social au sein de notre pays, l'Algérie, dont la valeur sûre demeure indéniablement la famille porteuse d'un mieux vivre ensemble. Je suis enthousiaste quant aux perspectives d'avenir et je serai impatiente de partager le succès de la médiation familiale dans mon pays avec vous. K. M.