Voilà la conclusion d'une nouvelle étude sur l'impact du secteur financier sur l'économie des pays développés, menée par des chercheurs suisses. Dérégulation, nouvelles technologies... Les territoires de la finance se sont considérablement élargis ces trente dernières années, la transformant en un secteur de l'économie à part entière dont le potentiel a parfois semblé suffisant pour compenser jusqu'au déclin de l'industrie européenne. Et de fait, le dynamisme de la place londonienne ou la santé décidément inoxydable de l'économie suisse ont fait, naguère, bien des envieux. La crise financière de 2008 a, bien évidemment, terni ces espoirs. N'empêche : à Londres, comme à Genève, Zurich, au Luxembourg ou à Chypre, on a du mal à envisager une vie sans une finance en perpétuelle croissance. Mais qu'en est-il véritablement ? La finance favorise-t-elle la croissance des économies ? Une nouvelle étude, intitulée «The financial sector and the economy : a pillar or a burden (un pilier ou un fardeau ?», commandée par le secrétariat d'Etat à l'Economie (Seco) suisse et réalisée par l'Institut de recherche économique Bakbasel apporte un nouvel éclairage à la question. Ce n'est certes pas la première fois que des économistes se penchent sur les relations entre finance et croissance de l'économie. Les années 1990 étaient plutôt celles de l'enthousiasme, le nouveau millénaire celui du scepticisme. Mais les chercheurs suisses ont choisi un angle original : ils se sont concentrés exclusivement sur l'étude de pays déjà très développés, tous membres de l'Ocde. Autrement dit, des pays dont les «besoins de base» en matière financière (des banques et compagnies d'assurance à peu près fiables, un système de crédit et d'investissement rodé, des marchés financiers développés) sont depuis belle lurette satisfaits.
La finance, c'est comme l'électricité Car, rappellent les auteurs, le rôle de la finance dans une économie ne se limite pas, et de loin, à son poids dans l'emploi ou dans le PIB : la finance est, à leurs yeux, comparable à l'électricité. Sans elle, c'est l'économie toute entière qui devrait fonctionner autrement. Et, à ce titre, la relation bénéfique entre l'existence d'un secteur financier fiable et la croissance économique dans les pays émergents a plusieurs fois été démontrée. Inutile donc, pour eux, d'y revenir. Une fois les besoins financiers de base satisfaits, jusqu'à quel point, en revanche, la finance favorise-t-elle l'économie ? Les chercheurs se sont attachés à plusieurs types d'externalités. Côté «plus», la finance fluidifie les circuits économiques, permettant par exemple de transformer des dépôts à vue en crédits à long terme pour financer des investissements; ou encore en diversifiant les courbes de risques que peut rencontrer un industriel, par exemple. Elle permet aussi une meilleure évaluation des investissements ex-ante, et une utilisation plus efficace des capitaux. Côté «moins», en revanche, une économie reposant trop sur l'endettement risque d'être plus volatile ; des institutions financières trop puissantes induisent une dépendance: personne ne peut plus se permettre de les voir disparaître. Trop développé, un secteur financier «capte» des talents qui n'irriguent plus les autres secteurs. Dans certains cas, les places financières trop puissantes peuvent induire une sorte de «Dutch desease», du nom de la stagflation connue par les Pays-Bas lorsqu'ils ont commencé à exploiter leurs hydrocarbures : l'afflux de capitaux étrangers renchérit la devise, dégradant ainsi la compétitivité du pays. Les chercheurs ont mis toutes ces variables en équation pour arriver à un résultat a priori improbable : les corrélations ne sont souvent pas significatives. Une étude pour rien ? Pas du tout. Car l'absence de corrélation démontre au moins une chose : une finance hyper développée n'a aucun effet particulièrement favorable sur le dynamisme des économies. Bref, rien ne dit qu'elle ne nuise, mais il apparaît qu'elle ne joue pas non plus le rôle moteur que l'on pourrait supposer.
Fuite des cerveaux Mais les auteurs ne se sont pas contentés de ces résultats: ils se sont penchés sur les données régionales des places financières les plus développées de l'OCDE, comme Londres ou Zurich. Partant de l'hypothèse que le secteur financier «irriguait» avant tout le tissu local. Et ils arrivent à des conclusions tout aussi intéressantes : il semble effectivement exister une relation entre poids de la finance et croissance économique régionale. La relation est positive jusqu'à un certain point, mais devient ensuite négative. Trop de finance, en d'autres termes, nuit à la bonne santé du tissu économique régional. Or ce point d'inflexion (environ 8% de l'emploi local) est d'ores et déjà atteint dans certaines des villes étudiées : à Zurich par exemple, où la finance représentait 10,5% de l'emploi en 2010. «Il n'est pas exclu, estiment les auteurs, que cela favorise une fuite des cerveaux au détriment de l'industrie exportatrice, qui souffre déjà du franc fort induit par cette situation de place financière incontournable.» Un point au moins reste cependant à éclaircir : le type d'activité financière pratiqué (assurance, banque privée, trading...) influe-t-il sur les résultats ? C. B. In slate.fr