Les activités informelles existent dans tous les pays, y compris les plus développés et les mieux administrés. Les études très bien élaborées situent ce secteur à moins de 3% dans la zone OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique) en situation normale. Il est reconnu qu'en période de récession -baisse de l'activité et hausse du chômage - le phénomène s'amplifie un peu partout. Mais il y a des disparités criardes entre les différents pays. En Allemagne, il se situerait à moins de 2% du produit national (production de biens et de services). En Italie, il serait plus de 13% du PIB. Il n'est pas considéré par les analystes comme un indicateur fiable d'efficacité ou de performance économique. Néanmoins, de nombreux observateurs font la relation entre la taille de ce «secteur» et la qualité de la régulation économique. Ainsi, dans certains pays d'Afrique, la taille de l'informel dépasse les 75% de l'économie formelle. A ce seuil, il y a consensus : l'économie formelle est grandement mise en danger. En Algérie, les estimations varient de 15 à 35% et parfois même sans vérification aucune, on avance le chiffre de 45%. La première problématique serait de mieux situer son ampleur, ses mécanismes et les secteurs les plus importants qu'il pénètre. Nous avons eu une étude très intéressante commandée puis rendue publique par le FCE. Elle est pleine d'enseignements. Mais nous avons besoin de beaucoup d'autres pour être plus rassurés sur les conclusions. Avantages et ravages de l'informel L'activité informelle est une indication que des lacunes de gouvernance existent. La nature a non seulement horreur du vide, mais également de l'inefficacité. Dès lors que le système économique et social est mal conçu, on a toutes sortes «d'initiatives correctrices» qui se développent. Si pour des raisons culturelles et historiques, les ménages algériens préfèrent que les vendeurs se rapprochent des habitations et si par ailleurs, les distributeurs officiels ne comprennent pas cela, alors nous aurons une démultiplication de marchands ambulants. En remplissant une fonction sociale, le marché informel a quelques utilités. Par ailleurs, il joue comme une soupape de sécurité contre des fléaux connus comme le chômage. Contrairement à ce que l'on pense, sa présence est plutôt anti-inflationniste. Par les nombreux secteurs productifs et distributifs qu'il recèle, il contribue à amplifier l'activité économique et donc à accroître l'offre. Cependant, c'est un secteur qui exploite toute faille pour exercer des pressions sur la hausse des prix par ses pratiques spéculatives. Mais sur le long terme, son activité est plutôt anti-inflationniste. Nous pouvons tous identifier des moments où il a plutôt contribué à la flambée des prix (durant le mois de carême par exemple). Mais nous ne percevons pas correctement son impact à long terme sur la stabilisation des prix. On peut lui identifier un certain nombre d'avantages. Mais ses inconvénients sont énormes. Le secteur informel gangrène l'économie formelle et déstructure grandement le tissu économique et social d'une nation. Il introduit une concurrence déloyale qui ravage l'économie. En ne payant ni taxes ni cotisations sociales, il peut proposer des prix bas et mettre à mal les citoyens qui activent normalement en respectant les lois. Alors tout de suite, un sentiment d'injustice prévaut. Les conséquences sont énormes. Les entrepreneurs officiels vont, pour préserver leurs affaires, activer également, en partie, en noir. Ils ne déclarent que le tiers de leurs activités, voire moins. Les sous-déclarations sont partiellement une riposte à la concurrence déloyale même si quelques entrepreneurs agiraient ainsi quelles que soient les circonstances. La création d'entreprises formelles va également être très faible. Ceci explique, en partie, pourquoi nous créons 70 entreprises par 100 000 habitants par an, alors que des pays similaires en créent 350. Les citoyens se demandent alors quel est l'avantage de se déclarer et d'œuvrer dans la légalité lorsque l'alternative du marché parallèle est plus rentable ? De surcroît, les administrations officielles mènent la vie dure aux entrepreneurs (contrôles multiples, peu de considérations, etc.), alors que le secteur informel ne subit point ces affres. Que faire ? Nous avons beaucoup de débats sur la meilleure manière d'opérer. On prône l'amnistie fiscale, divers appuis pour réintégrer le circuit formel (crédits, locaux) et, enfin, la force publique. Les différentes expériences mondiales (Inde, Brésil, etc.) montrent qu'il ne faut surtout pas s'attaquer violemment à ce secteur si on n'a pas préparé les conditions de son absorption par l'économie formelle. Ces conditions n'existent pas actuellement. Il faut les créer d'abord pour aspirer progressivement ces activités. On ne doit pas se précipiter dans les conditions actuelles pour l'intégrer. On échouera très certainement. Qu'on essaye la répression ou les mesures soft, le résultat serait identique : nous allons créer beaucoup de remous sociaux et des turbulences sans amélioration tangible de la situation. L'intégration nécessite une longue préparation. Nous allons présenter les grandes lignes de ce qu'il convient de faire. En premier lieu, nous devons créer une croissance importante au niveau de l'économie productive et rattraper les retards dans ce domaine. L'objectif est donc clair pour nous : il faudra passer à l'étape de création de plus de 100 000 entreprises par an, tout en finançant celles qui réussissent actuellement, qu'elles soient publiques ou privées. Mais ceci implique une ingénierie très spécifique : création d'un tissu d'incubateurs, formation et orientation des jeunes en vue de la création d'entreprises, nouvelle politique de crédits, etc. Tant que l'économie n'a pas atteint ce dynamisme, on ne peut absorber ce secteur. Dès qu'un acteur sort de l'informel, il sera vite remplacé par un autre. En second lieu, l'environnement des affaires doit s'améliorer grandement. Nous devons avoir une structure des taxes en compétitivité par rapport au reste des pays. Les services d'appui doivent s'élever au standard normal. Si on passe d'une administration bureaucratique à une entité experte, beaucoup de choses changeront. Les administratifs deviendraient des partenaires et des conseillers des entrepreneurs au lieu d'être souvent des adversaires qu'ils sont maintenant. Mais ceci nécessite toute une ingénierie administrative. Nous ne voyons même pas ses prémices actuellement. Lorsque toutes ces conditions seront mises en place, à ce moment-là, l'Etat aura besoin d'un minimum de contraintes pour contraindre les récalcitrants à se conformer à la loi. Mais l'opération sera plus facile parce que toutes les facilités existent pour s'intégrer : aide administrative, crédits, locaux, économie en expansion, taxes raisonnables. Un minimum de force publique produira un maximum d'efficacité. Il se posera nécessairement la question de l'amnistie fiscale et sa forme. C'est une question qui est aussi bien économique que morale. Nous y reviendrons sur ce thème trop long, mais qui nécessite d'être développé dans ce cadre. Nous pouvons conclure que dans le contexte actuel ni les mesures soft ni la force ne peuvent intégrer ou régler le problème de l'informel. Les conditions de sa maîtrise n'existent pas. On ne peut pas éradiquer un phénomène sans s'attaquer aux causes profondes qui le génèrent.