«Nous ne jouons pas pour ceux qui nous ont critiqués, pour leur prouver qu'ils se sont trompés. Nous jouons pour ceux qui nous aiment et qui croient en nous» Qu'est ce qui fait courir Patrice Evra ? La réponse est évidente lorsqu'on se réfère au terrain : le latéral gauche de Manchester United et de l'équipe de France fait autant de kilomètres dans un sens pour coller aux basques des ailiers adverses, que dans l'autre pour prêter main forte à ses attaquants. Au sens plus large, l'ancien Monégasque ne court plus après le succès, puisqu'il a déjà remporté les compétitions les plus prestigieuses en club, dont la Ligue des champions de l'UEFA et la Coupe du Monde des Clubs de la FIFA. Il ne court plus non plus après la reconnaissance, puisqu'il a déjà été désigné meilleur latéral gauche de la Premier League en 2006/07 et, surtout, meilleur joueur du monde à son poste lors de l'année 2009 par le biais du FIFA/FIFPro World XI distinguant le onze de l'année. Alors qu'est-ce qui motive encore le Red Devil qui, à 28 ans, dispute chaque rencontre comme si c'était sa première ? Voici sa réponse. Patrice, vous avez été honoré par le Prix FIFA/FIFPro World XI distinguant le meilleur onze de l'année 2009. Ce qui signifie que vous avez été désigné le meilleur du monde à votre poste par l'ensemble des joueurs professionnels. Qu'est-ce que cette distinction vous inspire ? C'est une grande satisfaction et une source de fierté, à plus forte raison quand ceux qui m'ont sélectionné exercent mon métier. Je tiens simplement à les remercier et j'espère continuer à faire ce que je sais faire de la meilleure des manières pour qu'ils continuent à m'apprécier. Cette distinction vient couronner une année 2009 riche d'un point de vue personnel. Si vous ne deviez en retenir qu'un seul moment, lequel serait-ce ? Au risque de surprendre, la seule chose que je retiens de cette année, c'est le pire moment : la défaite en finale de Ligue des champions contre Barcelone. C'est ce qui me reste en tête, parce que je suis un gagneur. Certes, on a remporté le championnat et la Carling Cup, mais ne pas avoir gagné à nouveau cette compétition est le moment le plus marquant. Ce mauvais souvenir m'a touché davantage que les autres grands moments de la saison. Par rapport à l'année précédente, qu'a-t-il manqué à Manchester pour réussir à conserver son trophée ? Si Barcelone a gagné, c'est d'abord parce qu'ils ont très bien joué. Mais je suis quand même frustré parce que j'ai le sentiment qu'on n'a pas montré le vrai visage de Manchester United. Nous étions un peu trop confiants et sûrs de nos forces. Et on s'est fait cueillir à froid… Vous avez tout gagné avec Manchester United, dont la Ligue des champions de l'UEFA et la Coupe du Monde des Clubs de la FIFA en 2008. Comment abordez-vous l'année 2010 en termes d'objectifs et de motivation ? On démarre chaque saison avec les mêmes intentions : l'envie d'arriver au bout de chaque compétition. Avec Manchester United, gagner un titre par saison ne suffit pas. Il faut en gagner plusieurs, voire tous. Cette année, l'objectif principal est de gagner un quatrième championnat d'affilée, ce qui serait historique. Mais on espère aussi gagner à nouveau la Ligue des champions, parce qu'on a tous en travers de la gorge la finale perdue l'an dernier. Personnellement, je l'ai déjà gagnée, mais l'objectif de ma carrière est de la gagner trois fois. J'ai joué trois finales (avec Monaco en 2004, et Manchester United en 2008 et 2009), j'en ai perdu deux. Mon objectif est d'en gagner encore, sachant qu'ensuite, on peut participer au tournoi nous permettrait de redevenir champions du monde des clubs. Outre les objectifs avec votre club, l'évènement de l'année est évidemment la Coupe du Monde de la FIFA 2010. La qualification de l'équipe de France, en barrage contre la République d'Irlande, a été acquise dans des conditions difficiles. Comment avez-vous vécu ce moment ? En reparler, c'est revenir dans le passé. Et je préfère me tourner vers l'avenir. Aujourd'hui, je ne regarde que vers la Coupe du Monde, avec l'objectif d'aller la gagner. On s'est certes qualifiés par la petite porte, mais quel que soit le chemin par lequel on est passé, l'essentiel est d'y être. Maintenant je suis tourné vers l'Afrique. Pour moi, c'était important d'y participer, parce que je suis d'origine africaine et je sais que le continent supporte beaucoup l'équipe de France. C'est donc une grande joie aussi pour tous les Africains de nous voir à cette Coupe du Monde. Lors du tirage au sort final au Cap en décembre dernier, la France a été versée dans le Groupe A. Outre le Mexique et l'Uruguay, elle affrontera l'Afrique du Sud. Comment abordez-vous ce rendez-vous particulier face au pays hôte ? C'est un privilège de rencontrer le pays organisateur. J'imagine que l'ambiance dans le stade sera énorme. Ils auront la pression car ils se doivent de faire une belle Coupe du Monde devant leur public. Ce sera difficile, mais je considère ce match comme une belle fête. Comment jugez-vous ce tirage au sort ? Certains l'ont considéré comme clément pour l'équipe de France. C'est aussi votre avis ? Une coupe du monde est toujours spéciale. Chaque joueur se bat pour représenter son pays et rêve de devenir champion du monde. Donc tous les adversaires sont difficiles. Mais il ne faut pas faire la fine bouche, on aurait effectivement pu avoir un pire tirage. Mais ça ne veut pas dire que ce sera facile. Le Mexique fait toujours de belles Coupes du Monde, l'Afrique du Sud à domicile fera tout pour ne pas sortir au premier tour, et l'Uruguay est une équipe franchement difficile à jouer. Quoi que les gens en disent, pour moi ce n'est pas du tout un groupe facile. Une chose est sûre, si l'équipe de France n'est pas à son meilleur niveau, elle ne passera pas le premier tour. Justement quel est réellement le niveau de l'équipe de France ? Avec autant de joueurs de qualité, comment expliquer l'échec de l'UEFA EURO 2008 et les difficultés lors des qualifications pour l'Afrique du Sud 2010 ? L'Euro, je considère que c'est un grand gâchis. C'est frustrant car, quand on regarde les joueurs qui composent cette équipe, ils jouent tous dans les plus grands clubs du monde. Et ils y jouent un rôle important ! Mais en équipe de France, la star ne doit pas être tel ou tel joueur, mais l'équipe dans son ensemble. On travaille de plus en plus pour cela. Quant aux éliminatoires, le simple fait d'être obligé d'aller en barrage pour se qualifier, ce n'est pas normal. Certes, nous nous sommes qualifiés, mais on ne peut pas en être fier. C'est pour cela qu'on n'a pas fêté particulièrement cette qualification. On aurait dû faire le boulot avant, on en est conscient. Il faut que durant toute notre préparation, nous prenions bien conscience de nos qualités et du fait que l'équipe de France est la chose la plus importante, avant notre satisfaction personnelle. Avec de telles qualités, on ne peut pas se permettre de ne pas faire un grand Mondial. La qualification délicate et les critiques qui ont suivi peuvent-elles déstabiliser l'équipe ou, au contraire, la souder davantage ? Des équipes comme la France ou l'Argentine, qui ont souffert mais qui sont de grandes nations, feront un grand tournoi. J'en suis persuadé. Etre arrivés où nous sommes aujourd'hui, nous ne le devons qu'à nous-mêmes. Personne ne nous a aidés. On a vécu des moments difficiles pendant deux ans, on nous a tapé dessus, mais cela nous a unis davantage. Désormais, on a la rage. Mais nous ne jouons pas pour ceux qui nous ont critiqués, pour leur prouver qu'ils se sont trompés. Nous jouons pour ceux qui nous aiment et qui croient en nous. Pour eux, nous donnons le meilleur de nous-mêmes. Pour conclure, après le match décisif contre la République d'Irlande, avez-vous eu l'occasion de parler avec votre coéquipier irlandais de Manchester John O'Shea ? Bien sûr. On a pris le même avion pour rentrer à Manchester, avec six Irlandais. Il était content pour moi et m'a dit que malgré tout ce qui s'était passé, il espérait qu'on allait faire un grand tournoi. Je ne veux pas revenir encore sur cet épisode (la main de Thierry Henry), mais je considère simplement que c'est un fait de jeu, de la même manière qu'on aurait pu bénéficier d'un penalty au match aller. Je le répète, c'était un fait de jeu comme un autre. Maintenant, la France est à la Coupe du Monde et c'est le plus important.