La France va lancer un grand emprunt pour financer un "nouveau modèle de croissance" tirant les leçons de la crise financière et économique actuelle, a annoncé Nicolas Sarkozy. Une annonce faite pour frapper les esprits, lors de la première intervention d'un chef de l'Etat français depuis 1875 devant les sénateurs et députés réunis en congrès à Versailles, la seule véritable nouveauté dans un discours de 45 minutes. Le précédent grand emprunt a été lancé en juillet 1993 par le Premier ministre de l'époque, Edouard Balladur, dont Nicolas Sarkozy était ministre du Budget, face, déjà, à une récession. Près d'un million et demi d'épargnants s'étaient alors rués sur cet emprunt à 6% et ont récupéré leur mise quatre ans plus tard - quelque 90 milliards de francs (13,7 milliards d'euros). Le premier travail du gouvernement, qui sera remanié mercredi, sera de réfléchir à des "priorités nationales" et à un emprunt pour les financer, a dit Nicolas Sarkozy. Il a promis que cet emprunt, levé soit sur les marchés financiers soit auprès des Français, financerait "exclusivement" des "priorités stratégiques" et de "bons investissements". "Notre avenir va se jouer sur l'investissement, notre avenir va se jouer sur la place que nous allons donner à la production et au travail dans notre nouveau modèle de croissance", a fait valoir Nicolas Sarkozy, qui a promis une large consultation avec le parlement et les partenaires sociaux. "Pendant trois mois, nous en discuterons ensemble : quels sont les quelques secteurs stratégiques et prioritaires pour préparer l'avenir de la France une fois la crise refermée ?" a-t-il expliqué. Les décisions sur le montant et les modalités de l'emprunt seront prises au terme de ce débat. La crise devait être l'occasion pour la France de rattraper ses retards d'investissement, "et même de prendre de l'avance", a dit le chef de l'Etat. Il a cité l'aménagement du territoire, l'éducation, la formation professionnelle, la recherche, la santé, l'innovation, qui demandent des moyens considérables. "Nous ne pourrons pas les satisfaire dans le strict cadre budgétaire annuel", a prévenu Nicolas Sarkozy, pour qui il n'est "pas anormal de financer l'investissement par l'emprunt". Cet argument laisse cependant sceptique l'économiste Marc Touati de Global Equities, selon qui la France, dont la dette publique devrait avoisiner 80% du PIB en 2009, n'est pas vraiment en situation de recourir à ce type d'expédient. "Une dépense publique revisitée et efficace oui, une augmentation de la dette publique pour faire oublier les déficits, certainement pas !", écrit-il dans un communiqué. Le ministre du Budget, Eric Woerth, avait préparé dimanche les esprits par une salve de chiffres alarmistes. Il a annoncé un déficit public de 7% à 7,5% du PIB en 2009 et 2010. Nicolas Sarkozy a réaffirmé qu'il n'entendait ni mener une politique de rigueur ni augmenter les impôts. Il a en revanche dit vouloir "porter le fer" dans les dépenses de fonctionnement de l'Etat et des administrations publiques au sens large en ciblant celles "qui s'avèreront inutiles ou non prioritaires". Il a promis d'aller jusqu'au bout de la réforme de la carte administrative, "pour éviter une déperdition de moyens", de ne pas reculer sur la règle du non remplacement d'un départ sur deux à la retraite dans la fonction publique et d'aller "plus loin" dans la maîtrise des dépenses de santé. De même, il s'est engagé à aller "jusqu'au bout" d'une réforme des collectivités territoriales qui promet de se heurter à des résistances jusque dans la majorité, dont de nombreux députés et sénateurs sont aussi des élus locaux. "Nous ne nous déroberons pas devant la réduction du nombre des élus régionaux et départementaux", a dit Nicolas Sarkozy. Pas question non plus d'éluder la question des "niches sociales", qui coûtent cher à la Sécurité sociale, ou de la réforme des retraites, a encore promis le chef de l'Etat. "Nous ne laisserons pas un euro d'argent public gaspillé", a-t-il résumé, demandant au Parlement d'identifier les dispositifs inutiles, les aides dont l'efficacité n'est pas démontrée et "tous les organismes qui ne servent à rien". Il a promis des décisions fortes avant la fin de l'année. Nicolas Sarkozy a assuré que l'intégralité des recettes de la reprise serait consacrée à la résorption du déficit public imputable à la baisse des recettes fiscales et à la hausse des dépenses sociales liées à cette crise. Quant au déficit structurel, il devra être "ramené à zéro" par les "réformes courageuses" que le prochain gouvernement mettra en priorité à son calendrier, a-t-il ajouté.