Dix personnes ont été tuées et près de 500 blessées en trois jours au Caire dans des heurts qui se poursuivaient, hier, entre forces de l'ordre et manifestants anti-armée, les deux camps échangeant des accusations de brutalité et de vandalisme. Ces violences sont les plus graves depuis les affrontements similaires qui avaient fait 42 morts, principalement au Caire, quelques jours avant le début le 28 novembre des premières législatives après la chute du président Hosni Moubarak. Les affrontements, essentiellement à coups de pierres, se concentraient autour d'un barrage de barbelés et de tôle installé par les forces de l'ordre sur une rue adjacente à la grande avenue conduisant de la place Tahrir, haut lieu de la contestation, au siège du gouvernement. L'avenue était barrée depuis samedi par un mur en béton afin d'empêcher les manifestants d'approcher du siège du gouvernement, où la confrontation avait débuté vendredi matin. Autour de la place Tahrir, les protestataires brandissaient la Une d'un quotidien créé après la chute du président Hosni Moubarak qui montrait la photo d'une manifestante voilée, dont les soldats découvraient le soutien-gorge et le ventre en la frappant et en la traînant sur la chaussée. Cette photo, ainsi que d'autres montrant des militaires adressant des gestes obscènes aux manifestants, circulaient largement sur les réseaux sociaux. Le Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui dirige l'Egypte depuis le départ de M. Moubarak, en février, a pour sa part publié, avant-hier, sur Facebook et Youtube des images du saccage d'un bâtiment gouvernemental vendredi, avec ce commentaire: "N'est-ce pas notre droit de protéger la propriété du peuple?". Hier, des manifestants pénétraient dans le bâtiment encore fumant de l'Institut d'Egypte, incendié la veille, pour en extraire des manuscrits anciens, dont une partie était brûlée. Le ministre de la Culture Chaker Abdel Hamid, a qualifié ce sinistre de "catastrophe pour la science", et annoncé la "formation d'un comité de spécialistes de la restauration des livres et des manuscrits quand les conditions de sécurité le permettront". "Le bâtiment contenait des manuscrits très importants et des livres rares dont il est difficile de trouver l'équivalent dans le monde", a-t-il déclaré, avant-hier, soir, faisant état d'efforts associant "des jeunes de la Révolution, du Conseil supérieur de la Culture et des restaurateurs pour sauver ce qui peut l'être". L'établissement a été fondé en 1798 au cours de l'expédition en Egypte de Napoléon Bonaparte afin de faire progresser la recherche scientifique. Le Premier ministre Kamal el-Ganzouri a mis en garde, avant-hier, contre un risque de "contre-révolution", assurant que "ni l'armée ni la police n'avaient ouvert le feu" sur les manifestants. "Ceux qui sont à Tahrir ne sont pas les jeunes de la révolution", a affirmé M. Ganzouri. "Ce n'est pas une révolution, mais une contre-révolution", a-t-il ajouté en mettant les violences sur le compte d'"éléments infiltrés". Le parquet a ordonné le maintien en détention pour quatre jours de 17 personnes arrêtées, avant-hier. Le ministère de la Santé a annoncé, avant-hier soir, un bilan de 10 morts et près de 500 blessés en trois jours. Les affrontements avaient débuté vendredi entre les forces de l'ordre et des manifestants qui campaient depuis fin novembre devant le siège du gouvernement pour protester contre la nomination par l'armée de M. Ganzouri, ancien chef du gouvernement sous M. Moubarak. Les manifestants réclament également la fin du pouvoir militaire qui s'est mis en place au départ de M. Moubarak, visant en particulier le chef de l'armée et chef de l'Etat de fait, le maréchal Hussein Tantaoui. Ces violences ont occulté la tenue sans incident majeur de la deuxième phase, des élections législatives, qui devraient conforter la nette domination des formations islamistes, au détriment des partis libéraux et des mouvements issus de la révolte anti-Moubarak. La première phase du scrutin, dans un premier tiers du pays, a donné 65% des voix aux partis islamistes, dont 36% pour les Frères musulmans et 24% pour les fondamentalistes salafistes. Nouvel attentat contre le gazoduc fournissant Israël et la Jordanie Le gazoduc égyptien fournissant Israël et la Jordanie a été visé par un nouvel attentat, hier matin, le dixième depuis le début de l'année, a-t-on appris auprès des services de sécurité égyptiens. L'explosion a eu lieu au sud de la ville d'al-Arich, dans le nord du massif du Sinaï, sur une section en cours de réparation, qui ne contenait pas de gaz. La précédente attaque, le 28 novembre, avait été attribuée à des saboteurs. Elle avait eu lieu également dans la région d'al-Arich, quelques heures avant le début des élections législatives toujours en cours en Egypte. Les autorités ont annoncé à plusieurs reprises des mesures pour renforcer la protection de ces installations et tenter d'arrêter les auteurs de ces attentats, non revendiqués. Les livraisons de gaz naturel à l'Etat hébreu conclues du temps du président Hosni Moubarak, renversé en février dernier, sont très critiquées dans l'opinion et la classe politique égyptienne. L'Egypte fournit 43% du gaz naturel consommé en Israël, où 40% de l'électricité est produite à partir de cette source d'énergie. Le gaz égyptien couvre par ailleurs 80% des besoins de la Jordanie pour la production d'électricité, soit 6,8 millions de mètres cubes de gaz quotidiennement importés. La péninsule égyptienne du Sinaï est particulièrement sensible sur le plan sécuritaire en raison des tensions avec la communauté bédouine qui y vit. De multiples trafics avec l'enclave palestinienne de Gaza passent par le Sinaï, également accusé par Israël de servir de base arrière pour des attaques de militants radicaux contre son territoire.