Le peuple algérien célèbre aujourd'hui le double anniversaire de l'attaque du Nord-Constantinois du 20 août 1955 et la tenue du congrès de la Soummam du 20 août 1956 qui ont été deux étapes importantes du déroulement de la Révolution algérienne. Deux événements historiques qui ont constitué les moments forts pour la consolidation de la lutte armée et par la permanence de la mobilisation populaire, le combat pour la récupération de la souveraineté nationale. A partir de là, le combat libérateur du peuple algérien s'est radicalisé contre le colonialisme et la jonction entre ces deux dates avec la Déclaration du Premier Novembre 54, la véritable forme de la nature de la lutte de Libération nationale s'est amplifiée et retentit à travers le monde entier. Les journées de manifestations du Nord-Constantinois constituent à bien des égards une répétition de celles du 8 mai 45 à Sétif, Guelma et Kherrata. C'est-à-dire un point de non-retour. A l'initiative de Zighout Youcef, responsable du Nord-Constantinois, le mot d'ordre a été donné pour cette mobilisation dans le but de montrer la force de la Révolution algérienne à travers les capacités du FLN-ALN de mobiliser le peuple quant à la poursuite du combat libérateur. C'est aussi, l'occasion pour le FLN de contrecarrer les avances faites par Soustelle à certains Algériens qu'on disait à l'époque modérés. Le 20 août 1955 commençait l'un des épisodes les plus meurtriers de la guerre d'Algérie ; les massacres du Nord-Constantinois. Cet événement majeur fut, de par sa violence, le véritable tournant d'une guerre longtemps occultée sinon niée. Le drame algérien de ces journées de plomb, de feu et de sang eut un écho jusqu'aux Etats-Unis. Les massacres du 20 août 1955 déchirèrent à jamais les communautés et firent prendre conscience à la communauté musulmane que l'armée française ne se considérait pas dans un département français mais en territoire étranger ennemi. Combien de personnes périrent lors de ces journées infernales qui ont suivi le 20 août ? Nul ne le sait avec certitude. Les sources officielles françaises de l'époque parlent de 1 200 morts, d'autres sources, notamment le New York Times, évoque plus de 12 000 morts. Quoi qu'il en soit, le nombre de disparus constaté par les autorités après l'indépendance pour cette région s'élève à plus de 15 000 personnes dont on n'a jamais retrouvé les corps. C'était l'époque où la terreur régnait en Algérie au point où un administrateur civil français qui osait contester ou critiquer les méthodes très expéditives des militaires était sommairement abattu, sans autre forme de procès. Jacques Soustelle, nommé en janvier 1955 gouverneur d'Algérie, à la première revue des dépêches qui lui parvenaient de Constantine, prend immédiatement l'avion. Il débarque à Constantine qui n'est plus une ville en état de siège, sillonnée par des patrouilles militaires, jonchée de débris de meubles, de chaussures abandonnées dans des flaques de sang et de cadavres. Sur place, il ordonne le " tout-répressif ", il laisse aux officiers supérieurs de l'armée française carte blanche. Les témoignages abondent dans ce sens : Edouard Valéry, capitaine au 3éme Régiment des Tirailleurs se rappelle : " Au Khroub, situé à une quinzaine de kilomètres de Constantine, toute la journée du 21 août, des camions militaires chargés de civils algériens arrivent à la gendarmerie : plus de cent cinquante hommes de tous âges sont entassés dans la cour, venant semble-t-il, des régions de Aïn-Abid et Oued-Zénati ". Un lieutenant de la subdivision de Constantine vient du Khroub, chargé, dit-il, d'une mission de répression. " Le même soir, arrivent aussi une section de la Légion étrangère commandée par un sous-lieutenant et une section de tirailleurs sénégalais appartenant au 15e RTS. Le lendemain, 22 août 1955, de très bonne heure, alerté par de longues rafales de pistolet-mitrailleur, tirées non loin de-là, en direction du sud-est et par un mouvement de camions, qui partaient de la gendarmerie ou y revenaient, je me dirige rapidement vers celle-là. Au premier coup d'œil je comprends ce que voulait dire l'expression " mission de répression " !... La cour où étaient entassés les Algériens est vide…Le détachement de la Légion, arrivé la veille au soir, est en train d'exécuter les prisonniers, tandis que les tirailleurs sénégalais, fusil-mitrailleurs en batterie, ont pris position autour de la gendarmerie. Le drame se lit sur les visages de tous les militaires ou gendarmes que je rencontre. Le lieutenant G, commandant de la 64éme CRD que je rejoins, est très pâle. Avec lui, nous avons juste le temps d'empoigner et de retenir deux enfants de dix ans environ que l'on s'apprête à embarquer dans le dernier camion qui démarre avec son chargement d'Algériens. Un homme assez jeune, amputé des deux jambes, est jeté dans le camion qui roule déjà. " " Le lieutenant de la CRD me fait alors, bouleversé, le récit rapide des scènes d'atrocités dont il vient d'être témoin…Les Algériens sont amenés par groupe de dix, au bord d'une grande fosse creusée à la hâte. Ils font leur prière et sont abattus à bout portant par les légionnaires… Vers 8h30, le lieutenant de la CRD de Constantine, qui semble être le patron de l'opération, revient à la CRD et téléphone devant moi à son état-major, pour rendre compte à mots à peine couverts de sa mission : ''Envoyez-moi, dit-il, deux bulldozers pour les travaux de terrassement, avec des pelles et des pioches il faudrait du temps''. La réalité était là dans toute sa brutalité.