« Il n'y a pas d'avenir sans mémoire » Jacques Chirac, le 6 juin 2004 à Arromanches 16h20. Etienne Gérard, Maréchal de France, ministre de la Guerre sous Louis-Philippe déclarait en 1832 : « Il faut se résigner à refouler au loin, à exterminer même la population indigène. Le ravage, l'incendie, la ruine de l'agriculture sont peut-être les seuls moyens d'établir solidement notre domination. » Le bilan des méfaits causés dans les trois premières années de la colonisation est extrêmement lourd, il peut être dégagé du rapport de la commission d'enquête parlementaire envoyée en Algérie en1833 : « Nous avons réuni au Domaine les biens des fondations pieuses ; nous avons séquestré ceux d'une classe d'habitants que nous avions promis de respecter ; nous avons commencé l'exercice de notre puissance par une exaction (un emprunt forcé de 100 000 FF) ; nous nous sommes emparés des propriétés privées sans indemnité aucune et le plus souvent, nous avons été jusqu'à contraindre des propriétaires expropriés de cette manière à payer les frais de démolition de leurs maisons et même d'une mosquée... Nous avons massacré des gens porteurs de sauf conduits, égorgé sur un soupçon des populations entières... » Imaginons un instant que la télévision et Internet aient existé à cette époque !... Ce déchaînement de cruauté, d'exactions va se poursuivre durant plus de cinquante ans. Les auxiliaires de Bugeaud : les Pelissier, les Saint-Arnaud, les Rovigo, les Montagnac, les Lamoricière et les Cavaignac ont laissé des témoignages de ces exterminations massives : « Nous tirons peu de coups de fusil, nous brûlons les douars, tous les villages, toutes les cahutes », (Saint-Arnaud 5 avril 1842). Le duc sans honneur de Rovigo déclarait : « Apportez des têtes, des têtes ! Bouchez les conduites d'eau crevées avec la tête du premier bédouin que vous rencontrerez. » C'était l'époque où la paire d'oreilles était payée 10 francs, où l'on vendait femmes et enfants par centaines, c'était l'époque des « enfumades », de tribus entières réfugiées dans des grottes (Cavaignac chez les sbeahs, Pelissier chez les ouled Riah en 1845, suivis par Saint-Arnaud). Le colonel de Montagnac écrit dans ses Lettres d'un soldat : « Selon moi, toutes les populations qui n'acceptent pas nos conditions doivent être rasées. Tout doit être pris, saccagé sans distinction d'âge ni de sexe... L'herbe ne doit plus pousser là où l'armée française a mis le pied. » Depuis 1881, l'Algérie vivait sous le régime de l'odieux code de l'indigenat et de ses lois d'exception avec leurs 41 infractions spéciales aux indigènes : soumission aux tribunaux répressifs, pour se déplacer hors de leur douar, les Algériens devaient demander, comme les esclaves noirs des Antilles, un permis de circulation... A la suite de la moindre plainte, ils pouvaient encourir une peine de cinq jours de prison et une amende de 15 FF. Ils pouvaient être jetés en prison sans jugement pour un temps indéterminé. L'Algérien, dont la chèvre a le malheur d'être surprise dans la forêt, se voit dans l'obligation de vendre tout son troupeau pour payer l'amende sans pour autant échapper à la prison. Outre la confiscation des biens habous, ce code consacrait l'inégalité devant la conscription, devant l'impôt, devant l'instruction. En 1894, le Conseil supérieur de l'Algérie proclamait que « l'Arabe est une race inférieure et inéducable » et « émet le vœu que l'instruction primaire des indigènes soit supprimée ». Ce vœu sera réitéré par le Congrès des maires d'Algérie en 1908 ! Moins d'analphabÈtes qu'en France ! L'Algérie de 1830 comptait moins d'analphabètes que la France de cette époque. En 1956, elle comptera 80% d'analphabètes totaux et 14% de demi-analphabètes ! En 1911, des centaines de Tlem-céniens préférèrent l'exil en Syrie plutôt que de vivre sous un régime qui portait atteinte à leur dignité. Ils allaient grossir le lot des exilés de 1871. D'autres exodes suivront. Telle était la situation des Algériens quand, le 3 août 1914, l'Allemagne déclarait la guerre à la France. Il y a 90 ans éclatait la Première Guerre mondiale. Cette guerre se soldera en 1918 par une terrible saignée dans les rangs algériens qui, à aucun moment, « n'ont offert leurs services à la France par esprit de patriotisme ou d'attachement réel », comme le soulignait le gouverneur général Ch. Lutaud. D'une enquête faite par le général Menestrel à la demande du ministre de la Guerre, il ressort que : du fait de la misère, les femmes étaient devenues les meilleurs agents de recrutement. Pour beaucoup de familles, la sécurité allait être assurée grâce au sacrifice des fils. Les caïds étaient notés en fonction du nombre d'engagements procurés et les cheikhs des confréries maraboutiques appuyèrent le pseudo-recrutement par des tournées de propagande. Il était fait obligation aux douars de fournir un contingent déterminé et les suppôts de la colonisation l'ont naturellement constitué des « fortes têtes », des indésirables et les pauvres qui ne pouvaient offrir à leurs caïds la prébende dispensatrice de l'enrôlement sous les drapeaux. Beaucoup de recrues refusèrent de combattre ; emmenées de force, elles ne voulaient pas s'engager dans une guerre qui n' était pas la leur ! Le maréchal Joffre imposa dès lors aux officiers et aux sous-officiers de « forcer l'obéissance » en abattant ceux qui refusaient de combattre. Le général Blanc abattra de sa main, le 23 septembre 1914, douze tirailleurs. Le général de Bazelaire fit fusiller dix tirailleurs tirés au sort dans une compagnie qui avait refusé de combattre. Ces deux généraux reconnurent que ces exemples n'étaient d'aucun effet. Les Algériens qui combattirent le firent surtout pour sauver d'abord leur peau. S'ils devinrent des héros, c'est quelquefois bien malgré eux. Des résistances au recrutement se transformèrent en révoltes ; chez les Beni Chougrane, dans la région de Mascara, en octobre 1915, dans le Sud-Est constantinois particulièrement dans les Aurès en 1916/1917. La répression fut féroce et sanglante. Le 28 décembre 1920, un député conservateur reconnut les exactions de son régiment : « Nous avons, dit-il, brûlé des villages sans rime ni raison, alors que nous savions que les habitants avaient leurs fils au front. » Cela n'avait pas gêné pour autant le président du Conseil Georges Clémenceau « Le Tigre » de réclamer des renforts : « Nous sommes à bout de force, nous avons perdu trois millions d'hommes... » Les renforts les plus importants seront fournis par l'Algérie. Victor Spielman, dans une brochure parue en 1938 sur l'Emir Khaled écrivait : « Voici du reste un tableau statistique publié par la Revue indigène de Paris sur les Français et les indigènes pris dans la guerre 14/18. Mobilisés : 172 294 Français, 233 412 indigènes Morts/disparus : 118 224 Français , 161 377 indigènes Blessés : 54 070 Français, 72 035 indigènes Sans commentaires ! » Un autre président du Conseil, Edouard Daladier, « Le taureau du Vaucluse », reconnaîtra que le sang des blessés et des morts algériens ont « fait l'économie du sang français ». Le souffle de révolte qui n'a jamais cessé de se manifester et l'espoir d'une libération étaient toujours vivaces dans l'esprit populaire qui les célébrait dans des chants : « Ya lafransis wach fi balek, Djazair machi lik Idji lalman yadihalek, labouda tardjaa kif zman » (Eh Français ! que t'imagines-tu ? Alger n'est pas à toi Viendra l'Allemand qui te la prendra. Il est indéniable qu'elle redevienne comme elle était jadis). Un cadi fut traduit devant le conseil de guerre pour avoir écrit à une personnalité italienne : « J'espère qu'il se produira une grande révolution qu'on pourra appeler la Révolution algérienne... » et conclut dans une autre lettre : « Vive la paix ! Vive l'Afrique du Nord indépendante... » Un déserteur parmi tant d'autres, le lieutenant Rabah Boukabouya, réfugié à Istanbul, adressait un mémoire au président américain Wilson à la veille du Congrès de Versailles, dans lequel il revendiquait l'indépendance de l'Algérie au nom du Comité des patriotes algériens. Le pari de l'Émir Abdelkader Au lendemain de la Grande Guerre, l'Emir Khaled ancien capitaine de spahis, décoré de la légion d'honneur, va essayer, dans le cadre de « la légalité coloniale », de lutter pour l'émancipation du peuple. En 1923, après avoir été en butte au terrorisme administratif sous toutes ses formes, il sera exilé en Egypte. Il s'était aperçu bien vite que « les lois du 11 juillet 1914 et du 4 février 1919 ne sont qu'un leurre, un trompe-l'œil destiné à faire croire au monde civilisé que les indigènes algériens ont des droits politiques... ». L'Emir Khaled banni d'Algérie reviendra en France en 1925. Le 11 mai, il écrivait à V. Spielman : « C'est cette masse ignorante et passive aujourd'hui qui aidera un jour proche, je l'espère, à sa propre libération... ». Il deviendra le président d'honneur de la première Etoile nord-africaine en février 1926. L'ignoble code de l'indigenat mis en veilleuse reprendra du « poil de la bête ». L'annus mirabilis (décret du 1er mai 1930) n'y avait apporté que la suppression des tribunaux répressifs mais le décret Regnier du 30 mars 1935 punira de trois mois à deux ans d'emprisonnement « quiconque aura provoqué à des désordres ou à des manifestations contre la souveraineté française ou à la résistance contre l'application des lois, règlements ou ordres de l'autorité ». Alors que le Vatican prédisait pour l'Europe la perte de toutes ses colonies dans une quarantaine d'années, l'Eglise catholique en Algérie pensait que pour aboutir à l'assimilation, il fallait mener de pair évangélisation et patriotisme. En France, la gauche prônait l'assimilation, la droite l'association et l'extrême droite la cœxistence « avec l'obligation pour le plus fort d'être prudent et doux ». C'était l'apartheid avant l'heure ! L'opinion algérienne prédisait quant à elle que si les Français célébraient le premier centenaire de l'Algérie française, ils ne célébreront pas le second. La situation socioéconomique peut être résumée par des phrases d'un reportage de La Dépêche Algérienne du 23 janvier 1933 : « Ce qu'ils mangent ? ... ils déterrent les racines de talrouda (terrenoix) dont ils font une espèce de farine... Il est des régions où l'on a saisi et vendu les trois chèvres et l'âne qui leur restaient pour régler le fisc ! » C'est aussi l'exode vers les villes où vont pousser comme des champignons les bidonvilles. Avec le succès en 1936 du Front populaire, l'ancien gouverneur Maurice Violette, devenu ministre d'Etat dans le gouvernement Léon Blum, va reprendre son « projet » d'« intégrer les Algériens dans la cité française ». Il proposera le 17 juillet 1936 au gouvernement les trois premiers décrets pour trancher le statut électoral des Algériens sans qu'ils aient à renier leur religion. La loi ne paraîtra que le 30 décembre de la même année au Journal officiel. Le 7 juin 1936, la Fédération des élus, les Ulema et les communistes réunirent le « Premier congrès musulman » qui demandait entre autres dans une plate-forme le rattachement de l'Algérie à la France. Elle fut rejetée par Léon Blum « Gérant loyal » de l'empire, qui soutiendra le projet Violette d'extension des droits politiques à l'élite algérienne. Ce projet qui aura l'adhésion des représentants du Congrès musulman sera catégoriquement rejeté le 27 décembre 1936 par l'Etoile nord-africaine. Le projet Blum-Violette ne sera même pas examiné par le Parlement malgré une relance du deuxième Congrès musulman en juillet 1937. De tergiversation en tergiversation, le projet sera jeté aux oubliettes ! Le président de la République Albert Lebrun, un des leaders de la colonisation, avait le sentiment qu'avec ce projet « le Palais Bourbon deviendrait la Tour de Babel et que la France serait gouvernée par ses anciens sujets ». Le 3 août 1939, l'Allemagne déclare la guerre à la France. Albert Sarraut, alors ministre de l'Intérieur dans le gouvernement Daladier, s'adressa aux Algériens le 2 décembre 1939 pour les assurer que : « la mère patrie n'oubliera pas au jour de la victoire tout ce qu'elle doit à ses enfants de l'Afrique du Nord ». Le spectre de la guerre va poser le problème de la mobilisation des Algériens. Le PPA clandestin, dont les principaux dirigeants étaient internés (Messali, Khider, Filali...) recommanda l'insoumission et la désertion. C'est ainsi que le Dr Mohamed Lamine Debaghine qui prendra la direction du Parti en 1942 « plongea » avec de nombreux nationalistes dans la clandestinité. La défaite éclair de la France, la détérioration continue de la situation socioéconomique des Algériens - l'épidémie de typhus fit, de 1939 à 1942, près d'un million de morts - précipitèrent l'évolution des esprits. Les récits des soldats démobilisés, des prisonniers libérés, des ouvriers immigrés rentrés au pays finirent par ruiner le prestige de la France. Des travailleurs et des spahis en instance de départ pour le Levant, exaspérés par l'attitude vexatoire et arrogante de leurs supérieurs français, se mutinèrent à Maison-Carrée le 25 janvier 1941. La mutinerie fut sévèrement matée. Le 30 avril 1943, le conseil de guerre prononça 34 condamnations à mort dont 7 furent commuées. Cette mutinerie préfigure celles des tirailleurs sénégalais à Thiaroye le 1er décembre 1944 au Sénégal et dont la répression a fait 24 morts et des dizaines de blessés. Le 23 août 2004 à Dakar, le représentant de la France et du président Chirac condamnait, 60 ans après, cette répression et déclarait : « Il existe quelques pages sombres et douloureuses qui ne doivent pas être oubliées. » Le 17 juin 1941, le général Weygand, gouverneur de l'Algérie, informait Pétain et le gouvernement de Vichy de l'état d'esprit des Algériens. « La population musulmane, écrit-il, se montre indisciplinée, impolie, parfois insolente. » A Zéralda, 40 Algériens furent entassés dans une cave à vin pour avoir protesté contre une inscription interdisant la plage aux chiens, aux juifs et aux Arabes. 25 d'entre eux périront étouffés. Jusqu'en 1962, la plage du domaine Borgeaud, qui deviendra le Club des Pins, était interdite aux Arabes et aux chiens. Comme en 1914-18, des chants populaires célébraient la défaite française. Dans une chanson recueillie dans la région de Djelfa, les femmes chantaient : « Keler djana men dahra ou frança taât lih-dhrourk el kahwa nachrabha ou la taye liman yachtih. (Hitler nous vient du Dahra et la France s'est soumise maintenant, je prendrai un café, et laisse le thé à qui lui plaira). Pour le directeur des Affaires musulmanes et des territoires du Sud, Augustin Berque, le père de Jacques, « la France était en train de jouer sa dernière carte en Algérie ». Le traité de l'Atlantique du 9 juillet 1942 proclamant le droit d'autodétermination pour tous les peuples et le Pacte de Washington du 1er janvier 1942 à l'origine de l'Organisation des Nations unies, signé par 26 nations et que de Gaulle ne sera pas autorisé à signer, vont provoquer une profonde impression dans l'opinion algérienne. Dopée, cette opinion va subordonner son effort de guerre à « la condamnation et à l'abolition de la colonisation ». Un manifeste est remis le 31 mars 1943 par Ferhat Abbas au gouverneur général Peyrout qui, pour faciliter la mobilisation des Algériens, l'accepte « comme base de réformes à venir ». Un additif au manifeste réclamera « la formation d'un Etat algérien démocratique et libéral » dès la fin de la guerre. Il fut remis le 10 juin 1943 au général de Gaulle qui le rejeta. Il offrira aux Algériens en compensation une pâle copie du projet Blum-Violette dans un discours prononcé le 12 décembre 1943 à Constantine. Ce discours coïncidait avec celui de René Pleven à Tananarive et à la déclaration du CFLN qui promettaient un nouveau statut à Madagascar et à l'Indochine après la libération. De Gaulle savait à l'époque que la France sans l'empire ne pèserait pas lourd. Le 7 mars 1944, il fait promulguer par le Comité français de libération nationale (CFLN ) une ordonnance qui mettait fin à l'infamant code de l'indigenat. Elle laissait néanmoins les Algériens qui vivaient dans l'espoir de l'indépendance indifférents. Qu'en est-il des combattants algériens de la Deuxième Guerre mondiale ? Eh bien, il va se passer pour eux un peu ce qui s'était passé pour leurs aînés à la veille de la Première Guerre de 1914-18. La situation de famine et de misère poussera beaucoup d'entre eux à s'engager pour faire vivre leurs familles. Les algériens présents en provence Lorsque les Allemands envahirent le sud de la France en 1942, les Algériens furent appelés ou rappelés de force par décret de mobilisation après la dissolution de l'armée de l'armistice. Une partie de cette armée qui avait des régiments en Afrique du Nord allait former la première armée du général de Lattre de Tassigny. Les spahis avec la mécanisation de la cavalerie vont servir dans les blindés et constituer ainsi la 2e DB du général Leclerc. Les tirailleurs algériens seront de tous les corps durs. C'est une unité formée d'Algériens qui débarquera la première à Cavalaire en Provence le 15 août 1944. Les régiments de tirailleurs algériens vont participer à la prise du Monte Cassino, à la libération de Toulon, de Marseille, remonter la vallée du Rhône pour libérer l'Alsace, traverser le Rhin et combattre en Allemagne. Plusieurs régiments de tirailleurs algériens seront cités à l'ordre de l'armée, trois eurent leurs drapeaux décorés de la légion d'honneur. Combien d'Algériens combattirent ? 120 000, 130 000, 150 000 ? Combien y laissèrent leur vie ? Combien furent blessés ? 60 000, 70 000, 80 000 ? Les morts furent certainement fort nombreux, parce que les tirailleurs algériens étaient placés aux avant-postes de voltigeurs et de mitrailleurs. Dès la fin 1944, une partie des tirailleurs fut démobilisée et renvoyée en Algérie dans le cadre du « blanchiment » de l'armée française ! Certains d'entre eux furent tués lors de la répression de Mai 1945 ordonnée par le général de Gaulle. Quelle ironie du sort ! Combattre pour la liberté de la France et finir sous les balles de la France ! Alors que la victoire des Alliés drainera ses cortèges de liesse et de joie populaires en France, elle drainera ceux de la mort et des pleurs en Algérie. Achiary, sous-préfet de Guelma, compagnon de la Lib ération lancera le 10 mai 1945 l'appel suivant : « Les fonctionnaires, les ouvriers, les colons, les jeunes gens, les femmes, les Maltais et même les Italiens sont recrutés pour chasser ces va-nu-pieds qui osent parler de dignité humaine et qui poussent la prétention jusqu'à vouloir être nos égaux et vivre comme des hommes sur cette terre d'Algérie qui doit nous appartenir pour l'éternité. » Ce sont les pères de ces va-nu-pieds qu'Yves Chataigneau, ambassadeur de France et ancien gouverneur de l'Algérie de 1944 à 1947, reconnaîtra comme les « héros des contre-attaques victorieuses de la Marne en 1914 et l'Aisne en 1918 comme de la résistance de Verdun en 1918 ». Une répression aveugle Ce sont aussi ces va-nu-pieds qui « savaient qu'ils participaient à la libération de la France, à un moment de l'histoire », comme le soulignait le général Quevat lors du débarquement de la Provence le 15 août 1944. Aux légionnaires, aux tabors marocains, aux tirailleurs africains, hier frères d'armes des tirailleurs algériens pour libérer la France du nazisme, vont se joindre les milices de pieds-noirs qui « feront des cartons sur les ratons » et mener durant tout le mois de mai 1945, un siècle après les enfumades, une répression impitoyable à travers tout le pays et qui se soldera par 45 000 victimes ! Edmond Naegelen, l'homme des élections truquées de 1947, écrira dans son livre Mission Algérie : « La répression fut rapide, brutale, aveugle. L'aviation écrasa des douars que les habitants n'eurent pas souvent le temps de fuir. » Les « Vêpres algériennes » laissèrent l'opinion française indifférente. Il est vrai que celle-ci était grisée par l'euphorie de la libération ! La répression de Madagascar en mars 1947 fera 80 000 morts. Les répressions contre les peuples colonisés, particulièrement contre le peuple algérien, étaient planifiées. La Revue indigène de 1913 soulignait : « Dès qu'une menace de guerre se manifestera en Europe, il nous faudra soustraire 200 000 à 300 000 hommes pour aller en Algérie prévenir les insurrections. » Le 20 septembre 1947, le gouvernement de Paul Ramadier promulguait le « fumeux statut qui constituait un idéal instrument de domination et de profit pour la grande colonisation ». Les Algériens en reconnaissance de sacrifice de milliers de combattants tués pendant la guerre étaient une fois encore dupés et floués par la France. Avec la situation de grande famine et de misère qui sévissait en 1945 et au début de 1946, les Algériens se rabattirent encore une fois sur la talrouda pour ne pas mourir de faim. Les Algériens devaient se contenter de rations mensuelles de 7,5 kg d'orge quand le colon en recevait 100 kg par tête de cochon pour ses animaux ! Poussés par la misère, des milliers d'Algériens vont s'engager pour combattre en Indochine. Ils toucheront une prime d'engagement en fonction de leur poids à raison de 1000 F par kilo ! Combien y laisseront leur vie ? Combien sont revenus avec une canine en or ou une jambe de bois ? (nab dhab oualla qraâr htab). L'Indochine, colonie française depuis 1882, fut envahie en 1942 par les Japonais qui proclamèrent au printemps 1945 l'indépendance du Vietnam. De Gaulle ordonna en août 1945 à l'amiral Thierry d'Argenlieu de « rétablir la souveraineté française ». Une longue guerre de libération de près de 9 ans s'ensuivit, opposant les nationalistes vietnamiens, conduits par Hô Chi Minh, au colonialisme français. Après la défaite des troupes françaises à Diên Biên Phu en mai 1954, les Accords de Genève de juin 1954 vont consacrer l'indépendance du Vietnam, du Laos et du Cambodge. Le glas de l'empire colonial français venait de sonner. L'histoire, avec ses exactions, ses répressions, va se répéter en 1954/62. Comme en 1830, l'armée française brûle des douars, des mechtas, brûle au napalm des forêts et même des populations, rase des villages, tue des femmes et des enfants, torture, viole et assassine, déplace des populations entières dans des camps de regroupement ou d'hébergement. Des camps de concentration vont pousser comme des champignons : camp pour les irréductibles et les irrécupérables camps 1, 2 et 3 pour les autres... Dès le 2 mars 1955, Roger Willaume, inspecteur général de l'administration, attire l'attention de François Mitterrand, ministre de l'Intérieur, sur la généralisation de la torture. Les sinistres DOP (détachements opérationnels de protection), véritables centres de torture, vont proliférer à travers tout le territoire. Jacques Pucheu, dans un article publié par Les Temps Modernes en septembre 1957, écrit : « A Boulermane, mon chef de section, le sergent chef F... est un gros dur, gérant sympathique et chic avec ses hommes. Il a la spécialité de couper les têtes au rasoir. C'est ainsi qu'à Berton, il a tué le frère de Belkacem, 16 ans, après tentative de fuite. » Des gars de la section me décrivent le scénario : « Il dit au type : à genoux, si le crouille refuse, il lui tire une balle dans les reins, l'homme tombe à genoux, porte les mains à sa gorge : F... les écarte et lui ouvre la gorge ». « Au mess, on boit le champagne dans un crâne de ”fellaga” » A suivre... Par Youcef Ferhi Membre fondateur de la fondation du 8 Mai 45