Ahmed Ben Bella, l'une des grandes figures du Nationalisme arabe et qui fut l'un des neufs membres du Comité révolutionnaire pour l'unité et l'action (CRUA) qui donna naissance au Front de Libération Nationale (FLN). Arrêté par l'occupant français, il s'évada en 1952 puis arrêté dans le détournement d'avion des chefs de la Révolution en 1956 et détenu par la suite à la prison de la Santé jusqu'en 1962. Après la signature des Accords d'Evian, il devient le 15 septembre 1963 le premier président de l'Algérie indépendante. Il hérita d'un pays, où le peuple venait de sortir d'une longue éclipse durant laquelle la colonisation française l'avait dépossédée de toute responsabilité dans la conduite de ses propres affaires. Pendant plus de 130 ans de son histoire, le peuple algérien n'avait cessé de combattre un appareil installé par un Etat étranger défendu par une armée d'occupation et une administration coloniale. Ces éléments d'un Etat étranger pour Ahmed Ben Bella sont des instruments d'oppression et de répression, un système d'exploitation des ressources naturelles du pays et de sa force de travail qu'il était obligé de défendre. Lorsqu'il, s'engagea dans cette voie, qui avait-il dit, était une obligation pour lui, il était très jeune, mais ses horizons se sont ouverts : " Je me suis très vite rendu compte que les problèmes allaient au-delà de l'Algérie, que la colonisation touchait une quantité de peuples, que les trois quarts des pays de la planète étaient colonisés d'une façon ou d'une autre. L'Algérie était alors, pour les Français, un département d'outre-mer, c'était la France de l'autre côté de la Méditerranée. La colonisation par la France en Algérie a duré 132 ans. J'ai participé à cette lutte-là en Algérie ". A l'indépendance du pays et juste après son élection, le président Ben Bella, s'est associé comme, il le dit à tous ceux qui, dans le monde, se battaient aussi pour libérer leur pays. En grand panafricaniste, il avait beaucoup aidé les peuples africains à se libérer du joug colonial. Cela a fait dire, à une autre grande figure de ce panafricanisme, Amilcar Cabral, le père de l'indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert : " Les chrétiens vont au Vatican, les musulmans à la Mecque et les révolutionnaires à Alger ". En effet, feu Ahmed Ben Bella en plus des défis et des problèmes qu'il avait à affronter en Algérie, avait son propre cheval de bataille : " la libération de tous les pays africains toujours sous le joug colonial du colonialisme européen ". C'étaient essentiellement les pays lusophones du continent et une partie de l'Afrique australe dont l'Afrique du Sud, le Zimbabwe et la Namibie. Ben Bella dans son acharnement à libérer le continent africain du colonialisme, mettra aide et assistance de l'Etat algérien à la disposition de nombreux mouvements de libération en lutte contre l'occupation coloniale : le MPLA (Angola) d'Agostinho Neto, le FRILIMO (Mozambique) d'Eduardo Mandlane et de Samora Machel, l'ANC (Afrique du Sud) de Nelson Mandela. Pour Ben Bella, convaincu de cette solidarité, " c'était un devoir, d'aider nos amis africains qui aspirent à la liberté et à l'autonomie ". Pour lui, ce soutien était sacré. " Je donnais de l'argent, beaucoup d'argent. Je donnais chaque fois qu'il en fallait, chaque fois que l'on m'en demandait. Et pour moi, c'était presque un devoir religieux. Sacré ! ". Le soutien ne sera pas que financier, mais aussi militaire et stratégique. Ben Bella avec le Tanzanien Julius Nyerere, l'Egyptien Djamel Abdenacer, le Kenyan Jomo Kenyatta, le Guinéen Ahmed Sékou Touré, le Malien Modibo Keita et tant d'autres dirigeants africains, fondèrent " le Comité de libération de l'Afrique " qui était à l'époque présidé par un officier de l'armée algérienne (ANP) et dont le commandement était basé à Alger. Pour l'anecdote Nelson Mandela et Amilcar Cabral sont venus en Algérie pour suivre une formation militaire et politique en Algérie et c'est, le président Ahmed Ben Bella qui s'est chargé personnellement d'une partie de leur instruction. En 1963, Che Guevara est aussi venu à Alger pour y resté pendant six mois. Il était porteur d'un message de Fidel Castro à Ben Bella, lui demandant de soutenir les luttes de libération qui se développaient en Amérique du Sud, car " Cuba ne pouvait rien faire ; elle était sous le contrôle des Etats-Unis " qui occupaient la baie de Guantanamo. Le président Ben Bella n'a pas hésité une seconde. C'est à partir d'Alger, et avec la participation du Che, que s'est créé l'Etat-major de l'armée de libération de l'Amérique du sud. Tous les combattants qui luttaient dans ce continent sont passés par Alger pour s'entrainer et s'instruire militairement. Ben Bella comme, il l'aimait à le répété, " même si je ne partage pas la doctrine marxiste, je me suis toujours trouvé aux côtés de tous les mouvements de gauche dans le monde et des pays socialistes, qui, comme Cuba, la Chine, l'URSS, ont mené le combat anticolonialiste et anti-impérialiste. C'est d'ailleurs avec ces pays que l'Algérie sous la présidence de Ben Bella, avait constitué un front de libération et apporté son appui logistiques aux armées populaires pour aider leurs pays à sortir du colonialisme et instaurer un régime intérieur national. Pour feu Ahmed Ben Bella, c'était la phase de liquidation du colonialisme. " Le colonialisme est une idée qui est née en Occident et qui a conduit les pays occidentaux, comme la France, l'Italie, la Belgique, la Grande-Bretagne à occuper des pays hors du continent européen ". Sur un autre plan, Ben Bella a toujours de son vivant dit qu'aujourd'hui, il n'existe plus de pays. non-alignés. " Ce mouvement a été créé par des hommes de très grande qualité tels Nehru, Mao Tsé-toung, Nasser, Tito et d'autres grands noms ; à une époque surtout où il y avait le risque d'une guerre atomique ". C'était en effet, l'affrontement entre l'URSS et les Etats-Unis. Le monde était au bord de la guerre nucléaire. " Les pays non alignés ont joué un rôle important pour l'empêcher. Ce mouvement a duré un certain nombre d'années. Mais le système a fini par avoir raison de lui ". Des vérités laissées par le président Ahmed Ben Bella et qui resteront à jamais d'actualités dans l'histoire contemporaine.
L'Algérie de Ben Bella, selon Ammar Koroghli, avocat-auteur Les cendres d'octobre 88 sont encore chaudes et vivaces dans notre mémoire collective. Les émeutes de janvier 2011 en sont-elles un remake ? Sommes-nous en présence d'un mouvement spontané, produit d'un ras-le-bol social, ou organisé et programmé par un clan du pouvoir en vue d'une succession qui s'annonce rude ? Ici quelques éléments de réponse puisés dans la vie politique algérienne post-indépendance, les maux qui rongent notre pays ayant des origines lointaines. La démocratie, revendication substantielle, y apparaît comme une denrée rare, sinon résiduelle. Au-delà de nos doléances légitimes (cherté de la vie, mal-vie, chômage chronique des jeunes, flou en matière d'économie politique, gouvernance à vue…), force est d'observer l'absence de légitimité du pouvoir réel, les institutions en place n'en étant que l'apparence. Ainsi, après trois siècles de présence turque et près d'un siècle et demi de domination coloniale, l'Algérie contemporaine a pu se frayer un chemin dans le concert des nations. Ainsi, au commencement de la doctrine politique algérienne, la proclamation du premier novembre 1954 au terme de laquelle l'indépendance nationale est le préalable à toute entreprise. Les questions traitées lors du Congrès de la Soummam (1956) furent approfondies dans le programme de Tripoli (1962) qui énuméra quelques idées générales en vue d'une plate-forme d'action. Il fallut attendre le Congrès du FLN en avril 1964 pour qu'une charte votée à Alger esquisse les contours d'une doctrine de développement de la société algérienne et trace des perspectives d'avenir. Ainsi, pour le programme de Tripoli : " A la lutte pour l'indépendance nationale succèdera la révolution démocratique populaire ", tout comme le combat idéologique doit succéder à la lutte armée. La charte d'Alger prévoyait une période de transition qui " implique la construction d'un Etat populaire qui exprime la volonté des masses de construire le socialisme ". Déjà le programme de Tripoli faisait de la réforme agraire et de l'industrialisation les deux tâches fondamentales sur lesquelles devrait reposer le développement de l'Algérie, conçu dans le cadre d'une collectivisation des grands moyens de production et d'une planification rationnelle.
Chartisme algérien et autogestion Durant la présidence de Ben Bella, la charte d'Alger préconisa l'autogestion pour répondre au néo-colonialisme. Les textes institutifs de celle-ci devaient donner les usines aux ouvriers et la terre aux paysans. Facteur de développement socialiste, elle exprimait " la volonté des couches laborieuses du pays à émerger sur la scène politico-économique et à se constituer en force dirigeante ". L'autogestion était considérée comme le cadre dans lequel devait se réaliser la démocratie. Sur le problème central de la propriété, la charte d'Alger avait procédé à sa division entre " propriété exploiteuse " et " propriété non exploiteuse ", la première devant être abolie alors que la seconde pouvait être préservée. A cet égard, la charte nationale de 1976 reprend le même critère pour la définition de la propriété. S'agissant du parti, il est stipulé que le FLN ne doit être ni un parti de masses, ni un parti d'élites, mais un parti d'avant-garde au sein duquel une démocratie interne doit être préservée. Les ouvriers, les paysans pauvres et les militants révolutionnaires conséquents sont la composante sociale du parti afin de confirmer dans les faits l'option socialiste du pays par la nationalisation du commerce extérieur, des banques et des transports. Pour ce faire, les cadres de l'Etat sont choisis en fonction de leur valeur politique plutôt que de leur compétence technique. Quant à l'armée, elle doit être soumise au parti qui contrôle les milices populaires.
Le régime de Ben Bella et l'armée Dès l'origine, la lutte armée a exigé la mise en place d'une organisation politico-militaire, le FLN-ALN, en sorte qu'au lendemain de l'indépendance, Ben Bella a pu dire que : "La reconversion de notre appareil politico-militaire est indispensable… Nous devons faire la distinction entre le Parti et l'Armée"; les questions de la place de l'Armée dans la société et son rapport au pouvoir politique furent ainsi posées. Ce qui n'est pas une mince affaire dans la mesure où, pour Boumediene, alors principal responsable de l'Armée, celle-ci a une double mission : défense de l'intégrité du territoire national et participation au développement du pays. Ainsi, pour ce dernier : "Aucune révolution réelle n'est réalisable sans la présence d'une armée d'origine populaire, d'idéologie révolutionnaire alliée des masses laborieuses". De même, dira-t-il : "Comment entreprendre une révolution socialiste d'une manière radicale dans un pays en voie de développement en s'appuyant sur les lois de la bourgeoisie et sur une armée réactionnaire". L'armée se veut d'essence populaire, thèse confirmée par la Charte nationale et la Constitution de 1976. Au plan politique, des officiers supérieurs occupent depuis des postes importants : présidents de la République, ministres, walis, P-DG de sociétés nationales… La même situation a été suscitée dans l'Egypte du temps de Nasser. Dès lors, s'appuyer sur la "principale force organisée" du pays devint une évidence. Ainsi, l'état-major de l'ANP qui entra en conflit ouvert avec le GPRA fut le soutien de Ben Bella ; celui-ci constitua à Tlemcen un bureau politique chargé de " prendre en main les destinées de l'Algérie ". Après l'élection d'une Assemblée nationale, le 20 septembre 1962, il y eut l'investiture de premier gouvernement algérien post-indépendance présidé par Ben Bella. Parmi ses objectifs : " Reconvertir l'ALN vers des tâches constructives " et " édifier un socialisme spécifiquement algérien ". Devenu secrétaire général du FLN en avril 1963, il fait adopter par l'Assemblée nationale une Constitution de type présidentiel en août de la même année. En avril 1964, un congrès du FLN se tint à Alger et adopta une charte qui fait de l'autogestion " le principe d'organisation sociale ".
Echec du régime de Ben Bella Parmi les causes explicatives de l'échec du régime de Ben Bella, figure sans doute la concentration du pouvoir entre les mains d'un seul homme ; ce grief est le plus galvaudé à l'endroit du régime de Ben Bella. Il a en effet, au fur et à mesure, écarté certains de ses ministres (ceux faisant partie du " clan d'Oujda ", ainsi Medeghri et Bouteflika). Plusieurs ministères se muèrent en de simples directions rattachées à la Présidence. De ce fait, il devint loisible à ses détracteurs d'évoquer un culte de la personnalité, voire de personnalisation du pouvoir. A cela, s'ajoute l'observation selon laquelle les institutions de l'Etat ont été mises en place à partir du sommet, voire même que la construction de l'Etat a plus relevé de l'énonciation théorique que du travail effectif. Ainsi, la constitution de 1963 n'est ni présidentielle ni parlementaire, " c'est un régime constitutionnel de gouvernement par le parti " comme devait le déclarer alors M. Benabdallah, rapporteur du projet de la loi fondamentale algérienne. En ce sens, le parti unique devait être l'institution fondamentale du pouvoir de l'Etat qui a été qualifié de " monocratisme partisan ". De même, les dispositions de la Constitution de 1963 furent fixées par le bureau politique du FLN et approuvées par une conférence des cadres du Parti et non par une Assemblée constituante. Cette situation explique sans doute que le FLN occupe une place importante dans cette constitution qui lui consacre le préambule et un chapitre. Défini comme un parti d'avant-garde du peuple composé " des masses laborieuses et des intellectuels révolutionnaires ", le parti domine l'appareil de l'Etat dès lors qu'il est à l'origine de la désignation des hommes appelés à prendre en charge des responsabilités : le président de la République et les députés de l'Assemblée nationale au sein de laquelle furent recrutés les membres du gouvernement. Ainsi, le gouvernement par le parti fut une pure illusion ; et ce, outre que Ben Bella fut président de la République et secrétaire général du FLN. Titulaire de quelques portefeuilles ministériels, il recourut également à l'article 59 de la Constitution de 1963 qui lui octroyait des pouvoirs exceptionnels. La confusion des pouvoirs eut lieu, d'autant plus que les autres institutions prévues (conseil constitutionnel, conseil supérieur de la magistrature, conseil économique et social) se révélèrent secondaires et de peu de poids. Par ailleurs, l'autogestion fut retenue comme modèle de développement économique ; la charte d'Alger précise que la période de transition au socialisme " implique la construction d'un Etat populaire qui exprime la volonté des masses". Les textes instituant juridiquement l'autogestion se trouvent être les décrets de mars 1963 qui consacrent une situation de fait dès lors qu'il semblerait que l'autogestion a été dans les grandes fermes -gérées jusqu'alors par les colons- le produit de la spontanéité des travailleurs de la terre. Ainsi, le décret du 18 mars 1963 définit le transfert définitif des biens européens abandonnés au patrimoine algérien. Sauf à dire que ces biens furent placés sous la tutelle administrative de la présiden ce, l'autogestion ayant été alors limitée aux entreprises d'intérêt local. Suite au coup de force opéré par Boumediene, un conseil de la révolution fut mis en place au nom d'une certaine idée de la légitimité révolutionnaire ; ce faisant, la Constitution de 1963 et la charte d'Alger furent mises au boisseau et les institutions existantes furent mises entre parenthèses. C'est ainsi que, avec les discours officiels, la proclamation du 19 juin 1965 demeura jusqu'en 1976 le seul texte de référence dont le credo était " le redressement révolutionnaire ". Celui-ci s'assimila au " socialisme spécifique " qui reposa sur une stratégie de développements faisant des sociétés nationales la cheville ouvrière du projet de ce conseil. En fait, cette expérience, entamée en 1967, donna naissance à un capitalisme d'Etat périphérique dépendant du système financier international. Cette expérience vit sa cristallisation théorique dans la charte nationale.