Leicester a repris la place de leader en dominant Chelsea (2-1) en clôture de la 16e journée, lundi. De son côté, l'équipe de José Mourinho est 16e, avec un point d'avance sur le premier relégable. En soi, il n'est ni choquant ni imprévisible que le leader d'un championnat batte, à domicile, le 14e qu'il devance de dix-sept points. Il n'empêche, il y a tout de même une forme d'étonnement à avoir vu Leicester dominer Chelsea (2-1) de la tête, des épaules et des pieds magiques de Vardy et Mahrez, buteurs providentiels d'une équipe que pas grand-chose ne semble pouvoir ralentir en Premier League.
Le duo Mahrez-Vardy à la manoeuvre Cette équipe n'est plus un tube ni une surprise : elle est un candidat au titre de champion d'Angleterre. Et elle l'a montré avec brio face aux Blues, en obtenant lundi sa 10e victoire en 15 journées de Premier League. Comme d'habitude, sa valeureuse envie collective, démultipliée par la ferveur du King Power Stadium, a fait une bonne partie du travail. Le talent de ses individualités s'est chargé du reste. Premier acte à la 34e minute : Mahrez sert Vardy d'un centre précis du pied gauche, ce dernier s'offrant son 15e but de la saison à la conclusion d'un bel appel croisé. Comme au théâtre, il y a eu l'entracte, puis une péripétie d'ampleur en début de second acte (48e). Cette fois-ci, Mahrez est seul sur scène. Contrôle orienté à la réception d'une transversale, feinte de corps, crochet, feinte de frappe, crochet, enroulé sublime du pied gauche. Applaudissements. Et 2-0.
Chelsea a bien poussé en fin de match… Notons aussi le récital d'un Kanté omniprésent à la récupération, dans ce rôle de personnage secondaire mais précieux qui lui sied si bien. Tout cela, et quelque supplément d'âme si difficile à décrire, a permis à Leicester de (se) rappeler assez vite pourquoi cette bande trônait en tête de Premier League. De son côté, Chelsea a peiné, à l'image d'un Hazard impuissant puis sorti sur blessure, d'un Oscar et d'un Azpilicueta transparents ou d'un Terry totalement hors-sujet. Il y a bien eu, toutefois, une fin de match plus indécise, où le réajustement offensif de Mourinho et la fatigue de Leicester ont permis à Rémy, entré à l'heure de jeu, de réduire le score d'une tête bien placée (77e). Mais les supporters des Foxes n'ont pas tremblé longtemps. Ils ont vibré, plutôt. Cela fait tellement plus de bien.
Mourinho : "J'ai l'impression qu'on a trahi mon travail" Après la défaite de son équipe sur la pelouse de Leicester (2-1), José Mourinho a réalisé une sortie tonitruante en conférence de presse. Le manager de Chelsea s'en est pris au niveau de ses joueurs, qu'il avait pris l'habitude de protéger dans la tourmente. Le dernier coup de José Mourinho ? Après la défaite des Blues sur la pelouse de Leicester (2-1) lundi, l'entraîneur de Chelsea a surpris en s'en prenant de façon très directe à ses joueurs, coupables selon lui d'une performance indigente face aux Foxes. "C'est dur à voir, quand certains de vos joueurs n'atteignent pas le niveau qu'ils peuvent avoir, a expliqué Mourinho. L'an passé, je les ai tirés à un niveau incroyable. Ce niveau était peut-être supérieur à leur niveau moyen...."
"Pour le Big 4, c'est fini" Difficile toutefois, pour le technicien portugais, de comprendre les motifs de la 16e place de son équipe. "Cette saison, on est tellement mauvais pour une raison inconnue, a-t-il reconnu. Au quotidien à l'entraînement, je n'ai rien à reprocher à mes joueurs. Mais ce qu'ils font en match, cela n'a rien à voir et c'est très frustrant." Pointant du doigt les "difficultés claires" de Costa "dans la surface", Mourinho a aussi regretté les deux buts encaissés, sur des situations pourtant travaillées à l'entraînement selon lui. "J'ai l'impression qu'on a trahi mon travail, a-t-il asséné. Ces deux buts encaissés sont très difficiles à avaler. Pour retourner la situation, je ne connais qu'une seule méthode: travailler mais pour le Big 4, c'est fini, c'est sûr." Et pour Mourinho, plus en difficulté que jamais ce lundi ?
En Angleterre, tout le monde aime Ranieri Claudio Ranieri a transformé Leicester et le Chelsea de José Mourinho n'y a pas résisté lundi soir. Surtout, l'Italien est un personnage à part, attachant, qui remporte une large adhésion. Même auprès de son homologue portugais, c'est dire ! Pourquoi le cacher ? Les médias anglais ont un gros faible pour Claudio Ranieri. Il parle l'anglais avec un accent à la Chico Marx ou à la Joe Dolce ("Shaddap your face", ça ne vous rappelle rien?). Il paie une sortie pizza (et champagne, tout de même) à ses joueurs lorsque ceux-ci arrivent enfin à faire quatre-vingt-dix minutes sans encaisser de but. Son premier job, d'ailleurs ? Pas joueur de football : pizzaïolo dans un restaurant milanais. Sa coupe de cheveux rappelle celle adoptée par bien des césars; retirez les lunettes qui, pour une raison pour une autre, glissent sans arrêt de son nez aquilin, et vous avez le modèle d'un buste romain, ce qui est logique : il est difficile d'imaginer plus romain que Claudio, qui vit le jour dans la Ville Eternelle il y a soixante-quatre ans de cela. Mais il est une autre raison pour laquelle, malgré les doutes que beaucoup avaient sur la décision prise par les propriétaires thaïlandais de Leicester d'embaucher l'ex-sélectionneur de la pire sélection grecque de l'histoire, Ranieri bénéficie d'une cote d'amour inhabituelle dans son pays d'adoption. Personne n'a oublié la dignité avec laquelle il effectua la plus longue marche à l'échafaud qu'un entraîneur n'ait jamais dû endurer. La procession à la potence dura exactement un an. Du 1er juin 2003, date de l'acquisition de Chelsea par Roman Abramovitch, au 31 mai 2004, quand la trappe s'ouvrit enfin sous les pieds de l'Italien.
"Le mort qui marche" Après avoir fait du pied à Sven-Göran Eriksson, l'oligarque avait finalement demandé la main de José Mourinho, le jeune homme qui venait de remporter la Ligue des Champions avec Porto - cette Ligue des Champions dans laquelle Chelsea, après avoir éliminé le favori Arsenal en quarts, avait trouvé le moyen de se saborder au tour suivant face à l'AS Monaco. Ranieri avait alors hérité de son deuxième surnom, qui lui colle toujours à la peau: the tinkerman - le bricoleur. Le premier? C'est le journaliste anglais Jonathan Wilson qui le lui avait donné, s'inspirant du film La Dernière Marche - titre original: Dead Man Walking, "Le mort qui marche". L'expression était moins cruelle qu'il y parait. C'est avec sympathie, pitié, même, que semaine après semaine, on chroniquait la mort annoncée de l'affable Romain. J'avais eu moi-même le grand plaisir de déjeuner avec lui cette année-là, en compagnie de mon collègue de France Football Roberto Notarianni. Nous nous étions retrouvés à ce qui est la cantine des managers des Blues depuis le temps de Gianluca Vialli, La Famiglia, située à un dégagement de Stamford Bridge. Ce n'était pas que le charme de Ranieri qui avait fait si forte impression sur nous; c'était aussi sa pondération, le calme avec lequel il avait déjà accepté son sort, mais en se jurant qu'il ferait encore mieux pour cela, et sans jamais laisser tomber - même en off - un mot injurieux, une plainte ou une insinuation vis-à-vis de son employeur. Cette expérience, bien d'autres que nous l'ont faite. Et quelque réserve qu'on puisse avoir sur un coach qui, c'est vrai, n'a pas gagné grand-chose, vous n'en rencontrerez pas beaucoup qui ne réjouiront pas des quatre mois extraordinaires qu'il vient de faire vivre aux Foxes.
L'héritage de Ranieri à Chelsea Il est exact que, comparé au palmarès de l'"usurpateur" Mourinho, qui a tout gagné, celui de Ranieri fait maigre. Il a bien été champion, trois fois. Mais de D3, avec Cagliari; et de D2, avec la Fiorentina et l'AS Monaco. Ses seuls "vrais" trophées sont deux coupes nationales, une Coppa Italia avec la Viola, en 1996, et la Copa del Rey avec Valence trois ans plus tard. Il traîne aussi une réputation de "Poulidor" du ballon, qui a fait dire à l'ancien international anglais David Platt que Ranieri était l'exemple-type du manager qui sait bâtir une équipe capable de remporter le titre, mais qui est lui-même incapable de lui faire faire le bond du statut de challenger à celui de vainqueur. A Chelsea, n'oublions pas que beaucoup des joueurs sur lesquels Mourinho - à bien des égards l'exact opposé de la définition "plattienne" - s'est appuyé pour donner aux Blues leur premier championnat en un demi-siècle avaient été recrutés sur les recommandations ou avec l'aval de son prédécesseur: Frank Lampard, William Gallas, Petr Cech et Claude Makélélé. L'homme qui fit "JT" de John Terry? Ranieri, pas Mourinho. Et n'oublions pas que chacune des quatre saisons qu'il avait passées au Bridge s'était achevée avec un total de points supérieur à celui de la précédente; la dernière de ces quatre saisons, Chelsea finit deuxième, derrière la plus grande équipe d'Arsenal de l'après-Chapman, sans conteste la plus brillante de l'histoire de la Premier League, celle des Invincibles de Wenger. Ce n'est pas dénigrer le prodigieux travail accompli par José Mourinho dès son arrivée à Chelsea que de rappeler qu'il ne partait pas de rien - de la même façon que Ranieri pouvait s'appuyer sur un équipe qui avait enregistré sept victoires lors de ses neuf derniers matches de Premier League lorsqu'il succéda à Nigel Pearson au King Power Stadium. Le côté "miraculeux" du sauvetage de Leicester City en 2014/2015 (les Foxes étaient encore derniers du classement à la mi-avril) avait fait oublier qu'il y avait d'excellents joueurs dans l'effectif du promu, et que son recrutement avait été des plus avisés, notamment sur le marché français. Riyad Mahrez pour 0,5m€, grands dieux… Un exemple de la densité du squad actuel de Ranieri : il compte deux capitaines de sélections qualifiées pour l'Euro 2016. Le premier est Christian Fuchs, skipper de la meilleure équipe d'Autriche depuis les beaux jours de Prohaska et Krankl. Le second est Gökhan Inler, qui porte le brassard pour la Suisse - mais qui est incapable de trouver sa place dans le onze et même les dix-huit - de Ranieri en Premier League. Inler, après qui toute l'Europe courait il n'y a pas si longtemps. Même pas remplaçant. Tous, reconnaissons-le, nous avions sous-estimé cette équipe. Et son manager.