La rentabilité du plan de relance à 5 milliards d'euros d'Alfa Romeo dépend du succès de la Giulia aux USA. A son tour, la presse américaine reconnaît ses talents : dans sa version de pointe Quadrifoglio, la Giulia l'emporte face à la BMW M3 et à la Mercedes-AMG C63 S. De bon augure. La révolution est en marche. Pour sa première grande confrontation sur le sol américain, l'Alfa Romeo Giulia Quadrifoglio prend l'ascendant sur - excusez du peu - la Mercedes-AMG C63 S, la BMW M3 et la Cadillac ATS-V. Ces trois berlines à très hautes performances (pas moins de 450 chevaux) furent mesurées, comparées et appréciées plusieurs jours durant par les journalistes du célèbre magazine américain Car and Driver. "Pour un coup d'essai, c'est un coup de maître. L'Alfa Romeo nous a conquis : partis franchement sceptiques, nous sommes revenus de cet essai sous le charme de cette machine éblouissante", confie l'auteur de ce comparatif, presque comme pour s'excuser d'être celui qui porte la mauvaise nouvelle aux évangélistes de l'infaillibilité allemande. Pourquoi se préoccuper de l'opinion de Car and Driver - corroborée ce 8 février par le verdict de leur concurrent, Motor Trend ? Parce que ces deux magazines sont lus avec ferveur par des centaines de milliers d'amateurs américains. Diffusés à des millions d'exemplaires, Car and Driver et Motor Trend possèdent le pouvoir de faire et de défaire une réputation. Les compliments que leurs essayeurs formulent à l'endroit de la Giulia Quadrifoglio constituent le meilleur démenti de la triste réputation que traîne encore la marque aux USA. Comme leurs homologues européens, les journalistes américains louent le moteur V6 pour sa musicalité, sa souplesse et sa vigueur ; le châssis pour son équilibre et sa vivacité ; la planche de bord pour sa présentation convaincante. Pourtant des réserves demeurent. Lors de sa présentation à la presse au moins de juin 2016, l'Alfa Romeo Giulia a suscité autant d'applaudissements chez les amateurs de belles mécaniques que de doutes chez les analystes de l'industrie automobile. L'Alfa Giulia doit faire preuve de sa fiabilité Le constructeur italien espère écouler 400 000 voitures dans le monde à l'horizon 2018 lorsque la gamme comptera huit modèles, contre 66.000 en 2014 avec deux modèles seulement. C'est presque trente fois moins que BMW. Il est prévu que le seul marché américain absorbe 150.000 voitures, en partant de 529 en 2016 mais en juin 2015, le consultant IHS Automotive expliquait qu'il tablait sur un total mondial de 215.000 ventes en 2018, estimant qu'il faut 15 à 20 ans pour reconstruire une marque. La victoire historique et inattendue d'une Alfa Romeo à l'issue d'un comparatif Car and Driver est certes de bon augure. Mais ce coup d'éclat ne garantit pas à la Giulia le succès commercial en Amérique du Nord. Le plus dur reste à faire : convaincre le consommateur américain de se risquer à débourser $73.595 (prix de base d'une Giulia Quadrifoglio) pour une mécanique qui n'a pas fait ses preuves sur le long terme. Le parfum enivrant de l'originalité, de l'exotisme italien et de la parenté technique avec la prestigieuse Ferrari risque de s'évaporer si la fiabilité n'est pas au rendez-vous ou si la qualité de service laisse à désirer. Les constructeurs répugnent à commercialiser un modèle 100 % inédit : d'ordinaire, sous une carrosserie inédite, se cache une part de motorisations connues. En l'espèce, Fiat Chrysler Automobiles n'a pas eu d'autre choix que de partir d'une feuille blanche : l'Alfa Romeo Giulia étrenne une plateforme à roues arrière motrices (ou à transmission intégrale) mue par de nouveaux moteurs étudiés pour certains avec Ferrari. Même l'usine de Termoli, en Italie, peut être considérée comme toute nouvelle : plus de 500 millions d'euros ont été investis dans la modernisation d'installations qui connaissaient le chômage technique depuis 2010. Le plus long sera de déployer un réseau de vente Le brio et la fiabilité de la mécanique ne font pas tout, encore faut-il disposer d'un réseau de points de vente suffisamment vaste. Rappelons que le prix à payer par Nissan pour imposer Infiniti aux Etats-Unis, par Toyota pour Lexus et Honda pour Acura fut la création d'un réseau de distribution exclusif et suffisamment dense, offrant une qualité d'accueil réellement supérieure. La désinvolture n'a pas de place dans le haut-de-gamme. Une part des 5 milliards d'euros que FCA prévoit d'investir dans la relance d'Alfa Romeo servira à construire un réseau de distribution digne de ce nom en Amérique du Nord. Sergio Marchionne a répété combien il était important de prendre les choses dans l'ordre et de ne pas précipiter la commercialisation de la Giulia. En 2014, la marque au Biscione est revenue par la petite porte aux USA en nommant 82 concessionnaires dans 33 Etats de l'Union : il s'agissait à l'époque de faire connaître la marque à une nouvelle génération d'Américains en distribuant au compte-goutte la très radicale et très désirable Alfa Romeo 4C à deux places. L'objectif alors était de passer très vite à 300 agents officiels, contre 206 dédiés exclusivement à Fiat. En juillet 2015, le décompte affichait seulement 140 agents officiels Alfa Romeo aux Etats-Unis et leur nombre ne cesse d'augmenter depuis. Il aura d'ici quelques mois la tâche de distribuer et d'entretenir le Stelvio, le premier véhicule de loisirs de l'ère moderne chez Alfa Romeo et un proche parent de la Giulia. Alfa aux USA, un retour cent fois reporté Alfa Romeo rêvait de revenir sur le marché américain depuis l'échec pathétique de la 164, en 1995. Périodiquement, le grand patron Sergio Machionne annonçait son retour. Sauf que la conjoncture économique et l'état des finances du Groupe Fiat l'en empêchaient. Etablies sur une plateforme étudiée avec General Motors, les Alfa 159 et Brera devaient constituer les armes de la reconquête en 2008. Peine perdue. Ensuite la très fantasque 8C Competizione vendue le prix d'une Ferrari servit à amadouer les coeurs et à préparer le terrain à une nouvelle offensive, elle aussi reportée. Le mariage avec Chrysler en 2009 a subitement ouvert des horizons nouveaux à Alfa Romeo. Dans l'enthousiasme des débuts, il fut prévu de s'appuyer sur le réseau de distribution de Dodge, Jeep et Chrysler ; puis d'étudier la remplaçante de l'Alfa 159 sur la plateforme de sa petite soeur Giuilietta, elle-même partagée avec Chrysler. Dans un sursaut de lucidité salvateur, Sergio Marchionne a rejeté in extremis ces études en 2013, préférant reporter une fois de plus la relance d'Alfa Romeo, le temps d'étudier pour elle une plateforme inédite à roues arrière motrices et de nouveaux moteurs. Le résultat s'appelle Giulia et Stelvio.