Vladimir Poutine a réagi ce lundi 19 novembre en réaffirmant que la Russie "riposterait" à la sortie des États-Unis du Traité sur les forces nucléaires de portée intermédiaire (FNI). Si la Russie alerte sur les conséquences d'un tel retrait, les USA semblent temporiser et l'Union européenne paraît de nouveau aux abonnés absents. Interview. Tout en soulignant que la Russie reste disposée à discuter avec les États-Unis au sujet du Traité sur les forces nucléaires de portée intermédiaire (FNI), Vladimir Poutine a appelé Washington à la responsabilité. Mais surtout il n'a pas hésité à mettre en garde Donald Trump. Si ce dernier officialise le retrait de son pays de ce traité - chose qu'il n'a pas encore faite malgré l'annonce d'intention il y a tout juste un mois - la Russie ripostera. Le retrait des États-Unis du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire ne restera pas sans réaction de la part de Moscou, a promis Vladimir Poutine. La fin de ce traité bilatéral relancera une nouvelle grande menace pour l'Europe, d'autant plus que les pays membres de l'Union européenne ne partagent pas les mêmes objectifs sur la question de défense. En effet, la France n'hésite pas à braver les États-Unis en affirmant vouloir une armée européenne. Tandis qu'un grand nombre de pays de l'Est (Pologne et Roumanie) préfèrent accueillir des missiles américains face à la Russie. Mais si le Traité FNI ne concerne que deux pays, la Chine en tant que puissance productrice de forces nucléaires à portée intermédiaire et l'UE qui semble réagir mollement, sont au cœur de la problématique actuelle entre Moscou et Washington. Jean-Marie Collin, porte-parole France de la Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires (ICAN) et auteur de L'illusion nucléaire: La face cachée de la bombe atomique aux Éditions Charles Léopold Mayer, livre à Sputnik son analyse sur cette nouvelle menace de prolifération d'armes nucléaires.
Sputnik France: Selon vous, qu'entend Vladimir Poutine lorsqu'il parle de "riposter"? Jean-Marie Collin: "La riposte peut être principalement de mettre en œuvre, de construire les missiles qui étaient jusqu'à présent totalement interdits. Cela même que les États-Unis supposent que la Russie avait déjà réalisé, de façon non officielle. La riposte peut être donc la multiplication, la production en masse de ce type de missiles, voire éventuellement, la mise en place de ces missiles aux portes de l'Union européenne pour créer une véritable pression après sur les États membres de l'Union européenne, et donc sur l'Otan et sur les États-Unis."
Pour le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, les États-Unis ont déjà pris leur décision de sortir du Traité FNI. C'est aussi votre avis? "Depuis l'annonce le 20 octobre dernier du retrait par Donald Trump des États-Unis de ce traité, il n'y a pas eu de pas en arrière pour annoncer que finalement cette décision n'allait pas se réaliser. Par contre, le fait qu'il n'y ait pas encore eu d'envoi de lettre officielle, de procédure officielle pour annoncer le retrait des États-Unis - ce retrait débutera véritablement à ce moment-là, au moment où l'autre partie, c'est-à-dire, la Russie recevra ce document et qui prendra six mois selon le délai légal - cela montre une certaine interrogation de la part de certaines personnes aux États-Unis."
Est-ce que la décision américaine s'explique aussi parce que Washington ne veut pas être à la traîne face à Pékin? "C'est l'autre raison avancée. Et c'est sans doute la plus étonnante puisqu'en fait, ce traité d'interdiction sur cette catégorie d'armes ne concernait que les États-Unis et l'URSS, donc la Russie. La raison avancée est que la Chine était dotée de ce type de missiles qui évidemment sont pour la Chine autorisée. Et, par conséquent, les États-Unis ne voulaient pas se retrouver face à une Chine dotée d'armes sur lesquelles ils n'auraient pas de capacité de répondre. De nombreux experts aux États-Unis indiquent pour autant que, même si les États-Unis ne sont pas dotés de ce type de missiles dont la portée est comprise entre 500 km et 5.000 km, cela ne porteraient en rien atteinte à leur capacité à pouvoir répondre à une menace chinoise. Donc, l'autre élément qui doit être pris en compte est que Donald Trump ne souhaite pas ouvrir la construction d'un certain nombre de missiles - ayant ou pas un intérêt pour l'armée - mais ayant un intérêt économique auprès du complexe militaro-industriel."
Sergueï Lavrov a aussi regretté que les Européens n'appuient pas la demande russe de discuter de cette sortie du traité par les États-Unis au sein de l'Onu. L'absence de réaction de l'UE, qui est l'acteur le plus concerné, n'est-elle pas une faute? "Faute peut-être pas. C'est sans doute un manque de concertation et une absence de réelle réflexion. Et c'est aussi dû à une absence d'information de la part des États-Unis qui ont, sans aucun doute, pris de court l'ensemble des États membres de l'UE et donc pour la plupart des membres de l'Otan, sur ce type de décision. Il est vrai que l'UE a un véritable poids à jouer puisqu'elle est au centre de l'insécurité créée par l'avènement possible de nouveaux missiles qui cibleront l'Europe. Donc l'Union européenne doit agir, doit fortement prendre position, tenté de demander à la Russie de rester au sein de ce traité, même s'il n'y a qu'elle aujourd'hui qui en serait membre et tenter d'influer sur les États-Unis pour qu'ils reviennent à la table des négociations, voire pour créer un futur traité. Il est vrai que cela reste assez complexe sachant qu'un des acteurs a décidé de partir sans avertir ses alliés et de pouvoir par la suite aussi, de tenter d'intégrer les Chinois. C'est une tâche ardue mais c'est le rôle de l'UE."
Si cette sortie se précise, est-ce un nouveau risque pour la sécurité notamment européenne? "Oui, il est évident que c'est un risque pour l'ensemble des territoires de l'Union européenne. Et c'est aussi un risque pour le territoire de la Russie puisqu'on peut penser que, même si cela peut paraître peu probable - comme ceux qui avaient des missiles interdits dans les années 80: l'Italie, la Belgique, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, voire l'Allemagne - acceptent sur leurs territoires des missiles qui viendraient cibler la Russie. Potentiellement, on peut tout de même être dans ce type de schéma et donc aussi créer une incertitude sur la Russie. Mais si on se destinait vraiment à ça, cela serait vraiment dommage: on ferait tout simplement un bon de 30 ans en arrière, avec une réelle insécurité, avec un réel risque de guerre nucléaire."