Professionnel du livre, Boussad Ouadi s'est lancé dans l'édition dans le milieu des années 1980 ; il est responsable de la librairie des Beaux-Arts depuis 2004. Questionné sur l'imminente fermeture de celle-ci, il redonnera constamment au problème sa véritable dimension qui va bien au-delà de la simple interruption des activités d'une boutique. Il ne manquera pas, cependant, de laisser échapper un soupçon d'espoir quant au maintien de l'activité. S'agit-il alors des derniers jours de cette prestigieuse demeure ? Professionnel du livre, Boussad Ouadi s'est lancé dans l'édition dans le milieu des années 1980 ; il est responsable de la librairie des Beaux-Arts depuis 2004. Questionné sur l'imminente fermeture de celle-ci, il redonnera constamment au problème sa véritable dimension qui va bien au-delà de la simple interruption des activités d'une boutique. Il ne manquera pas, cependant, de laisser échapper un soupçon d'espoir quant au maintien de l'activité. S'agit-il alors des derniers jours de cette prestigieuse demeure ? Le Midi Libre : Entre un propriétaire des murs qui veut plus d'argent, une édition quasiment embrigadée, des institutions qui offrent très peu de subventions et surtout très peu d'avantages et de priorités au statut de libraire, qui est à blâmer ? Mr. Boussad Ouadi : A mon avis, il faut poser le problème non pas en terme de bien et de mal, de méchant et de gentil, mais de façon générale. Parceque, dans la situation dans laquelle on se trouve, tout le monde a une part de responsabilité. Donc, il faut reprendre à la source. La librairie n'est qu'un maillon de la chaine : il y aussi l'édition, l'imprimerie, les auteurs, la réglementation, la politique culturelle, etc. (…) Mais, partons du cas précis de la librairie comme cas symptomatique de ce qui se passe et qui renvoie à d'autres situations: Nous avons un propriétaire qui a acquis les murs et les fonds dans les années 1970 d'une institution qui existe depuis plus de 50 ans. Car depuis les années 1950, les gens citent ce lieu comme étant le palais du livre. Il y avait une seule université et c'est celle d'à côté (Faculté centrale) et tous les intellectuels, les écrivains, les universitaires, se retrouvaient ici (...) Et la ville a tellement changé, c'est un des rares lieux qui est resté tel qu'il était. Il a donc une charge émotionnelle, affective, patrimoniale qui n'est pas neutre. Quand on vous dit qu'Albert Camus a séjourné ici, à travaillé ici et a peut-être écrit des pages de ses œuvres ici, on ne peut pas accepter que ça devienne demain une bijouterie ou un débit de boissons. Donc, il y a cet aspect, il y a une histoire, une ville et des lieux et la question est de savoir s'il faut les maintenir vivants ou pas ? Mais le seul aspect «historique» ne suffit pas à maintenir l'activité... Oui. Le deuxième aspect justement, c'est la librairie en tant que librairie. L'activité de vente de livres qui est symptomatique d'une situation de l'édition et du commerce du livre en Algérie. Il est vrai que ces dernières années, le modèle de consommation des algériens a explosé et que les espaces culturelles deviennent peu rentables pour les possesseurs de fonds de commerce locaux. Et donc, l'appât du gain, tout le monde veut faire fortune au mépris de tout. Bientôt, il n'y aura plus de pharmacie si les médicaments ne se vendent pas, il n'y aura plus librairies si les livres ne se vendent pas. La deuxième question est donc celle-ci : messieurs les responsables de la ville, les maires, les walis, les responsables des activités culturelles : avons-nous intérêt ou pas à maintenir dans cette ville des théâtres, des cinémas et d'autres espaces culturels, même si ce n'est pas «rentable» ? Et là, si on le veut, il y a des solutions. Partout dans le monde, pour défendre la librairie, on encourage les gens par des exonérations fiscales, par des subventions à l'activité qui permettent au propriétaire des murs de ne pas trop perdre et à l'activité d'exister. On fait des lois pour maintenir le prix du livre accessible au public et donc ça génere un chiffre d'affaires et ça permet de payer des loyers corrects aux propriétaires, etc. Mais il faut avoir cette envie, il faut avoir ce souci de rassembler les professionnels, les intéresser. Le cas de la librairie ne concerne pas de manière directe les autorités, c'est un privé qui veut changer. Mais c'est une conjonction de tout : c'est la loi de l'argent, le rôle de la culture et des espaces culturels, la liberté du citoyen de s'exprimer ou pas. Il y a, en fait, trois niveaux différents de responsabilité et on y est tous pour quelque chose. Je ne jette pas la pierre uniquement aux responsables, parce qu'en bas, on se tait (…) C'est dans l'intérêt et c'est tout à l'honneur d'un pays que de permettre à ses écrivains, à ses poètes, de s'exprimer. Concrètement, quel est le plan à adopter pour élever le livre et tout ce qu'il implique au rang de véritable institution, à l'abri des difficultés financières, éditoriales, etc. ? Des solutions existent (…) Il faut faire des montages financiers avec les banques pour capitaliser ces sociétés culturelles pour qu'elles puissent vivre. Une maison d'édition ou une librairie qui ne possède pas de fonds propre ne peut pas résister, et on doit s'organiser en ce sens (…) Dans tous les domaines, on passe du petit commerce au grand commerce. Dans la librairie, on est obligé d'aller vers ça. Il faut maintenir le petit commerce de détail, de proximité, c'est le cas de cette librairie. Mais il faut en même temps passer à autre chose de plus grand, et cela peut se faire en fédérant les réseaux et en créant de grosses sociétés de distribution (…) Ainsi, un nouveau livre peut sortir dans les 48 wilayas au même moment, par exemple. Et c'est au professionnel de faire ça. Si on met en place des réseaux de distribution et qu'on équipe les librairies et les bibliothèques partout en Algérie, les tirages vont être multipliés par cinq. Alors qu'aujourd'hui, chaque petit éditeur se voit contraint de mettre ses bouquins dans une camionnette et de faire le tour de l'Algérie pour écouler son stock, ou alors, il se fait acheter 80% de sa production par le ministère, et cela va dans des stocks censés alimenter les bibliothèques, mais qui ne le font pas forcément. Est-ce que vous pensez à une possible réouverture quelque part ? Non, puisque je n'ai pas encore fait le deuil, même si j'étais tout près de baisser les bras. Mais grâce à la presse notamment, grâce au public (…), on a envie de reprendre le dessus (…), on peut faire quelque chose et il ne faut pas accepter la fermeture. Vis-à-vis du propriétaire, on pourra faire avancer des arguments, y compris sur le plan juridique pour avoir un sursis. On a encore, semble-t-il, des possibilités. Ce qui est sûr, c'est que je n'irai pas ouvrir une boite de sardine dans une petite rue cachée. On ne cède pas les espaces dans les grandes avenues pour se mettre comme des voleurs dans des petites rues désertes. Les grandes artères doivent conserver leur vocation. Le Midi Libre : Entre un propriétaire des murs qui veut plus d'argent, une édition quasiment embrigadée, des institutions qui offrent très peu de subventions et surtout très peu d'avantages et de priorités au statut de libraire, qui est à blâmer ? Mr. Boussad Ouadi : A mon avis, il faut poser le problème non pas en terme de bien et de mal, de méchant et de gentil, mais de façon générale. Parceque, dans la situation dans laquelle on se trouve, tout le monde a une part de responsabilité. Donc, il faut reprendre à la source. La librairie n'est qu'un maillon de la chaine : il y aussi l'édition, l'imprimerie, les auteurs, la réglementation, la politique culturelle, etc. (…) Mais, partons du cas précis de la librairie comme cas symptomatique de ce qui se passe et qui renvoie à d'autres situations: Nous avons un propriétaire qui a acquis les murs et les fonds dans les années 1970 d'une institution qui existe depuis plus de 50 ans. Car depuis les années 1950, les gens citent ce lieu comme étant le palais du livre. Il y avait une seule université et c'est celle d'à côté (Faculté centrale) et tous les intellectuels, les écrivains, les universitaires, se retrouvaient ici (...) Et la ville a tellement changé, c'est un des rares lieux qui est resté tel qu'il était. Il a donc une charge émotionnelle, affective, patrimoniale qui n'est pas neutre. Quand on vous dit qu'Albert Camus a séjourné ici, à travaillé ici et a peut-être écrit des pages de ses œuvres ici, on ne peut pas accepter que ça devienne demain une bijouterie ou un débit de boissons. Donc, il y a cet aspect, il y a une histoire, une ville et des lieux et la question est de savoir s'il faut les maintenir vivants ou pas ? Mais le seul aspect «historique» ne suffit pas à maintenir l'activité... Oui. Le deuxième aspect justement, c'est la librairie en tant que librairie. L'activité de vente de livres qui est symptomatique d'une situation de l'édition et du commerce du livre en Algérie. Il est vrai que ces dernières années, le modèle de consommation des algériens a explosé et que les espaces culturelles deviennent peu rentables pour les possesseurs de fonds de commerce locaux. Et donc, l'appât du gain, tout le monde veut faire fortune au mépris de tout. Bientôt, il n'y aura plus de pharmacie si les médicaments ne se vendent pas, il n'y aura plus librairies si les livres ne se vendent pas. La deuxième question est donc celle-ci : messieurs les responsables de la ville, les maires, les walis, les responsables des activités culturelles : avons-nous intérêt ou pas à maintenir dans cette ville des théâtres, des cinémas et d'autres espaces culturels, même si ce n'est pas «rentable» ? Et là, si on le veut, il y a des solutions. Partout dans le monde, pour défendre la librairie, on encourage les gens par des exonérations fiscales, par des subventions à l'activité qui permettent au propriétaire des murs de ne pas trop perdre et à l'activité d'exister. On fait des lois pour maintenir le prix du livre accessible au public et donc ça génere un chiffre d'affaires et ça permet de payer des loyers corrects aux propriétaires, etc. Mais il faut avoir cette envie, il faut avoir ce souci de rassembler les professionnels, les intéresser. Le cas de la librairie ne concerne pas de manière directe les autorités, c'est un privé qui veut changer. Mais c'est une conjonction de tout : c'est la loi de l'argent, le rôle de la culture et des espaces culturels, la liberté du citoyen de s'exprimer ou pas. Il y a, en fait, trois niveaux différents de responsabilité et on y est tous pour quelque chose. Je ne jette pas la pierre uniquement aux responsables, parce qu'en bas, on se tait (…) C'est dans l'intérêt et c'est tout à l'honneur d'un pays que de permettre à ses écrivains, à ses poètes, de s'exprimer. Concrètement, quel est le plan à adopter pour élever le livre et tout ce qu'il implique au rang de véritable institution, à l'abri des difficultés financières, éditoriales, etc. ? Des solutions existent (…) Il faut faire des montages financiers avec les banques pour capitaliser ces sociétés culturelles pour qu'elles puissent vivre. Une maison d'édition ou une librairie qui ne possède pas de fonds propre ne peut pas résister, et on doit s'organiser en ce sens (…) Dans tous les domaines, on passe du petit commerce au grand commerce. Dans la librairie, on est obligé d'aller vers ça. Il faut maintenir le petit commerce de détail, de proximité, c'est le cas de cette librairie. Mais il faut en même temps passer à autre chose de plus grand, et cela peut se faire en fédérant les réseaux et en créant de grosses sociétés de distribution (…) Ainsi, un nouveau livre peut sortir dans les 48 wilayas au même moment, par exemple. Et c'est au professionnel de faire ça. Si on met en place des réseaux de distribution et qu'on équipe les librairies et les bibliothèques partout en Algérie, les tirages vont être multipliés par cinq. Alors qu'aujourd'hui, chaque petit éditeur se voit contraint de mettre ses bouquins dans une camionnette et de faire le tour de l'Algérie pour écouler son stock, ou alors, il se fait acheter 80% de sa production par le ministère, et cela va dans des stocks censés alimenter les bibliothèques, mais qui ne le font pas forcément. Est-ce que vous pensez à une possible réouverture quelque part ? Non, puisque je n'ai pas encore fait le deuil, même si j'étais tout près de baisser les bras. Mais grâce à la presse notamment, grâce au public (…), on a envie de reprendre le dessus (…), on peut faire quelque chose et il ne faut pas accepter la fermeture. Vis-à-vis du propriétaire, on pourra faire avancer des arguments, y compris sur le plan juridique pour avoir un sursis. On a encore, semble-t-il, des possibilités. Ce qui est sûr, c'est que je n'irai pas ouvrir une boite de sardine dans une petite rue cachée. On ne cède pas les espaces dans les grandes avenues pour se mettre comme des voleurs dans des petites rues désertes. Les grandes artères doivent conserver leur vocation.