Encore une fois, un espace, un endroit livresque est menacé de disparition au grand dam des fondus de lecture. Un autodafé ne disant guère son nom est en train de consumer la culture algérienne C'est une énième annonce de fermeture de... librairie qui tombe comme un couperet. Et pour cause ! Le gérant de la librairie des Beaux-Arts de la rue Didouche Mourad, à Alger, a été sommé de quitter et restituer les locaux au propriétaire dans les prochains jours. Hier après-midi, à la librairie des Beaux-Arts régnait une atmosphère tristement chagrine. Le signe patent et éloquent, c'est la liquidation du stock ! L'annonce de la restitution des locaux et la gérance de la librairie en a consterné, ému et fait réagir plus d'un. Malgré un bail (3, 6, 9) renouvelable tous les trois ans, le propriétaire des murs – après un premier temps en novembre 2008 – samedi dernier(le 2 mai), le gérant Boussad Ouadi a reçu une mise en demeure afin de quitter les lieux. Une mauvaise nouvelle pour la culture en Algérie. Il s'agit malheureusement d'une autre réduction de l'espace livresque, immanquablement et littéralement littéraire après... une dizaine ayant émaillé ces cinq dernières années à Alger et plus précisément entre les rues Larbi Ben M'hidi et Didouche Mourad. A l'image des librairies Mimouni (Nahda datant de 1946, la pionnière), celles de l'ENAL, El Ghazali, Badji, La Croix du Sud, Andaloussia, La Culture (ex-Sned)... Elles ont toutes été... fermées, transformées (pour ne pas dire « défigurées ») et ayant vu leur noble activité changer de vocation, faisant dans le mercantile. C'est ce qui risque d'arriver à la librairie des Beaux-Arts, majeurs et pluridisciplinaires, qui seront supplantés par de... mauvais arts... culinaires. Si rien n'est fait pour sauver cet îlot culturel, convivial et hautement historique – car hanté par les anges d'Albert Camus, Mouloud Mammeri, Roblès, Tahar Djaout ou encore Rachid Mimmouni, un cercle des poètes, ayant tutoyé l'histoire de ce lieu –, il sera reconverti en fast-food ou pizzeria. Ainsi, la consommation intellectuelle sera substituée à celle indigestement digestive ! Et pourtant ! La librairie des Beaux-Arts a payé un lourd tribut face au terrorisme inquisiteur. Vincent Grau, son ancien gérant et « loup blanc » des lieux, avait été assassiné le 21 février 1994 devant la porte de la librairie, pour ce qu'il représentait. Pour rappel, Boussad Ouadi, gérant et directeur des éditions Inasen, avait édité en 2007 Les Geôles d'Alger du journaliste et ancien directeur du quotidien Le Matin, Mohamed Benchicou, exposé et vendu son livre Le journal d'un homme libre (Benchicou l'ayant imprimé à compte d'auteur) en janvier 2009. Ce qui a valu à Boussad Ouadi d'être entendu par la police après s'être vu confisquer la quantité des ouvrages disponibles de Benchicou. « Je lance un appel à une prise de conscience, à la sauvegarde du métier de libraire. La librairie est le dernier maillon de la chaîne de l'édition. Si elle disparaît, la culture se meurt et meurt. Il faut une liberté de création, d'expression et d'importation des livres (librement), et par conséquent payer correctement les propriétaires des murs... Nous ne voulons pas perdre cet espace pour une pizzeria. Et c'est inévitable, dans quelques mois... Dommage, c'est un patrimoine appartenant à tous », déplorera Boussad Ouadi. La fureur... d'un dé... lire ! Contredit par un grand élan de solidarité ! Librairie des Beaux-Arts 28, rue Didouche Mourad (Alger e-mail:[email protected] tél:021 63 40 14