Afrique jeudi 11 novembre 2010 Une décision qui pourrait «casser la culture du pillage» Philippe Bernard Un arrêt de la Cour de cassation autorise une enquête judiciaire française sur la manière dont trois présidents africains se sont constitué un important patrimoine parisien Audacieux, l'arrêt de principe rendu mardi par la Cour de cassation ouvre des perspectives nouvelles aux associations qui dénoncent la corruption et agissent pour en faire condamner les responsables, aussi puissants soient-ils. En relançant l'enquête sur les «biens mal acquis» par trois potentats d'Afrique, la plus haute juridiction judiciaire française peut aussi faire frémir quelques palais du continent. En filigrane, elle réaffirme aussi, dans une affaire sensible, la prééminence du juge d'instruction que Nicolas Sarkozy souhaitait supprimer. La Cour autorise l'ouverture d'une enquête judiciaire visant à élucider la façon dont trois chefs d'Etat africains ont acquis à Paris un impressionnant patrimoine, notamment immobilier. Elle le fait d'une façon nette, sans renvoyer le dossier devant une autre juridiction, devant laquelle le parquet, hiérarchiquement lié au Ministère de la justice, aurait pu continuer de faire obstruction. L'arrêt, salué comme «historique» par les associations anticorruption, leur donne satisfaction en jugeant recevable leur plainte visant le délit de «recel de détournement de fonds publics». Les organisations en question soupçonnent les présidents du Gabon (Omar Bongo, mort en 2009, et Ali Bongo, son fils et successeur), du Congo-Brazzaville (Denis Sassou-Nguesso) et de Guinée-Equatoriale (Teodoro Obiang), d'avoir financé sur fonds d'Etat leur patrimoine parisien. Ces organisations non gouvernementales (ONG), telle Sherpa, un groupe de juristes spécialisés dans la défense des droits de l'homme et Transparence International France (TIF), section française de Transparency International, considèrent que les biens en question n'ont pu être acquis qu'avec de l'argent public détourné, tant est grande la disproportion entre leur valeur et les revenus affichés par les chefs d'Etat. Les associations plaignantes réclament la restitution aux pays concernés des sommes utilisées dont, selon elles, les citoyens ont été spoliés. Mardi, les hauts magistrats ont cassé un arrêt de la cour d'appel de Paris qui, le 29 octobre 2009, avait déclaré irrecevable la plainte de TIF, empêchant l'ouverture d'une information judiciaire. Ils ont estimé que les délits reprochés, s'ils étaient établis, «seraient de nature à causer» à TIF «un préjudice direct et personnel en raison de la spécificité du but et de l'objet» de la mission de l'association.