Farouk Djouadi, Maghreb Emergent, 14 Avril 2011 A l'image de milliers d'autres communes algériennes, celle de Bousselam dans la wilaya de Sétif doit retrousser ses manches pour arracher aux autorités des routes praticables, une maternité, le raccordement au réseau de gaz naturel, de l'eau potable… Le choix de l'émeute n'est pas à l'ordre du jour des débats chauds, mais toujours pacifiques et hautement instructifs des citoyens… Pas encore à l'ordre du jour. Reportage. Une maternité, le gaz naturel, l'eau potable, des routes utilisables, une maison de jeunes, la transparence dans la distribution de logements ruraux, «bref ce n'est pas la lune» que veulent les 18 000 habitants de la commune de Bousselam, à près de 80 kilomètres au nord de la ville de Sétif. Et pour arracher ces bienfaits basiques du développement, qu'un Etat comme l'Algérie peut bien assurer à tous ses citoyens, les habitants ont décidé de s'organiser démocratiquement pour faire entendre leurs revendications. Détail pour le moins cocasse, c'est dans la salle de réunion de l'APC de Bousselam que les représentants des habitants discutent des deux options stratégiques à choisir : fermer le siège de la daïra de Bouandas (dont dépend Bousselam) ou tenir un sit-in devant le siège de la wilaya. Il est 16 heures et les délégués des 23 villages de la commune arrivent par petits groupes. Rares sont les têtes grisonnantes, l'écrasante majorité des présents a moins de 40 ans. Les présents avaient mis au point une plateforme de revendications qu'ils ont transmise, il y a déjà plusieurs mois de cela au chef de daïra, au wali, à l'Assemblée nationale et au chef du gouvernement. Aujourd'hui, il leur faut décider des moyens de pression pour faire aboutir leurs demandes. Le débat est ouvert. Fouad, enseignant au CEM, se dit favorable à la deuxième option : «Ils (les pouvoirs publics, ndlr) s'en foutent éperdument de la fermeture du siège de la daïra. On peut même l'incendier comme ce fut le cas en 2001 et ils ne vont pas bouger le petit doigt. Nous devons aller jusqu'au siège de la wilaya pour faire entendre notre voix». Un autre intervenant, chauffeur de taxi, voit les choses autrement : «Il faut fermer le siège de la daïra pendant une semaine, si ça ne marche pas, on passe à l'action du sit-in devant la wilaya». Il est soutenu par deux autres intervenants qui évoquent des difficultés d'ordre logistique : «La police va nous empêcher de nous rendre à Sétif. Ils vont intercepter nos bus», craignent-ils par anticipation. Pour Naïm, enseignant de tamazight, il n'est pas question d'aller à la daïra : «On s'est réunis déjà avec le chef de la daïra. Il nous a fait des promesses qu'il n'a pas tenues. Je ne vois pas l'utilité de perdre notre temps avec lui». Dans le même ordre d'idées, Mabrouk, un autre enseignant, estime que le chef de daïra n'a aucun pouvoir de décision. Il faut aller plus loin, à la wilaya ou, le cas échéant, à la capitale pour protester devant l'APN ou la Présidence. Il citera le cas des enseignants contractuels et des gardes communaux qui ont obtenu gain de cause. Les interventions se suivent à un rythme rapide. Hocine, en sa qualité de modérateur de la réunion, trouve de plus en plus de mal à distribuer la parole entre la trentaine de délégués. Chacun tient à placer son mot, apporter son avis sur la question. Donner une «leçon de civisme aux autorités» Le débat est chaud mais la balance finit par pencher en faveur des partisans du sit-in devant la wilaya. Ils sont de loin les plus nombreux. Les partisans de la fermeture du siège de la daïra se rangent et acceptent la décision de la majorité. La coordination inter-villages tiendra donc son sit-in le 17 avril à 9 heures du matin. Un comité chargé de la préparation de cette action est mis en place. On convient que «seules des personnes adultes et sages» participent au sit-in. «Il faut que ce soit une leçon de civisme aux autorités», insiste-t-on de partout. La coordination avait appelé, en mars dernier, à une grève générale qui a connu un succès éclatant. La population a répondu massivement au mot d'ordre de ses représentants. «Les transports ont été paralysés et tous les commerces et les établissements scolaires fermés. Cela ne nous a valu que quelques brèves dans la presse. Rien de plus», déplore Riad. «Le jour de la grève nous avons tenu un rassemblement devant le siège de l'APC. Le chef de la daïra est venu quelques heures plus tard pour calmer les esprits et distribuer des promesses qui attendent toujours d'être concrétisées», ajoute-t-il. Selon lui, la commune est notamment pénalisée par la dégradation du chemin de wilaya n°45, passage obligé pour se rendre à Sétif, à Bejaia ou à Béni Ouartilane. Ce tronçon routier névralgique se trouve, avons-nous constaté sur place, dans un état de dégradation indescriptible. Les fosses qui creusent en profondeur les petits bouts de chaussée encore praticables indiquent clairement que Bousselam ne figure pas, comme s'en plaignent ses habitants, sur la carte de développement de l'exécutif de la capitale des Hauts Plateaux. L'autre revendication et non des moindres des habitants concerne le raccordement des villages au réseau de gaz naturel. «Notre région montagneuse est connue pour ses hivers rigoureux. Nous souffrons le martyre pendant la saison hivernale où nous devons recourir aux bouteilles de gaz butane qui, en plus, coûtent très cher», renchérit un maçon, «toutes les régions du nord de Sétif sont marginalisées» tient-il à préciser. Autre lancinante urgence, une maternité : «Pour accoucher, nos femmes doivent se déplacer jusqu'à Bouandas à 20 kilomètres d'ici ou à Barbacha à 30 kilomètres !», explique un autre habitant du village de Tizguine. Selon tous les présents, toutes les communes de Sétif, deuxième plus grande wilaya en termes de population après Alger, ont bénéficié de projets de développement, à l'exception de celles situées au nord de la wilaya, dont Bousselam. Cette exclusion, ils l'expliquent par des raisons politiques : «Les autorités veulent nous punir parce que nous avons pris part aux événements de 2001 et parce que les taux de participation aux élections dans notre région sont toujours insignifiants», estime un ancien délégué du mouvement des «aarouch» qui avait été à la tête des actions de protestation et d'émeutes en Kabylie en 2001, déclenchées après le meurtre d'un jeune homme dans une caserne de gendarmerie. «Nous irons jusqu'au bout pour arracher nos droits. Les habitants de Bousselam sont aussi déterminés que le Takintoucht», lance-t-il en montrant l'imposante montagne qui domine le nord du Sétifois.