In Maghreb Emergent 28 décembre 2012 La prétention des « éditocrates » parisiens à décréter ce qui est bon ou mauvais pour les sociétés maghrébines agace des membres des élites maghrébines. En s'empressant de dresser un constat d'échec de Moncef Marzouki moins de deux mois avant son accession à la présidence de Tunisie, Caroline Fourest s'est attiré une salve de répliques. Au-delà de Fourest, les « spécialistes » parisiens qui se piquent de connaître le Maghreb mieux que les maghrébins sont invités à plus de mesure. M.Moncef Marzouki est président de la république depuis le 12 décembre 2011 dans une Tunisie en transition et en effervescence politique et sociale. Le 23 janvier, dans un article publié par Huffington Post, Caroline Fourest, a estimé que moins deux mois de présidence était un temps suffisant pour faire un bilan et décréter que ce militant « des droits de l'homme, longtemps persécuté par le régime Ben Ali et ses sbires, a fait deux promesses aux démocrates : « veiller aux objectifs de la Révolution » et ne pas transiger ». Selon elle, Marzouki a déjà failli sur ces deux promesses. L'argumentaire déployé pour disqualifier en si peu de temps, le président tunisien, a suscité rapidement une réaction d'un blogueur marocain très respecté, Ibn Kafka dans un texte intitulé « Moncef Merzouki est foutu, Caroline Fourest n'en veut plus » qui fait fureur sur la toile. Sur le pamphlet de Fourest, Ibn Kafka sent « poindre une certaine impatience agacée avec ce président d'un pays souverain et récemment démocratisé qui s'obstine à ne pas partager les opinions (pour ne pas dire obsessions) de Caroline Fourest ». Il livre en clair l'acte d'accusation dressé par Caroline Fourest : Marzouki a publié un livre avec Vincent Geisser que Fourest n'aime pas, il est soutenu par Mediapart, il n'est pas « internationaliste » selon les canons souhaités par elle… Et, suprême manquement, il « dé-diabolise » les islamistes dans les médias français ! Une « curieuse agence de notation de la civilisation » « A la place de Moncef Merzouki, je me méfierais: il n'est pas loin de perdre la confiance de Caroline Fourest, dont chacun a pu mesurer, avant le 14 janvier 2011, l'engagement sans faille contre la dictature de Ben Ali » écrit Ibn Kafka. Dans le Quotidien d'Oran, l'éditorialiste K.Selim décerne un « Triple A de l'arrogance » à Caroline Fourest qui exprime « parfaitement la prétention de présumés «spécialistes» des Arabo-Berbères et des musulmans en général à s'ériger en censeurs généraux et distributeurs de bons et de mauvais points. Ces spécialistes forment de fait une curieuse agence de notation de la Civilisation ». Sur SlateAfrique, deux tunisiennes, Hèla Yousfi (sociologue) et Nawel Gafsia (avocate), répliquent avec beaucoup de punch et des arguments à la « nouvelle croisade de Caroline Fourest en Tunisie ». D'abord le rappel qui fait mal, la passion récente de Fourest pour le sort des Tunisiens contraste avec le désintérêt qu'elle leur manifestait « lorsque Ben Ali bafouait les conventions internationales contre la torture au nom de la lutte contre l'islamisme ». Obsession islamiste Après un rappel référencé des positions et des pré-jugés de Caroline Fourest dont les lectures sont uniquement fondés sur une obsession pour les islamistes, Hèla Yousfi et Nawel Gafsia, reviennent à son papier-bilan contre Marzouki. « L'obsession de l'éditorialiste pour la question dite islamiste l'a empêchée d'apercevoir la nature éminemment diverse et riche des combats politiques menés sur le terrain en Tunisie, particulièrement à travers la force du mouvement social depuis 2008. Mais soutenir les «syndicalistes» ou les «laissés pour compte» dans le combat pour une alternative économique n'est pas aussi exaltant que sa croisade contre les islamistes. Occulter les manifestations de révoltes quasi-quotidiennes des Tunisiens depuis le 17 décembre 2010, c'est nier encore une fois la nécessaire prise en main de leur destin, dont elle ne se préoccupait pas en tout état de cause à l'époque où Ben Ali tenait les rênes du pouvoir d'une «main de fer» pour reprendre son expression ». La sociologue et l'avocate relèvent qu'en France sévit une politique d'immigration de plus en plus xénophobe avec des « quotas d'expulsions » et des traitements indignes réservés aux immigrés. « La liste est encore longue… Caroline Fourest a l'indécence de vouloir donner des leçons de démocratie et de respect des libertés au peuple tunisien, alors même qu'en France l'on compte de nombreuses atteintes aux droits fondamentaux sans que cela ne heurte autant sa sensibilité. »