Sur Facebook, le texte d'un blogueur marocain, Ibn Kafka pour le nommer, fait fureur et fait rire à gorge déployée de nombreux Maghrébins. Son titre «Moncef Merzouki est foutu, Caroline Fourest n'en veut plus» exprime parfaitement la prétention de présumés «spécialistes» des Arabo-Berbères et des musulmans en général à s'ériger en censeurs généraux et distributeurs de bons et de mauvais points. Ces spécialistes forment de fait une curieuse agence de notation de la Civilisation. M. Marzouki au palais de Carthage depuis quelques semaines, voilà que cette dame s'empresse de dresser un bilan, très négatif, sur le mode du grand naïf qui «dédiabolise» (sic) les islamistes. Le plus significatif est qu'on chercherait, en vain, une quelconque trace de critique de ce genre de «spécialistes» sur le fonctionnement du régime de Ben Ali. Au contraire, avec toute une armée de spécialistes de plateaux, l'égérie un peu excitée de la bien-pensance islamophobe s'est évertuée à apporter la démonstration que nos peuplades primitives et incultes ne sont pas aptes à la démocratie et qu'il nous faut en définitive être «guidés» par la force et la persuasion armée. Et bien entendu, les élections en Tunisie ayant donné un résultat «indésirable», elle n'est pas loin d'y trouver la preuve que les Tunisiens ont fait une erreur tragique en renvoyant leur grand ami «laïc» vers une oasis saoudienne. Le procès qui est fait à Marzouki illustre parfaitement ce que lui-même avait dit de la domination du cliché chez les éditocrates français s'agissant des pays arabes et des musulmans en général. Les charges avec lesquelles Mme Fourest dresse le bilan «monstrueux» de Marzouki et qu'Ibn Kafka énumère prêtent à rire et sont d'une consternante indigence. Marzouki a publié un livre avec un auteur que cette représentante emblématique d'élites médiatiques françaises en perdition ne supporte pas au motif qu'il serait «complaisant à l'égard des islamistes», il est apprécié par Mediapart qu'elle ne supporte pas sans nous en donner les raisons, il n'est pas un bon «internationaliste». Et, last but not least, il défend un peu trop excessivement la langue arabe ! La langue arabe serait-elle le véhicule de prédilection de l'obscurantisme dans la chétive conception du monde de cette dame ? Mais si l'argumentaire est bancal, ce qu'il faut retenir surtout est qu'une polémiste érigée en spécialiste et ils font florès qui prétend connaître mieux que les Tunisiens ce qui est bien pour eux a décidé que le président tunisien a échoué. Et qu'après à peine quelques semaines à la présidence - laquelle contrairement à celle du cher et regretté «laïc» Ben Ali n'est pas un pouvoir absolutiste -, elle décrète que M. Marzouki a failli à ses promesses. Un jugement sans nuance ce n'est pas la spécialité de la maison Fourest - que les opposants tunisiens sur le terrain ne se permettent pas encore. Mais les spécialistes parisiens «savent» et nous, dans nos pays, c'est bien connu, nous ne savons rien. Et quand nous ne sommes pas des islamistes «masqués», nous ne sommes que d'incorrigibles naïfs qui se font mener en bateau par les islamistes. Passons sur les arguments spécieux, sur les affirmations fallacieuses (Marzouki n'a jamais qualifié la langue française de cancer) mais cette prétention très paternaliste à s'ériger en juge est surtout la marque d'une vertigineuse cuistrerie, d'une ignorance abyssale et d'une mauvaise foi impressionnante. La très néoconservatrice Fourest n'hésite pas une seconde à plonger la tête la première dans le ridicule. Il faut lui reconnaître qu'elle constitue à elle seule un véritable repère de la déshérence des publicistes propulsés au-devant de la scène par ceux qui encadrent le microcosme médiatique parisien. En tous cas, sur Facebook, beaucoup se gaussent de la dame Fourest, expert éminent de l'agence de notation de la Civilisation, qui du haut de son clavier jupitérien a fait perdre son triple A de militant libre et de la démocratie à Moncef Marzouki.