06/03/2019 Les Algériens vont confirmer ce vendredi 8 mars que le pays est entrain de renaître après avoir été mis en absence pendant plus d'un quart de siècle. Les manifestations sont joyeuses, mixtes, colorées, pleines de la vitalité de la jeunesse d'un pays qui étouffait dans une république virant vers une forme spécifique de monarchie avec un champ politique transformé en makhzen obséquieux. Le 22 février a été un sursaut contre une nouvelle impudence du régime. Un sursaut inespéré. On percevait bien la colère des Algériens mais personne ne pouvait prédire le moment où celle-ci s'exprimera. C'est en définitive, le dernier affront du régime qui aura enclenché un mouvement de protestation où l'auto-organisation contre les dérives et les manipulations violentes a été d'une remarquable efficacité. Les tentatives des Algériens de changer le cours des choses ont été coûteuses, de la guerre de libération à la guerre intérieure des années 90 qui a suivi les émeutes d'octobre 1988. Une société traumatisée qui se réveille aujourd'hui pour essayer de changer les choses de manière pacifique et ordonnée. Elle a pour elle ses expériences douloureuses que le pouvoir a tenté d'instrumentaliser pour figer le pays. Ces expériences, elle ne veut pas les revivre, mais elle a décidé aussi de ne plus se résigner et de reprendre son mouvement historique entamé avec le mouvement national. Elle a aussi pour elle ces nouveaux moyens de communications que sont les réseaux sociaux qui constituent une sorte d'agora virtuelle où les idées et les informations s'échangent en temps réel. Les télévisions offshore, strictement dépendantes du bon vouloir du pouvoir, n'ont été d'aucun secours pour l'ordre établi. Les Algériens sont dans la rue et ils le montrent par eux-mêmes. Le huis-clos n'existe plus, le monde entier peut voir que les demandes exprimées sont celles de la dignité citoyenne, une exigence élémentaire de reddition de comptes de la part des gouvernants. Et une demande de respect. Le mouvement des jeunes fait renaître ses cadres. Les avocats disent désormais que ni la Constitution, ni les lois ne sont respectées. Les médecins osent interpeller le Conseil Constitutionnel sur la validité des certificats médicaux qui lui sont présentés par les candidats à la présidence de la République. Le communiqué de l'ordre des médecins est tombé la veille des révélations de la Tribune de Genève sur l'état de santé de Bouteflika qui devrait susciter la suspicion sur la validité des certificats fournis dans son dossier de candidature. Des hommes d'affaires osent désormais quitter la barque de Ali Haddad installé par la volonté du "prince" à la tête de l'organisation patronale, le FCE. Les étudiants, jusque-là contraint à subir des syndicats étudiants aux comportements plus que douteux renouent avec la tradition de l'implication politique. Et ils sont beaux, ces jeunes Algériens, notre Jil Jeune, qui ne veut pas que son avenir reste obstrué par un régime obsolète depuis au moins 1988 et qui s'est offert une rallonge aux dépens du pays. Le pays est en mouvement et il ne veut pas donner au régime le temps de se reprendre pour se perpétuer avec de nouvelles figures. Les Algériens savent parfaitement ce dont ils ne veulent plus. Ils le rediront vendredi, c'est une certitude, avec éclat. Il reste à ceux qui aspirent à jouer un rôle politique à se mettre au diapason des exigences de la population. Il ne s'agit pas seulement de rejeter le cinquième mandat, mais d'imposer un changement de régime. Sortir d'un système où la Constitution n'engage en rien le pouvoir qui peut changer les règles comme bon lui semble et où les institutions sont purement ornementales. En trois décennies, les Algériens ont appris que le Pouvoir ne cède rien sans pression. Aujourd'hui que la pression pacifique et civilisée de la rue est monumentale, il existe une fenêtre d'opportunité pour imposer ce changement. Les Algériens ne sont pas dans le 18 avril, qui est l'échéance du régime, ils aspirent à créer les conditions d'un vrai changement et imposer pour cela une vraie négociation. La question est posée. Des candidats potentiels y ont apporté la bonne réponse en refusant d'entrer dans la course à la présidentielle. Sortir de l'agenda du pouvoir pour une autre feuille de route, comme par exemple la mise en place d'un gouvernement d'union nationale chargé de gérer une transition pour aller vers une élection présidentielle ouverte ou une Constituante, est une idée partagée par un spectre large de l'opposition. Le général Ali Ghediri, lui, persiste à rester dans l'échéance du 18 avril en prenant le risque, bien réel, de passer pour le "plan B" du pouvoir et de se mettre en porte-à-faux avec la rue. Zoubida Assoul, la présidente de l'Union pour le changement et le progrès (UCP), qui avait rallié le candidat Ali Ghediri, a pris la mesure du niveau des exigences formulées par les grandes manifestations dans le pays. Elle vient d'appeler "les candidats à l'élection présidentielle à se retirer compte tenu des violations qui ont caractérisé le processus depuis son début et de rejoindre le peuple qui rejette ces élections globalement et dans le détail". Mokrane Aït Larbi, le directeur de campagne de Ali Ghediri, a lui aussi pris acte de ce changement qualitatif imposé déjà par les Algériens. "Depuis quelques jours, il est évident que le pays vit une situation révolutionnaire pacifique, sans précédant [sic] dans sa longue histoire, avec comme unique guide : le peuple" a-t-il indiqué dans un communiqué annonçant sa décision de se retirer du "processus électoral prévu en cours, pour continuer à activer, parmi les Algériennes et les Algériens en lutte, au service de notre pays". C'est clairement l'attitude la plus juste. Il ne faut pas permettre au régime de sortir un plan "B". Les politiques ne doivent pas rater le tournant, il s'agit désormais de traduire dans les faits les exigences de la jeunesse qui insuffle de l'énergie au pays: les citoyens ne sont rien aujourd'hui, ils aspirent à devenir tout. C'est cela l'exigence de dignité et de respect. Il ne faut pas transiger sur ces demandes.