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Said Loucif: Les Algériens « ont besoin d'un pacte socio-politique pour sauver l'Etat »
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 28 - 06 - 2020


Par Ghada Hamrouche -juin 28, 2020
https://www.24hdz.com/
Said Loucif/ Facebook
Psychosociologue, le professeur Saïd Loucif est un des plus fins observateurs de la société et de ses dynamiques. Dans cet entretien pour 24H Algérie, M. Loucif analyse l'impact de la révolte du 22 février 2019 sur la société algérienne et la prise de conscience collective. Il souligne aussi la complexité du Hirak, ses limites et le rôle que doivent jouer les universitaires; Les Algériens insiste-t-il n'ont pas besoin d'une révision constitutionnelle mais d'un pacte sociopolitique pour sauver l'Etat.
24H Algérie: Seize mois après la première manifestation du soulèvement populaire du 22 février, quel impact a eu le mouvement populaire sur le pays gouvernants et gouvernés ?
Le mouvement populaire du 22 février à eu le mérite de faire ressortir les véritables problématiques qui se posent à nous. Pour ma part, je les cernerai d'une manière succincte dans deux points importants : Le premier, et d'un point de vue psychosociologique, est que le mouvement populaire a mis sur scène les Algériennes et les Algériens dans une dynamique sociétale irréversible qui suit la trajectoire d'une exigence de changement radical auquel aspirent beaucoup de peuples, ou ce qu'André Bercoff appelle dans son dernier ouvrage, le « retour des peuples ».
Le second concerne la nécessité politique d'une « démilitarisation » en tant que mode de pensée et de gouvernance des espaces vitaux de la société (médias, université, partis politiques...etc) et l'exigence d'un contrôle démocratique civil d'un pouvoir sur le processus d'élaboration et de formulation de toute politique de sécurité. Bien sûr, l'existence d'institutions démocratiques n'est toutefois qu'une condition préalable pour un contrôle civil efficace. Pour qu'un tel contrôle soit pleinement réalisé, beaucoup dépend de la maturité de la culture politique, des militaires eux-mêmes, des élites et des hommes politiques.
La trêve sanitaire a mis fin aux manifestations sur la voie publique mais les arrestations des activistes et des militants se poursuivent. Le pouvoir a-t-il les moyens de remettre le pays au 21 février 2019?
Comme je viens de le mentionner, le mouvement populaire est une prise de conscience collective, une dynamique sociétale irréversible qui s'inscrit dans la durée. Si pour Nietzche l'histoire est une histoire militante qui « sert la vie », les Algériennes et les Algériens s'inscrivent à travers ce mouvement dans une histoire militante qui verra plus tard la naissance du politique et de la citoyenneté ; et si un déterminisme il y a, c'est celui de l'irréversibilité comme fin de l'histoire.
Certains officiels, parlent d'un "néo-hirak" qu'ils opposent à un hirak "originel" qui aurait été dévié de son parcours. Comment analysez-vous ce type de discours?
Tout mouvement social est par essence une réalité complexe; en essayant d'approcher ce mouvement, on se trouve toujours devant une réalité mouvante et évolutive. Je ne suis pas de ceux qui voient une discontinuité dans le mouvement du 22 février, bien au contraire les Algériennes et les algériens ne cessent depuis cette date d'évoluer dans leurs diagnostics, discours et actions de luttes. Certes cette évolution est lente, mais incontournable et nécessaire pour faire aboutir le projet d'une société ouverte et d'un régime politique démocratique.
Certains ont reproché au Hirak son défaut d'organisation face au pouvoir, d'autres lui ont reproché son "unanimisme" qui occulterait les différences des sensibilités qui le traversent? Quels sont, selon vous, les faiblesses du Hirak?
Je dirais comme vous venez de le mentionner son « unanimisme », mais tant que la dynamique sociétale reste présente nous verrons des évolutions dans l'esprit et les démarches. Le Hirak doit s'inscrire dans une lutte pour la reconnaissance et la réappropriation de la « chose politique », et surtout la réappropriation de toutes les conditions qui permettent justement aux Algériennes et aux Algériens l'exercice d'une citoyenneté tant recherchée.
Quelles perspective peut se donner le Hirak alors que l'agenda du pouvoir est déjà annoncé: révision de la constitution puis élections législatives?
Pour moi le temps des mobilisations verticales aux « rendez – vous électoraux » est révolu. La liberté dans les sociétés modernes est une vertu, et comme disait Castoriadis « Je peux dire que je suis libre dans une société où il y a des lois, si j'ai eu la possibilité effective (et non simplement sur le papier) de participer à la discussion, à la délibération et à la formation de ces lois. »
Les Algériennes et les Algériens n'ont nullement besoin d'une révision constitutionnelle ; la société a besoin en ces temps d'incertitudes d'un pacte sociopolitique qui sauvera l'Etat. La société a besoin d'un changement de régime politique et des mécanismes d'exercice du pouvoir. Vouloir déplacer le débat de la sphère politique à la sphère juridique, démontre l'incompétence du pouvoir dans le management de la cité.
L'université et les intellectuels Algériens sont-ils présents dans ce que certains ont appelé la "hirakologie"?
Sur le plan psychosocial, le Hirak est vu comme l'expression d'un désir de consensus sociétal, longuement recherché par une « élite » qui elle-même se cherche entre une Algérie profonde et un pouvoir dévastateur, entre un temps de l'engagement envers la société et un temps d'ego narcissique. Malheureusement, on remarque qu'une certaine élite et une certaine catégorie d'universitaires reproduisent, de par leurs discours et leurs postures, les stratégies de « Coping » du système social traditionnel, qui repose essentiellement sur les liens de parentés et tribaux. Mais au delà de cette caractéristique, cette dynamique reste néanmoins faiblement pensée par les universitaires. Beaucoup sont préoccupés par l'action et l' « activisme », alors qu'ils devaient s'investir davantage dans la réflexion et le « penser » du changement pour faire aboutir le Hirak. Ils devaient se préoccuper à penser le Hirak au niveau de la construction du sens ; car c'est une fois qu'on arrivera à penser le Hirak en termes intellectuels, que l'on pourra faire aboutir ce dernier politiquement.


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