Voilà bientôt 3 mois que des élections législatives se sont tenues au Liban , et pourtant les acteurs politiques ne parviennent pas à s'entendre sur un gouvernement d'union nationale et se trouvent encore dans l'impasse, le poids des sanctions qui en découleraient d'une quelconque formation sera plus que déterminant, il faut se souvenir que le viceprésident américain, Joe Biden, a fait savoir, lors d'une visite à Beyrouth le 22 avril, soit deux semaines avant le scrutin, que « les Etats-Unis, détermineront leur programme d'aide au Liban en fonction de la composition et des politiques du prochain gouvernement». Ce qui voulait dire que Washington n'est pas près d'accepter la présence du Hezbollah dans ce prochain gouvernement. Une mise en garde du viceprésident américain susceptible de conforter certaines des forces politiques bénéficiant du soutien des Etats-Unis et d'autres puissances occidentales dans leur refus d'un gouvernement d'union nationale auquel participerait le Hezbollah. En juin dernier la coalition, dirigée par Saâd Hariri, le fils de l'ancien Premier ministre assassiné en 2005, Rafik Hariri, soutenue par les Etats- Unis et l'Arabie Saoudite, a remporté les élections législatives au Liban face au Hezbollah qui a reconnu sa défaite. Quels sont les facteurs qui empêchent le Liban de se construire ? Et ne sont-ils que la résultante des différences confessionnelles? Richard Labévière[1] dans son dernier ouvrage « La tuerie d'Ehden est une machination du Mossad ! » fait état d'une volonté préconisant la fragmentation du Proche et Moyen-Orient en micros Etats, purifiés éthniquement, visant l'instauration de petits émirats sunnites, d'entités druzes et kurdes au lieu et place des Etat Nations arabes. Il parlera également des complicités intérieures, prenant exemple de l'assassinat des Frangié il expliquera comment à l'intérieur du Mossad, certains de ceux qui ont planifié le massacre des Frangié sont encore vivants et actifs notamment dans la vie politique libanaise... Courrier d'Algérie: Vous affirmez, dans votre ouvrage « La tuerie d'Ehden ou la malédiction des Arabes chrétiens » [2], que le meurtre en juin 1978 du député libanais Tony Frangié – le fils de l'ex-président libanais Sleiman Frangié a été planifié par le Mossad. L'instrument central du Mossad dans ce massacre fut Samir Geagea, à l'époque chef des Phalanges pour la région Nord. Jusqu'à ce jour la relation entre Geagea et le Mossad n'a jamais été aussi clairement établie. Peut-on en savoir plus, notamment sur les preuves que vous avancez ? Richard Labévière : «Dans le chapitre 11 de» La tuerie d'Ehden qui s'intitule «La manipulation du Mossad », j'explique comment et pourquoi -dès 1948- David Ben Gourion, le fondateur de l'Etat hébreu a décrété que le Liban était l'un des objectifs stratégiques majeurs d'Israël, parce que conditionnant l'évolution de sa frontière Nord, mais aussi parce que ce petit pays sans Etat est constitué de minorités. Depuis la création de l'Etat hébreu, les responsables politiques et militaires israéliens n'ont cessé de chercher à instrumentaliser ces minorités pour casser les Etats-nations voisins et retribaliser le monde arabe environnant. Autrement dit, avec l'aide des administrations américaines successives, Tel-Aviv s'est toujours efforcée de promouvoir aux Proche et Moyen- Orient une géopolitique de la fragmentation territoriale et politique. La signature des accords de Camp David en 1978 entre Menahem Begin et Anouar El-Sadate s'inscrit dans cette logique. À la même époque, Begin a cherché à reproduire les mêmes conditions de cette trahison égyptienne avec le Liban. Depuis le pacte national libanais de 1943, le président de ce pays est choisi au sein de la communauté chrétienne. Par conséquent, Tel-Aviv a misé sur l'un des candidats possibles -le jeune Béchir, le fils de Pierre Gemayel fondateur en 1936 du parti phalangiste ayant reçu l'appui d'Israël dès 1958 alors que les nationalistes libanais pro nassérien s'opposaient au président Camille Chamoun, créature de la Grande-Bretagne et des Etats- Unis. Dès 1976, Tel-Aviv a livré des armes et délivré de la formation et des renseignements militaires à la famille Gemayel et à ses alliés. Cette fabrication israélienne du président Béchir Gemayel s'est faite en deux temps : 1) en l'aidant à «unifier le fusil chrétien», c'est-à-dire en le portant à la tête des communautés chrétiennes libanaises ; 2) en éliminant ses concurrents. Leur chef de file, le jeune député Tony Frangié, issu de l'une des grandes familles du Nord du Liban, alliée au président syrien Hafez El Assad, était farouchement opposé à Israël. Le chef de la cellule du Mossad chargée du Liban David Kimche et le colonel Ariel Sharon ont aidé à préparer et à réaliser la tuerie d'Ehden, comme ils ont géré, quatre ans plus tard, les odieux massacres de Sabra et Chatila. Je cite, dans le livre certaines de mes sources dont l'agent du Mossad repenti Victor Ostrovsky et l'un des principaux collaborateurs de David Kimche répondant au nom de guerre Kssas. Sans être un repenti, ce dernier qui vit aujourd'hui entre Genève et Abidjan avait -semble-t-ilquelques comptes à régler avec son ancienne hiérarchie. Ces éléments m'ont été confirmés en Syrie, mais aussi au plus haut niveau d'un service européen de renseigne ments particulièrement engagé au Liban. Pour des raisons évidentes de sécurité et de crédibilité, je n'ai pu citer l'ensemble de ces sources et documents à l'abri dans le coffre d'une banque helvétique... L'actuel patron du Mossad Meïr Dagan est parfaitement au fait de la fabrication de la tuerie d'Ehden, puisqu'à l'époque, jeune officier de 33 ans, il en a supervisé certains des aspects logistiques. Responsable de l'assassinat d'Imad Moughniyah (l'un des chefs militaires du Hezbollah), le 12 février 2008, Meïr Dagan -fidèle à la doctrine Ben Gourion- considère toujours l'engagement libanais du Mossad comme l'une de ses priorités. L'un des collaborateurs de Tony Frangié, un dénommé Abou Joe a témoigné sur la chaîne libanaise Orang-TV en septembre 2008. Il a dit avoir participé à la défense du palais des Frangié en juin 1978 et il a reconnu qu'il était certainement responsable de la blessure faite à Samir Geagea durant l'attaque. Quelques jours après la diffusion du programme, il a été assassiné par des hommes de main des Forces libanaises (FL). Quel lien peut-on établir ? À l'évidence, l'assassinat de Youssef El-Chab Frangié dit Abou Joe, dans la nuit du 17 au 18 septembre 2008 par des nervis des Forces libanaises, au village de Bsarma dans la région septentrionale de Koura, constitue l'ultime rebondissement de la tuerie d'Ehden. Abou Joe étant ainsi la 32ème victime de cet assassinat politique qui ouvrit une lutte fratricide entre les Phalangistes alliés d'Israël et le reste des Arabes chrétiens revendiquant leur pleine et entière appartenance au monde arabe. Responsable du bureau des Marada de Bsarma (le parti de Sleimane Frangié, fils du député Tony qui a échappé à la tuerie à l'âge de 13 ans), Abou Joe avait effectivement témoigné dans une émission d'O-TV, « Le Massacre et le pardon », diffusée le 13 juin 2008, pour le trentième anniversaire de la tragédie d'Ehden. L'une des grandes figures de la résistance des villageois lors de la tuerie, il me fut aussi un témoin précieux et capital. La précision de ses souvenirs, alliée à un contact direct et joyeux, en a fait l'un des personnages importants de mon enquête. Sans enjoliver ni idéaliser, sans s'attribuer un quelconque héroïsme, il m'avait fait revivre la riposte des montagnards contre l'incursion des Phalangistes, sur les lieux mêmes du drame, en en reproduisant les gestes et les péripéties. Dans le contexte surchauffé de la campagne électorale précédant l'élection législative libanaise du 7 juin dernier, Abou Joe a été tué après une dispute de colleurs d'affiches. En pure provocation, les activistes des Forces Libanaises cherchaient à placarder une affiche de Samir Geagea, juste en face d'une permanence des Marada. Sachant qu'Abou Joe était responsable du secteur, la préméditation de ce fait divers ne fait aucun doute, d'autant que les assassins étaient appuyés par un membre des FSI (Forces gouvernementales de sécurité intérieure), intégré à l'équipe de gardes du corps du député local Farid Habib, lui aussi partisan de Samir Geagea. Saisie, la justice militaire libanaise n'a pas encore, à ce jour, remis ses conclusions... À l'intérieur du Mossad, certains de ceux qui ont planifié le massacre des Frangié sont encore vivants et actifs notamment dans la vie politique libanaise. Quel rôle jouent-ils encore aujourd'hui ? Conservent-ils des liens avec le Mossad ? Ces liens sont-ils toujours d'actualité ? Outre Samir Geagea -actuel dirigeant des Forces libanaises-, à l'époque responsable militaire phalangiste des régions libanaises septentrionales, et qui rejette la responsabilité des contacts avec le Mossad sur Béchir Gemayel disparu en 1982, la plupart des protagonistes de premier plan se font très discrets. La plupart ont émigré, en Australie, aux Etats-Unis ou au Canada. Les autres se sont reconvertis dans les affaires et ont quitté la scène politique. Quoiqu'il en soit, le Mossad a conservé ses contacts de l'époque. Depuis 6 mois, une dizaine de réseaux travaillant pour le Mossad ou le Renseignement militaire israélien dans la Bekaâ et le Sud du pays, a été démantelée à la suite d'enquêtes menées, notamment par les services du Hezbollah. Si une nouvelle génération de correspondants libanais du Mossad a été recrutée à la-va-vite et sans toujours respecter les règles, les animateurs du réseau Kimche, qui ont préparé et conçu la tuerie d'Ehden ne sont pas à la retraite. Une note d'un service européen de renseignements explique par le menu détail comment le Mossad a pu, suite à la guerre israélo-libanaise de l'été 2006, réinvestir des milieux d'affaires, différents niveaux d'encadrement de l'armée libanaise et plusieurs ONG occidentales. Il faut -ici- le répéter, le Liban demeure l'un des objectifs prioritaires du Mossad et du renseignement militaire israélien. Avez-vous subi des menaces ou encore des pressions ? J'ai été licencié «pour faute grave» de Radio France Internationale (RFI), le 12 août 2008, officiellement après avoir interviewé pour RFI et TV5-Monde le président syrien Bechar El Assad qui était invité à Paris pour le sommet fondateur de l'Union pour la Méditerranée (UPM) du 12 juillet 2008. Principalement mis en oeuvre par Madame Christine Ockrent, épouse du ministre Bernard Kouchner, ce licenciement -qui s'apparente clairement à un délit d'opinion- s'inscrit dans une longue suite d'interventions et de pressions de l'ambassade d'Israël à Paris auprès de ma direction, de ma rédaction et de mon entourage. À la veille de la parution de La tuerie d'Ehden, différents émissaires m ‘ o n t approché pour me s i g n i f i e r q u ‘ u n e remise à plus tard de la sortie du livre ou son annulation pure et simple pourrait faciliter, sinon ma réintégration professionnelle, du moins mon retour en grâce, afin de retrouver du travail dans la presse française. D'autres interventions politiques plus indirectes, transitant, notamment par le Parti socialiste, ont essayé de m'adresser les mêmes recommandations. D'autres amicales pressions ont tenté de convertir mes parents... Est-il exact que vous ayez subi des pressions pour que certains noms figurant dans votre livre soient occultés ? Comme je vous l'ai déjà dit, les témoignages, documents et archives qui garantissent la crédibilité du livre sont au coffre et leur divulgation dans le corps du texte ou par l'intermédiaire d'autres supports, n'aurait rien ajouté à la démonstration. Mon livre n'a pas la prétention d'être exhaustif et définitif. Plus modestement, il se veut une pièce versée au dossier noir des coups portés par le Mossad à l'autodétermination du peuple palestinien et à la souveraineté des autres pays arabes. Sur le plan libanais, mon travail d'enquêteur ne visait aucunement à prendre parti pour tel acteur ou autre organisation politique, mais seulement à oeuvrer en faveur d'une avancée de la vérité historique, sinondans le sens d'une réconciliation possible des Arabes chrétiens. Quelle «révélation» ou découverte vous a le plus surpris ? Malheureusement, le cynisme et la cruauté des coups tordus fomentés par les services israéliens et de leur armée coloniale ne me surprennent plus depuis bien longtemps, depuis plus de trente ans que j'essaie de couvrir ce conflit de portée universelle. Ce qui me surprend toujours davantage, c'est le suivi, l'ampleur et la sophistication de cet effort israélien de fragmentation géopolitique du monde arabe. À cet égard, il faut toujours revenir et citer la note d'Oded Y i n o n (conseiller au ministère israélien des Affaires étrangères)[3], préconisant la fragmentation des Proche et Moyen-Orient en micros Etats, purifié ethniquement, visant l'instauration de petits émirats sunnites, d'entités druzes et kurdes aux lieu et place des Etats Nations arabes. Ce qui me surprend davantage, c'est le choix israélien de l'option du pire, à savoir celui de la radicalisation, qui consiste -là aussi- à fragmenter le mouvement national palestinien afin de favoriser les factions islamistes. La fracture entre l'Autorité palestinienne et le Hamas est largement -elle aussi- une fabrication des services israéliens. Aujourd'hui, ils s'efforcent de promouvoir des groupuscules radicaux jouant la nébuleuse Al Qaïda pour dénier au conflit israélo-palestinien toute espèce de dimension politique afin de le transformer en problème strictement sécuritaire considéré comme un objectif de la lutte anti-terroriste. Les nationalistes palestiniens sont, désormais relégués dans la catégorie des terroristes internationaux. Scandaleuse, cette imposture sert, depuis trop longtemps à blanchir les crimes israéliens contre l'humanité au Proche et au Moyen-Orient et ailleurs. Il faudrait ainsi s'intéresser de plus près aux agissements du Mossad dans la Corne de l'Afrique, au Sahel en en Afrique centrale... Enfin, ce qui me surprend toujours plus, c'est la complicité, le laxisme ou l'ignorance entretenue des élites politiques, journalistiques et culturelles de mon propre pays et d'autres Etats européens et arabes, quant à ces agissements. Face à cette cécité dominante, et en dernière analyse, je dirai qu'il ne faut jamais renoncer à faire un travail de recherche et d'enquête pour essayer d'approcher, de comprendre et, peut-être, de transformer cette réalité morbide et universelle -répétons-le- du conflit israélo-palestinien. [1] Rédacteur en chef de la revue «Défense» de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). [2] Edition française (Editions Fayard, avril 2009) ; édition arabe (Al Farabi, mai 2009). [3] Oded Yinon, Kivunim, numéro 14, février 1982. Revue publiée par le Département de la Propagande, Organisation sioniste mondiale, Jérusalem. Cet article a été envoyé à la Revue d'études palestiniennes par Israël Shabak et publié dans le numéro 5 (automne 1982). Propos recueillis par Meriem Abdou