«Nous querellons les miséreux pour mieux nous dispenser de les plaindre.» Vauvenargues. Depuis plus d'un mois nous vivons au rythme des tueries quotidiennes en Palestine et au Liban. J'ai souvenance que la Coupe du monde 1982 a été gâchée par l'invasion israélienne du Liban, les tueries de Sabra et Chatila suite à une entente des phalangistes et un certain général Sharon qui fut d'ailleurs condamné par la Cour suprême israélienne. Près de 25 ans plus tard, même scénario en pleine Coupe du monde, Israël prend prétexte de «récupérer le soldat Shalit pour envahir et démolir Ghaza faisant au passage des dizaines de morts». Le 12 juillet, Israël bombarde le Liban ; cette fois le prétexte est la récupération de 2 soldats qui se sont aventurés en territoire libanais. Depuis quinze jours au Liban, c'est l'horreur au quotidien. Israël démolit le Liban pierre par pierre, les ponts, les infrastructures, les usines. Bref, tout ce que le Liban a tenté de reconstruire depuis les accords de Taif il y a une quinzaine d'années. Devant le silence assourdissant de tous les laudateurs de Tsahal, les intellectuels de gauche si prompts à dégainer quand il s'agit de faire la chasse à l'arabe, il m'a semblé de mon devoir, toute proportion gardée, de faire appel à l'aide de Zola et de sa célèbre lettre « J'accuse » quand il a lancé ce cri contre l'injustice des hommes et l'antisémitisme rampant en France. Ce même antisémitisme qui a eu une brillante consécration avec le nazisme et Vichy. Ecoutons le: «La vérité est en marche» «Monsieur le Président, la vérité, je la dirai, car j'ai promis de la dire, si la justice, régulièrement saisie, ne la faisait pas, pleine et entière. Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient hantées par le spectre de l'innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu'il n'a pas commis. Et c'est à vous, monsieur le Président, que je la crierai, cette vérité, de toute la force de ma révolte d'honnête homme....Pendant ce temps, le malheureux s'arrachait la chair, hurlait son innocence. Et l'instruction a été faite ainsi, comme dans une chronique du quinzième siècle, au milieu du mystère, avec une complication d'expédients farouches...».(1) Ce n'est pas, d'ailleurs, que je désespère le moins du monde du triomphe. Je le repère avec une certitude plus véhémente : la vérité est en marche, et rien ne l'arrêtera. Quand on enferme la vérité sous terre, elle s'y amasse, elle y prend une force telle d'explosion, que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle. J'accuse les bureaux de la guerre d'avoir mené dans la presse, particulièrement dans l'Eclair et dans L'Echo de Paris, une campagne abominable, pour égarer l'opinion et couvrir leur faute. Quant aux gens que j'accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n'ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l'acte que j'accomplis ici n'est qu'un moyen révolutionnaire pour hâter l'explosion de la vérité et de la justice. Je n'ai qu'une passion, celle de la lumière, au nom de l'humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n'est que le cri de mon âme.(1) Le monde de 2006 est, à bien des égards, une période marquée par un antisémitisme-Les Arabes sont aussi des sémites-. A bien des égards les conflits qui agitent le monde d'aujourd'hui sont les produits de l'intolérance, le refus de dignité, le mythe récurrent de la race supérieure. Au passage nous remarquons comment Zola dénonce la presse partisane. Un siècle plus tard ces accusations n'ont pas pris une ride. On diabolise dangereusement les autres sémites que sont les Arabes. Ce cri du coeur qui a fait date dans l'histoire de France résume à lui seul, et toute proportion gardée, la similitude entre l'antisémitisme dont a souffert Dreyfus et l'antisémitisme dont souffrent depuis plus de 40 ans les Palestiniens et les Libanais. S'agissant de la similitude avec ce qui nous révolte actuellement, il faut revenir aux faits. En fait de quoi s'agit-il? Voilà un gouvernement sioniste théocratique quand cela l'arrange, se piquant d'être «démocrate»-que nous ne devons pas confondre, on ne le dira jamais assez, avec le peuple juif- qui a droit à l'existence, à la dignité, à la paix au même titre que le peuple palestinien ou libanais. On nous dit qu'Israël a le droit de se défendre, contre qui? contre des Libanais chiites qui défendent leur terre qui disposent de lance-pierres en face de l'armada israélienne qui dispose de bombes à laser, à fragmentation, à phosphore, qui dispose d'appareils qui arrivent à détruire tout un pays sous le seul prétexte de récupérer deux soldats enlevés par le Hezbollah -remarquons au passage que les médias mainstream mettent sur le même pied les pétards du Hezbollah et les drones d'Israël. De qui se moque-t-on! On détruit toute l'infrastructure d'un pays, on tue près de 400 personnes, on traumatise des milliers et on pousse à l'exode plus de 800.000 personnes ( ¼ de la population erre sur les routes). Dès le départ, les Etats-Unis ont adoubé cette opération qui devait être limitée dans le temps. Seulement, elle ne s'est pas passée comme prévu, il se trouve que des patriotes- sans être une armée régulière- ont résisté, il existe encore des Arabes qui refusent de se mettre à plat ventre comme le suggère le vice-ministre israélien tentant de faire semer le trouble entre les Libanais pour aboutir à la solution américano-israélienne d'une partition confessionnelle du Liban sur le modèle de l'Irak. Pour ce faire, Israël exige que le Hezbollah soit désarmé conformément à la résolution 1559. Combien de dizaines de résolutions ont été bafouées par Israël? Souvenons-nous de la 242, souvenons-nous de l'arrêt de la Cour internationale contre le mur de séparation. En fait Israël fait ce qui lui plaît pour le plus grand malheur des peuples de la région, peuple juif compris. Quand une mère palestinienne perd son enfant, sa douleur est la même que celle d'une mère israélienne. La fameuse résolution 1559 qui a permis de bouter la Syrie hors du Liban a été imposée par le rapprochement de la France et les Etats-Unis. Le prétexte est de désarmer le Hezbollah pour asseoir, nous dit-on, la souveraineté de l'armée libanaise. Emile Lahoud l'a bien dit à France 3 le 21 juillet: «Les militants du Hezbollah sont des patriotes libanais qui sont là pour défendre le pays». Le parti Hezbollah est né, on s'en souvient, après l'invasion du Liban en 1982. 25 ans après, le problème reste entier. La Palestine est toujours occupée, Israël ne veut pas restituer les fermes de Chaba'a, (territoire libanais), ni le Golan syrien. La conférence du mercredi 26 juillet à Rome s'ouvre sur des incertitudes. Les Américains et les Israéliens exigent un accord avant le cessez-le-feu, contrairement aux autres participants, Libanais qui, eux, vivent le cauchemar. On remarquera au passage que les trois pays arabes, Egypte, Arabie Saoudite et Jordanie font preuve d'un silence religieux tout au plus, ils accusent le Hezbollah et le Hamas de provoquer Israël. Il est prévu nous dit-on une force d'interposition en territoire libanais pour sécuriser Israël en désarmant le Hezbollah et faire ainsi le sale boulot d'Israël par procuration. Si le déploiement d'une force multinationale est effectivement à l'étude dans plusieurs capitales, on soulignera qu'il ne pourra probablement pas se faire à court terme. Les Etats-Unis maintiennent en effet leur volonté de laisser du temps à Israël pour «nettoyer» le Hezbollah. On estime donc, dans les états-majors, qu'un minimum de 10.000 hommes serait nécessaire pour arriver au résultat escompté. Le mandat de ces troupes devra être précis et clair et elles devront être en mesure de s'opposer par la force à toute tentative d'infiltration du Hezbollah mais aussi, comme l'a souligné le Président Jacques Chirac il y a quelques jours, de continuer à désarmer cette organisation «si nécessaire par des moyens coercitifs» pour appliquer la résolution 1559. On remarquera au passage la volte-face de la France qui considère «de facto» le Hezbollah «comme l'ennemi à abattre, rejoignant en cela la position israélienne qui impose à l'Europe de considérer le Hezbollah comme une organisation terroriste. En dépit de sa participation au gouvernement élu démocratiquement, le Hezbollah comme le Hamas en Palestine sont des organisations terroristes pour les Américains et les Israéliens. Pour s'être aligné de plus en plus sur la position dénuée d'équilibre, américaine et partant israélienne, l'influence de la France dans le Monde arabe dans ce cher Liban», et, pour reprendre l'expression du général de Gaulle, devient de plus en plus évanescente. Echecs répétés Par ailleurs, la plupart des tentatives de l'ONU ou de la communauté internationale de «restaurer la paix» par la force ou de la «maintenir» par les mêmes moyens se sont terminées, ces 25 dernières années, par de sanglants échecs et des tragédies pour les populations civiles, depuis le Liban, déjà, en 1982, jusqu'à la Bosnie en passant par la Somalie et le Rwanda. Georges Corm, ancien ministre libanais, politologue, avec sa lucidité coutumière, ne dit pas autre chose quand il dénonce la résolution 1559. Ecoutons le: «Les décideurs internationaux ont la mémoire courte. Face à l'immensité de l'agression israélienne sur le Liban, ils pensent pouvoir l'exploiter pour mettre en oeuvre par la force la fameuse résolution 1559 qui a rendu le Liban à son statut d'Etat-tampon où se règlent en toute impunité les tensions et conflits régionaux.»(2) «En proposant la constitution d'une force multinationale à déployer au sud du Liban, la «communauté internationale» risque fort de rééditer les mêmes erreurs que celles qui ont présidé à la constitution de la Force multinationale d'interposition (FM), créée à l'initiative de François Mitterrand lors de l'invasion israélienne de l'été 1982. Cette force avait pour mission d'assurer l'évacuation des combattants palestiniens hors du Liban, qualifiés alors de «terroristes», et de protéger la population civile libanaise et palestinienne martyrisée par l'invasion brutale de la moitié du Liban. Comme aujourd'hui, où la totalité du Liban est prise en otage par l'armée israélienne, la moitié du pays le fut alors, au cours de l'été 1982, par cette même armée ; elle fut aussi, comme en cet été 2006, bombardée nuit et jour durant deux mois et demi par terre, par mer et par air, sans distinction entre objectifs militaires et civils ; l'eau et l'approvisionnement furent coupés aux habitants de Beyrouth encerclée. Yasser Arafat était l'objet de poursuites aériennes, tout comme l'est aujourd'hui le chef du Hezbollah. On peut se rappeler aussi qu'en juillet 1982 les dirigeants du G7 étaient alors somptueusement réunis au château de Versailles et trop occupés par leurs agapes pour daigner même regarder mourir des milliers de Libanais et de Palestiniens ensevelis sous les décombres de leurs habitations ou bombardés alors qu'ils tentaient de fuir l'enfer. Il n'y avait pas à l'époque de Hezbollah, mais Israël voulait éradiquer le «terrorisme» palestinien présent au Liban et imposer un gouvernement libanais à sa solde qui termine le travail d'éradication violente. «La force d'interposition débarqua effectivement à Beyrouth, fit sortir Yasser Arafat et deux ou trois mille combattants palestiniens, s'assura de l'élection d'un président phalangiste (Bachir Gemayel) qui avait cautionné l'invasion israélienne, puis rembarqua. La suite fut un désastre : assassinat du président, entrée des troupes israéliennes à Beyrouth et massacres horribles de femmes et d'enfants palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila. François Mitterand obtint alors le retour précipité de la FM au Liban: cette dernière assista sans broncher aux massacres du Chouf, encouragés par l'armée israélienne (10.000 victimes, 200.000 chrétiens chassés par la force de cette région). Le gouvernement américain, de son côté, encouragea le gouvernement phalangiste libanais à signer un traité inégal avec Israël, résultat? Des attentats spectaculaires contre les troupes américaines et françaises (450 morts) en octobre 1983 et une relance sanglante jusqu'en 1990 de la guerre entre milices libanaises». Si, en revanche, l'existence du Hezbollah au Liban, comme celle du Hamas en Palestine, n'est pas une simple création machiavélique de l'axe Téhéran-Damas, mais le résultat des quarante ans d'occupation par Israël de la Cisjordanie, de Ghaza, de la Palestine et du Golan syrien, de vingt-deux ans d'occupation d'une large partie du sud du Liban par Israël (1978-2000) -en infraction à toute légalité internationale-, alors le traitement de la question libanaise doit être tout autre. Le Liban, en effet, ne se gouverne pas par la force ni par la loi de la majorité. Il est une démocratie consensuelle et fragile du fait justement du contexte régional si agité, mais aussi de son régime communautaire. Il faudrait aussi reconnaître la complexité des forces politiques en présence au Liban et ne pas présenter exclusivement le point de vue des factions sympathisantes de la politique américaine ou française et hostiles au Hezbollah. Ne serait-il pas temps d'ailleurs au Proche-Orient de tenter une autre voie que la politique de la canonnière, qui a si bien caractérisé le XIXe siècle colonial et qui renaît de ses cendres aujourd'hui de façon scandaleuse. Avec cette dernière phrase, tout est dit, Georges Corm nous incite à nous ressouvenir des politiques coloniales des accords de Sykes Picot qui ont vu le dépeçage de l'Empire ottoman. L'histoire se répète , Condoleeza Rice affirme, le 25 juillet à Ramallah, que le «Nouveau Proche Orient» accouche dans la douleur. Nous sommes d'accord avec elle en ce qui concerne la douleur. Le moment est venu, à l'instar de Zola, d'affirmer haut et fort, au nom de la dignité, au nom de l'humanité, au nom du droit, au nom des religions une seule phrase: J'accuse ! J'accuse le monde occidental de poursuivre sa course folle vers l'abîme de l'injustice, de ne pas faire preuve de discernement devant ces génocides silencieux pour lesquels la conscience du monde se tait, pour lesquels les intellectuels se taisent. J'accuse les dirigeants arabes de ne pas être à la hauteur des espoirs placés en eux par leur peuple. J'accuse les Nations unies de vouloir laisser faire, sous prétexte de politique politicienne et d'ambition personnelle de son secrétaire général de laisser s'éteindre des civilisations. (1).1.Emile Zola: «J'accuse»: Texte intégral de la lettre d'Emile Zola à Félix Faure, Président de la République, le 13 janvier 1898 (2) Georges Corm: «Liban: réflexions autour d'une paix possible», Le Monde du 24 juillet 2006