La proximité entre Alger et Moscou a fini par dépasser les pronostics des observateurs les plus avertis en matière de relations internationales. En très peu de temps, l'axe s'est renforcé au point de se transformer en véritable force pouvant influer sur des enjeux capitaux à travers le monde. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - La toute dernière déclaration de l'ambassadeur d'Algérie en Russie en dit bien assez long sur le sujet. S'exprimant au cours de le semaine écoulée à la Douma (Chambre des députés russes), ce dernier a, en effet, tenu à faire part de la «gratitude de l'Afrique» à l'égard de ce pays «qui n'a pas, dit-il, d'aspirations néocoloniales contrairement à d'autres partenaires de ce continent». Selon l'agence de presse Sputnik, Smaïl Allaoua a ensuite enchaîné en affirmant que l'Algérie était «fière du niveau des relations avec la Russie et du «sérieux du potentiel de développement durable des relations bilatérales observé ces 20 dernières années, y compris dans le cadre de la coopération interparlementaire». Son discours est largement repris par les médias russes mais aussi la presse africaine qui a suivi de près la rencontre entre les ambassadeurs africains et les députés de la Douma. La voix d'Alger s'est exprimée telle qu'on l'attendait là-bas. Moscou considère le pays comme «un partenaire clé», une porte ouverte sur l'Afrique où Vladimir Poutine entend bien continuer à tisser sa toile. Les intérêts sont partagés, la symbiose semble totale et s'exprime d'ailleurs de manière très claire de part et d'autre. Longtemps diabolisée, voire isolée par un Occident en quête de suprématie, Moscou a su redéfinir d'une main de maître sa politique étrangère en s'imposant dans les grands conflits tous d'une manière ou d'une autre liés au monde arabe lui-même en connexion évidente avec la situation prévalant dans le Sahel. En quête d'appuis sérieux dans les pays impliqués, Poutine saisit au vol l'opportunité que lui offre le Président Bouteflika lors d'une première visite effectuée en 2001. Partenaire privilégié de l'Union soviétique durant la guerre froide, l'Algérie et la Russie entretiennent à ce moment des relations plus distendues à ce moment. Le Président entend bien rétablir les liens et en fait une question presque vitale dictée par les grands enjeux qui redéfinissent le monde depuis la guerre du Golfe. La machine se remet en marche mais trop lentement aux yeux de l'Algérie. C'est également l'époque où un grand scandale à l'armement affecte les relations en quête de développement. En raison de la découverte de pièces défectueuses sur des avions russes livrés à l'armée algérienne en 2007, le pays a décidé de résilier les contrats qui le liaient au constructeur. L'affaire a fait grand bruit et entaché l'image de l'industrie aéronautique russe dont dépendent en partie les revenus des exportations de Russie. Le montant du contrat avoisinait les 1,3 milliard de dollars. Moscou sévit, condamne les coupables, mais perçoit d'un mauvais œil le rapprochement d'Alger avec d'autres fournisseurs en armement. Des négociations algéro-russes permettent toutefois de dépasser les obstacles. Poutine, qui vient d'être réélu, décide de se rendre à Alger. Des pourparlers tenus secrets se poursuivent jusqu'aux derniers moments et semblent avoir un lien direct avec le retard inattendu du déplacement du chef d'Etat russe. Nous sommes en février 2006, Bouteflika accueille son homologue russe qui arrive finalement avec une journée de retard. Poutine décide d'effacer la dette algérienne estimée à 4,7 milliards de dollars. L'action a deux objectifs : diplomatique puisque l'effacement de la dette concerne également l'Irak et la Syrie, et commercial. Le geste suffit, en effet, à réimposer Moscou comme fournisseur essentiel en armement auprès des Algériens. Durant cette visite, on annonce, en effet, la signature de contrats de 3,5 millions de dollars pour la livraison d'avions de combat russes. Depuis, le commerce est allé en s'intensifiant. En visite à Alger, au début du mois de novembre en cours, le président du Comité de défense et de la sécurité et du conseil de Russie annonçait que l'Algérie avait acheté des armes russes de 26 milliards de dollars. Après sa rencontre avec des représentants du ministère algérien de la Défense, il annonce également la possibilité de la création d'une entreprise conjointe de fabrication de munitions en Algérie. Le service de presse de Bandarev fait ainsi savoir qu'à la «demande de la partie algérienne, la possibilité de la création d'une entreprise conjointe de fabrication, réparation, prolongation de la durée de vie et élimination des munitions guidées et non guidées en Algérie est examinée». A travers le monde, la Russie est désormais présentée comme étant le partenaire essentiel ayant permis la remise à niveau de l'armée algérienne. En dépit des apparences, les échanges commerciaux ne se limitent pas qu'à l'armement. Selon des informations rendues publiques par la porte-parole russe du ministère des Affaires étrangères, le montant de ces échanges avait déjà dépassé les 3 milliards de dollars, hors contrats d'armement, au cours de l'année 2018. «Ils sont en voie d'accroissement», ajoute en outre cette dernière en précisant que «l'Algérie est l'un de nos principaux partenaires en Afrique et dans le monde musulman». Le partenariat s'étend à tous les domaines, recherche, agriculture, développement du nucléaire, ressources diverses, exportations des denrées alimentaires… Son étendue fait frémir certains pays d'Europe qui se mettent à craindre une sérieuse concurrence. Le projet d'achat du blé russe en démontre l'ampleur. Les Russes ont répondu de manière intéressante à l'appel d'offres d'Alger qui s'apprête à renflouer ses besoins en céréales, menaçant ainsi de détrôner le partenaire français traditionnel. L'affaire a fait grand débat et les craintes françaises exposées au grand jour. Dans les deux pays, on évite, cependant, grandement de limiter les débats en cours sur le rapprochement bilatéral au seul aspect militaire. En juillet dernier, l'ambassadeur de Russie tenait ainsi à expliquer les raisons pour lesquelles Alger «achète tant d'armes à la Russie». «Des foyers terroristes se sont formés dans de nombreuses régions du Proche-Orient et de l'Afrique du Nord en raison de la politique irréfléchie de certains pays qui cherchent à renverser les régimes qui ne leur conviennent pas. Les terroristes migrent d'une zone à une autre et présentent une menace pour la sécurité de l'Algérie et de la Russie. Voilà pourquoi nos deux pays luttent ensemble contre le terrorisme. L'Algérie a rejoint la base de données sur les terroristes élaborée par le Service fédéral de sécurité.» La concertation ne concerne pas que le sécuritaire cependant. Les deux pays convergent sur les questions internationales et régionales notamment la situation en Syrie, en Libye et au Sahel. Au sein des Nations-Unies, Moscou dénonce toutes les manœuvres autour du dossier du Sahara Occidental et pèse de tout son poids pour déjouer et dénoncer les tentatives malveillantes. Lentement mais sûrement, l'axe Alger-Moscou s'est ainsi mis en place. A. C.