Le pays s'est mis à l'heure de la présidentielle. Le cinquième mandat fait inévitablement grand débat et l'opposition tente d'apporter la contradiction au régime en place, usant de tous les canaux permettant de véhiculer leurs messages. La guerre de communication fait rage dans une Algérie où l'ère de «l'Unique» et du contrôle des espaces d'expressions est désormais révolue. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - 25 janvier 2019. Réagissant au suicide d'un réalisateur en conflit avec Dzaïr TV, l'Autorité de régulation de l'audiovisuel (Arav) réagit à l'évènement en publiant un communiqué lourd de sens. «Des citoyens parmi lesquels des artistes et des professionnels du cinéma se sont rassemblés devant le siège de l'Arav pour manifester leur colère suite à une tentative d'immolation devant les locaux de Dzaïr TV. Elle ne peut que compatir à la douleur de ses proches auxquels elle présente ces sincères condoléances». Le président de cette instance en appelle une fois de plus aux autorités concernées, le ministère de la Communication en l'occurrence, pour mettre de l'ordre dans l'épineux dossier des télévisions privées émettant en Algérie. Il rappelle surtout que «ces télévisions sont de droit étranger». La quasi-totalité des chaînes de télévisions algériennes émettant actuellement n'ont pu trouver que ce subterfuge juridique pour contourner les difficultés «d'installation» en Algérie. Dans de nombreux cas, les programmes émis par ces dernières demeurent incontrôlables. Le fait est notamment visible lorsque de gros évènements surviennent. Concurrence oblige, ces dernières oeuvrent de tout leur poids pour attirer et augmenter l'audimat, dans des shows, débats ou émissions en contradiction totale avec le discours officiel ambiant. L'opinion l'a clairement perçu lors de l'arrestation d'un groupe de journalistes, figures connues du football et comédiens. Alors que la communication officielle s'attelait à présenter le groupe comme étant auteur d'actes de cybercriminalité, plusieurs de ces médias ont traité l'information de manière tout autre, offrant l'antenne à toutes les voix qui affirmaient l'inverse. Les rassemblements interdits de comités de soutiens aux mis en cause ont été couverts de manière assidue. Dès l'annonce de la mise en liberté provisoire des premières personnes incarcérées, des journalistes ont été aussitôt dépêchés devant les portes de la prison d'El-Harrach où ils sont demeurés jusqu'à une heure tardive de la nuit pour recueillir les premières impressions des concernés. Le discours au vitriol de ces derniers a été retransmis en direct aux Algériens branchés sur ces chaînes. Avec la même dureté, des reportages au sein des familles éprouvées s'en sont suivis, captant l'attention de téléspectateurs habitués depuis un long moment à suivre des reportages mettant à nu la réalité des couches dépourvues. Aujourd'hui, un sujet de prédilection efface tout le reste de l'actualité : la présidentielle de 2019. Le débat qui se trouvait axé sur l'opacité, les tergiversations ou scénarios probables, laisse, désormais, place à des débats très critiques (pour le moins que l'on puisse dire) à l'égard du pouvoir. Depuis l'annonce de la convocation du corps électoral, les figures de l'opposition se succèdent pour y passer leur message et tenter de détruire le discours officiel, des projections et analyses de spécialistes constamment sollicitées pour entrevoir des issues autres que celles proposées par les autorités. Dans le lot, seul un canal semble se détacher : Ennahar TV. Critiqué pour ses émissions porteuses de messages violents (notamment les caméras cachées du Ramadhan), parfois accusé de manipulation par des personnalités politiques ciblées, cette télévision semble cependant avoir évité de suivre ses pairs. Dans l'ensemble, aucune réaction sévère des pouvoirs publics n'a pourtant été enregistrée jusqu'à l'heure. L'opinion retiendra cependant que le président de l'Arav a tenté de défendre autant qu'il le pouvait la ministre de l'Education, Nouria Benghabrit, «victime d'une véritable campagne de lynchage» selon ses propos. «Invité de la rédaction» de la chaîne III, il a dénoncé «le déchaînement moral inacceptable» contre cette dernière, évoquant les différents plateaux et émissions au cours desquels elle était sévèrement critiquée par ses détracteurs. Dans les faits, la situation semble avoir peu évolué. L'Autorité de régulation de l'audiovisuel mise en place pour gérer justement l'ouverture des médias de ce genre, a avoué à plusieurs reprises son impuissance face à des «télévisions de droit étranger». Une entrave de taille face à laquelle une stratégie plus fine semble avoir été mise en place lors d'évènements importants. En dépit du caractère «illégal» qui continue à frapper ses télévisions, des autorisations de couverture des évènements officiels ont été délivrées à sept chaînes lors des dernières législatives. Echourouk TV, Ennahar, El Djazaïria One, Hoggar TV, Dzaïr TV, Numédia et El-Bilad ont été autorisées à couvrir la campagne des candidats et le déroulement du scrutin. Le fait avait soulevé des interrogations, des commentaires et suscité le doute sur l'existence d'une certaine volonté de mettre en place un encadrement discret. Dans le cas présent, la présidentielle, la situation se présente tout autrement. Le débat s'est emballé, difficile, voire impossible à maîtriser dans une nouvelle ère où la concurrence est accentuée par les informations qui circulent à foison sur les réseaux sociaux où l'opposition sévit avec force. A. C.