L'armée hausse le ton ! Une semaine après son coup de force ayant précipité la démission de Abdelaziz Bouteflika, l'ANP revient à la charge avec une nouvelle intervention lourde sur la scène politique à travers laquelle elle confirme, au besoin, qu'elle détient les commandes, que c'est elle qui gère l'après-Bouteflika et ne compte nullement fléchir dans sa position : celle de ne permettre aucune autre solution en dehors des dispositions constitutionnelles, particulièrement l'article 102. Kamel Amarni - Alger (Le Soir) - A partir d'Oran, en 2 ème Région militaire où il se trouve depuis lundi dernier pour une visite de travail, le chef de l'état-major et général de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah, haussera remarquablement le ton pour le signifier. On lit, ainsi, dans le communiqué du ministère de la Défense nationale que « le 2 avril, le Haut Commandement de l'Armée nationale populaire a pris une position historique ferme, en insistant sur l'application des dispositions de l'article 102 de la Constitution. Ainsi, le peuple a obtenu ce qu'il voulait lorsque le président de la République a présenté sa démission le soir du jour même, pour passer ensuite à la phase de transition ». Gaïd Salah accusera, dès lors, la France, au moins, sans la nommer, et des « individus » nationaux d'être derrière « des slogans irréalisables, voulant mener le pays vers un vide constitutionnel et détruire les institutions de l'Etat ». Il fait allusion, ici, aux revendications consistant à faire partir tout le système et la création d'instances de transition en dehors de celles prévues par la Constitution. « Avec le début de cette nouvelle phase et la poursuite des marches, dira-t-il, nous avons déploré l'apparition de tentatives de la part de certaines parties étrangères, partant de leurs antécédents historiques avec notre pays, poussant certains individus au-devant de la scène en les imposant comme représentants du peuple en vue de conduire la phase de transition, afin de mettre à exécution leurs desseins visant à déstabiliser le pays et semer la discorde entre les enfants du peuple, à travers des slogans irréalisables visant à mener le pays vers un vide constitutionnel et détruire les institutions de l'Etat, voire provoquer une déclaration de l'état d'exception, ce que nous avons récusé catégoriquement depuis le début des événements, car il est irraisonnable de gérer la période de transition sans les institutions qui organisent et supervisent cette opération, et ce, au regard des conséquences découlant de cette situation qui pourrait compromettre tout ce qui a été réalisé depuis l'indépendance à ce jour .» Il s'agit, là, d'accusations d'autant plus graves que le patron de l'armée ne se suffit pas de « généralités » évoquant des preuves en possession de l'institution ! A qui fait-il allusion ? S'il est aisé d'identifier les « parties étrangères », l'on ne peut que s'interroger sur l'identité de ces nationaux, surtout lorsqu'il ajoutera : « Afin de déjouer les tentatives d'infiltration de ces parties suspectes, nous avons consenti tous nos efforts au sein de l'Armée nationale populaire , afin de préserver cet immense élan populaire de l'exploitation par ceux qui le guettent à l'intérieur et à l'extérieur, à l'instar de quelques individus appartenant à des organisations non-gouvernementales, qui ont été pris en flagrant délit dont la mission consiste à infiltrer les manifestations pacifiques et les orienter, avec la complicité et la coordination avec leurs agents à l'intérieur .» L'armée soutient Abdelkader Bensalah Cette intervention de Gaïd Salah à partir d'Oran intervient, sciemment bien sûr, au lendemain de la désignation, mardi dernier, de Abdelkader Bensalah comme chef de l'Etat par intérim, en application de l'article 102 de la Constitution exigée par l'armée. Malgré l'immense rejet exprimé par la rue et l'ensemble de l'opposition de l'intronisation de Bensalah, l'armée la justifie, l'explique et la défend. « Cette phase historique charnière et cruciale requiert, voire impose à l'ensemble des enfants du peuple algérien dévoué, fidèle et civilisé, de fédérer les efforts de tous les nationalistes en suivant la voie de la sagesse, de la pondération et de la clairvoyance, qui tient compte de l'intérêt suprême de la Nation en premier lieu, de prendre en considération que la conduite de la période de transition nécessite un ensemble de mécanismes, dont la mise en œuvre doit s'effectuer conformément à la Constitution, qui stipule que le président du Conseil de la Nation que choisit le Parlement avec ses deux Chambres, après le constat de la vacance , assume la charge de chef de l'Etat pour une durée de trois mois, avec des prérogatives limitées, jusqu'à l'élection du nouveau Président .» Clair, net et précis : c'est l'armée qui est à la manœuvre et son plan est celui annoncé mardi par Abdelkader Bensalah, à savoir, exclusivement, la transition prévue par la Constitution, avec les mêmes institutions et personnels en place avec, aussi, au bout, une élection présidentielle. Hors de question également pour l'institution d'être mise à l'écart du processus. « Je voudrais confirmer, ajoutera le chef d'état-major, que la période de transition destinée à la préparation de l'élection présidentielle se fera avec l'accompagnement de l'Armée nationale populaire, qui veillera au suivi de cette phase, au regard de la confiance réciproque entre le peuple et son armée, dans un climat de sérénité et dans le strict respect des règles de transparence et d'intégrité et des lois de la République .» Revenant aux revendications incessantes et grandissantes des marches et manifestations en cours depuis le 22 février, Gaïd Salah mettra également en garde : « Il appartient à tout un chacun de comprendre et assimiler tous les aspects et contours de la crise, durant la période à venir, notamment dans son volet socio-économique, qui s'aggravera davantage si les positions obstinées et les revendications irréalisables persistent, ce qui se reflète négativement sur les postes de travail et le pouvoir d'achat du citoyen, notamment au regard d'une situation régionale et internationale tendue et instable.» Dans une sorte de vente concomitante, Gaïd Salah proposera, enfin, de prendre lui-même en charge une revendication phare du mouvement populaire et qu'il sait très sensible, celle de la lutte contre la corruption. Il dira à ce propos : «Nous soulignons que la justice, qui a recouvré ses pleines prérogatives , agira en toute liberté, sans contrainte aucune, sans pressions ni ordres, pour entamer des poursuites judiciaires contre toute la bande impliquée dans les affaires de détournements des fonds publics et d'abus de pouvoir pour s'enrichir illégalement. A cet effet, nous rassurons l'opinion publique que la question s'étendra à tous les dossiers précédents, comme les affaires d'Al Khalifa, de Sonatrach et du «Boucher» et autres dossiers relatifs à la corruption qui ont occasionné des pertes considérables au Trésor public .» Il propose, en fait, de « revisiter » les grandes affaires qui ont éclaboussé certains proches de Bouteflika. K. A.