Les derniers d�veloppements dans la presse de l'interdiction du livre �gyptien au prochain Sila indiquent clairement l'intention de ses organisateurs de se d�fausser sur des fantomatiques trublions du milieu litt�raire alg�rois qui s'en prendraient personnellement au travail du commissaire Ameziane et de la ministre de la Culture Toumi (Cf. L'Expression, 1er septembre 2010). Il s'agit d'une affligeante fiction parano�de, cousue de mensonge et de d�raison : ceux qui contestent l'interdiction du livre �gyptien au Sila, et plus g�n�ralement la censure exerc�e sur le livre dans cette manifestation internationale, ne sont familiers ni de la double casquette de M. Ameziane, commisaire du Sila et patron des �ditions Casbah, ni de celle de la ministre Toumi, ni de la f�tide mare litt�raire alg�roise o� on veut les faire barboter et plonger. Ils le font au nom d'un principe : la libert� d'expression, de pens�e, de cr�ation et de circulation des �uvres intellectuelles et litt�raires en Alg�rie. Et cette libert� constitutionnelle a �t� suffisamment lard�e de mauvais coups sous leur magist�re. Un �pouvantail �gyptien L'interdiction par le commissaire Sma�l Ameziane du livre �gyptien au prochain Sila a sans doute suscit� dans la population alg�rienne et dans le champ culturel des positions contradictoires pour y revenir en toute responsabilit�. M. Ameziane a d'embl�e justifi� cette mesure par une lecture populiste de la sc�ne culturelle majeure du Sila, en liant la contribution de l'�gypte � cet �v�nement litt�raire international au refoul� d'une lointaine et persistante guerre du football (Cf. L'Expression, 9 ao�t 2010). Tentera-t-il, en r�ponse � de nombreuses et unanimes condamnations et r�probations de sa d�cision, dans une reculade biais�e � chef-d'�uvre de cuistrerie � de recentrer cette interdiction en se pr�valant, vers la fin du mois d'ao�t, de l'expertise s�curitaire dans une d�claration au journal �lectronique Les Derni�res nouvelles d'Alg�rie ? En v�rit�, M. Ameziane, m�me s'il a �t� express�ment missionn� par quelque cabinet officiel ou officieux sur la participation �gyptienne au Sila, aura outrepass� ses fonctions de commissaire, en interdisant un pays �tranger, car cette d�cision � qui exc�de le cadre de ses attributions � ne peut �tre formellement prise et communiqu�e que par le gouvernement, ma�tre d'�uvre de la manifestation, � travers ses canaux diplomatiques. Ce qui ressort dans cette agitation estivale autour du livre �gyptien, c'est cette �vidente incoh�rence de la machine gouvernementale, malmen�e par les humeurs d'un commis de l'�tat. Cependant, dans les espaces qu'elle s'assigne, l'interdiction du livre �gyptien au Sila est plus une affaire alg�roalg�rienne qu'un contentieux alg�ro-�gyptien qui n'existe pas. L'Alg�rie de la politique, des affaires et m�me du ballon n'a jamais cess� ses relations avec son partenaire �gyptien dans les institutions de la Ligue arabe, de l'Union africaine, de l'Union pour la M�diterran�e et surtout de la Conf�d�ration africaine de football o� ses repr�sentants mandat�s � la F�d�ration alg�rienne de football et la Jeunesse sportive de Kabylie � ont fait valoir face � leurs homologues �gyptiens � notamment les clubs d'El Isma�ly et d'Al Ahly � la juste appr�ciation des engagements internationaux du pays. Pourquoi M. Ameziane r�chauffe-t-il l'�pouvantail �gyptien au Sila et pour quel dessein inavouable ? Une perspective d�magogique M. le commissaire Ameziane �pouse complaisamment sur l'�gypte le sentiment hostile de la majorit� des Alg�riens. Oui, il n'est pas souhaitable que les Alg�riens oublient leur drapeau lac�r� et br�l� dans les rues du Caire, leurs martyrs d�terr�s et leurs s�pultures symboliquement profan�es, le sens de leur combat anticolonial et leur honneur national injuri�s. L'Alg�rie a gagn� dans ces �chauffour�es immondes du football de novembre 2009 une sorte d'ennemi imm�morial, qui jalonnera longtemps encore la marche de son histoire et l'affirmation de sa pr�sence originale dans le monde. Il est curieux que cet ennemi devant lequel les Alg�riens restent unanimes dans leur indignation n'ait �t� suscit� ni par les querelles humiliantes de la politique, les accrocs de l'�conomie et les pr�varications de la culture, mais par le football. Ce roi-football qui, surmontant l'indigence et la faillite de la politique et de la culture nationales et de leurs h�rauts d�l�gitim�s, r�v�le � la jeunesse alg�rienne la vertu de son nom et de son identit�. En interdisant le livre �gyptien, le commissaire du Sila appara�t � sans coup f�rir � comme le champion de cette furie guerri�re contre l'�gypte, qui s'empare d�sormais des blogs et des sites sociaux alg�riens sur la toile. � lire ces ordres du jour de bloggeurs autant d�termin�s qu'inconscients, on se demande si l'Alg�rie n'est pas � la veille d'armer des divisions a�riennes et terrestres et de cuirasser une flotte navale contre l'�gypte. Ces fanfaronnades absurdes d'internautes, sur le pied de guerre dans leur fauteuil, dont le seul risque connu est d'encourir une panne de courant ou une baisse de d�bit de connexion, est proprement donquichottesque. Impr�visible concession � cette vindicte populaire d'op�rette, surnageant dans un Ramadan o� les Alg�riens sont plus pr�occup�s par la chert� de la vie, M. Ameziane, sacr�ment boutefeu pour un agent gouvernemental, d�place ce champ de bataille alg�ro-�gyptien virtuel au Sila. L'id�e aurait �t� exceptionnellement payante s'il avait song� � accueillir sur le th�me des �v�nements de novembre 2009 une vraie confrontation d'id�es entre intellectuels alg�riens et �gyptiens. Plus pr�cis�ment dans le cadre d'un salon litt�raire international qui aurait prouv� au monde entier la disponibilit� de l'intelligentsia alg�rienne � r�ins�rer et � expliquer la violence re�ue et r�currente de l'�gypte dans l'histoire r�cente des deux pays. Dialogue cathartique et p�dagogique. Apr�s le mythique Oum Dourman qui r�sonne comme un terrain de combat et une victoire d'�cole, Alg�riens et �gyptiens ont continu� et continuent � s'�changer des ballons dans des stades de football. Pourquoi ne seraientils pas � la hauteur d'un d�bat d'id�es n�cessaire dans une tribune culturelle ? Mais la perspective d�magogique d�fendue par le commissaire Ameziane, confortant le rejet par les Alg�riens de l'�gypte, prolongeant une guerre imaginaire contre ce pays lointain, reste sans lendemain. C'est cette pr�sence d'�diteurs, d'auteurs et d'op�rateurs du livre �gyptien et le non-dit de la violence entre l'Alg�rie et l'�gypte que le commissaire du Sila va d�tourner, interdire et censurer. L'interdiction et la censure ? Il en a d�j� exerc� l'usage c�sarien. Comment ne pas y tremper encore et encore ? Seuls l'interdit et la censure Le 8 ao�t 2010, le commissaire Ameziane a d�cr�t� que la pr�sence du livre �gyptien, de ses auteurs et de ses op�rateurs n'�tait pas souhait�e au Sila. La ministre de la Culture a acquiesc� � cette d�cision en lui renouvelant publiquement sa confiance. Cependant l'�gypte, victime expiatoire, cache une intention coupable. Car, ce qui ne change pas cette ann�e encore au Sila, comme les ann�es pr�c�dentes, c'est le semblable encha�nement de la b�tise, inlassablement r�p�t�e : l'interdit et la censure. Ce sont les seuls aspects qui m�ritent d'�tre discut�s dans leurs effets imm�diats et lointains et dans les limites m�mes des champs intellectuel et litt�raire alg�riens et des rapports de force qui s'y construisent. Au-del� de l'�gypte, de son interdiction dans un rendez-vous international qui figure dans l'agenda officiel du gouvernement, s'�bauche cette facult� d'agents institutionnels d'agir par la contrainte sur le champ des id�es et de la production intellectuelle. La volont� politique de contraindre la pens�e qui s'est exprim�e, au printemps dernier, dans une note du minist�re de l'Enseignement sup�rieur et de la Recherche scientifique sur le contr�le pr�ventif des communications des enseignants-chercheurs universitaires aux colloques � l'�tranger en constitue un indicateur. Cette emprise sur la production intellectuelle et litt�raire projet�e par les pouvoirs publics, fagotant d'oripeaux inquisitoriaux le Sila, cette censure des id�es qu'elle pr�suppose, amenuise le champ des id�es. Et hypoth�que la cr�ation. Dans un pays de lois, cette libert� de s'exprimer par le livre, encore une fois brim�e au Sila, ne doit pourtant �tre discut�e qu'aux auteurs de manuels de guerre et autres manifestes tonnants et tonitruants qui menacent ouvertement la paix sociale et rel�vent plus de la douane et de la police que de la litt�rature. Au moment o� le pays est arm� de codes qui donnent aux acteurs du pouvoir la possibilit� de pourvoi � s'il y a lieu � � charge contre les d�mesures du livre, l'interdiction et la censure sont improductives. Il est encore pr�f�rable de voir l'histoire de la litt�rature alg�rienne s'�crire dans les pr�toires des tribunaux que dans les bas-fonds glauques de l'interdit et de la censure. Le choix r�solu du Sila Personne ne peut nier que la contrainte � souvent muscl�e � sur le livre s'est impos�e comme un mode de fonctionnement du Sila de Mme la ministre Toumi et du commissaire Ameziane. Peuvent-ils seulement r�cuser cette v�rit� ? Les contre-feux allum�s ces jours-ci par le commissaire et ses proches pour discr�diter aupr�s de l'opinion publique ceux qui ont contest� l'interdiction du livre �gyptien et d�nonc� la censure de la litt�rature alg�rienne au Sila s'embrouillent dans la vacuit� et dans la maladresse. Cette contestation de la d�cision du commissaire du Sila ne se r�clame que de la d�fense en Alg�rie d'un principe universel : la libert� d'expression, de cr�ation, de circulation du livre et des id�es. Cette grande cause, qui a pu agr�ger les efforts de personnalit�s de la culture, des m�dias, de la recherche et des mouvements associatifs, au-del� de leurs divergences morales et politiques, qui n'a pas laiss� indiff�rent l'honorable Haut Conseil islamique de l��m�rite professeur Cheikh Bouamrane, il faudrait un surcro�t de mauvaise foi pour en faire un �pisode des sordides tripatouillages du milieu litt�raire alg�rois. Depuis les d�cisions administratives et politiques iniques qui ont frapp� les �uvres de Boualem Sansal, Mohamed Benchicou, Mehdi El Djaza�ri et maintenant le livre �gyptien, le Sila toupille la rude cogn�e de la censure et de l'interdit. C'est le seul choix qui l'engage r�solument. A. M. * �crivain-universitaire. A publi� : Parcours intellectuels dans l'Alg�rie coloniale, Constantine, M�dersa, 2008. Dernier ouvrage paru : Auteurs alg�riens de langue fran�aise de la p�riode coloniale, Paris, L'Harmattan, 2010.