«Vous n'allez tout de même pas nous priver d'oxygène !» La formule est archi-connue et tellement usitée qu'elle a fini par s'user. Que voulez-vous, elles sont ainsi, les formules populaires, surtout quand elles allient le terroir à l'universel, rien n'en viendra à bout. Mais celle-ci est quand même différente des autres. Si elle est omniprésente en tant qu'expression courante du langage populaire, elle n'est pourtant pas envisageable comme avènement de la vraie vie. Elle appartient donc à l'expression plus qu'à la réalité concrète. Est-ce qu'un jour, on a privé quelqu'un d'oxygène ? Est-ce que dans l'histoire de l'humanité, il y a trace d'une femme ou d'un homme qu'on a empêché de respirer le grand air pour attenter à sa santé ou pire, à sa vie ? «Heureusement que l'oxygène est gratuit et disponible pour tout le monde, sinon, ça fait longtemps que les plus faibles seraient morts asphyxiés.» Les mots diffèrent mais la formule est la même dans sa quintessence. Un peu comme «les raisons sont multiples et la mort une» dans la célèbre qacida d'Al Moutanabi. Ici s'arrête l'évocation, bien sûr, parce que dans le vers d'avant, le poète avait dit : «Qui ne meurt pas du sabre, meurt d'autre chose...» Cela fait de la mort une fatalité qu'il est vain de combattre, ce qui est l'exact contraire de la... philosophie de l'oxygène et du grand air, indispensables à la vie autant que la vie est indispensable aux humains ! «Dieu merci, le soleil brille pour tout le monde.» Est-ce qu'un quelconque tyran a privé les gens de soleil, histoire de le punir ? Parce qu'en fait c'est de ça qu'il s'agit, de punir mais pas que. Les gouvernants — puisque c'est à eux que sont consacrées les formules — peuvent fermer les accès d'oxygène et couvrir le soleil, non pas d'un tamis mais de quelque chose de plus consistant. Ils peuvent le faire par férocité, par cupidité, par folie des grandeurs ou par... ignorance-incompétence. On ne sait pas encore pour le soleil. Mais s'agissant de l'oxygène, les Algériens ordinaires et peut-être bien d'autres humains du monde ont découvert à leurs dépens que l'oxygène, ce n'est finalement pas évident qu'il soit disponible et gratuit pour tout le monde. Ce n'était alors qu'une «formule» aux relents de (mauvaise) certitude. On peut même en mourir à plusieurs, à Sétif ou sur d'autres pans d'Algérie. On sait maintenant que l'oxygène est une industrie et pas seulement une offrande du ciel aux enfants du bon Dieu qu'on prend pour des canards sauvages. L'actualité de ces derniers temps — souvent dramatique —ce n'est pas vraiment, en tout cas pas seulement une histoire d'oxygène mais de... pandémie qui revient dans des proportions inquiétantes. On fait comment pour retrouver de l'air et du soleil ? On sait déjà quoi faire. Mais on sait surtout qu'on doit le faire ensemble. S. L.