Par Smaïl Boulbina (*) Le mythe de «La Consulaire» et la vérité historique de Baba Merzoug La guerre franco-algérienne (1681-1688) a été déclenchée par le roi Louis XIV qui refusait de «négocier d'égal à égal avec ces corsaires d'Alger», et qui, en 1683, voulait libérer des captifs français mais s'opposait à la restitution des esclaves algérois retenus dans les galères de France. L'amiral Abraham Duquesne avait été chargé de bombarder Alger avec des bombes incendiaires et d'expérimenter deux nouvelles bombes géantes (9 000 livres/4 tonnes et demie) qui n'ont pas pu être utilisées. Le Père Jean Le Vacher, vicaire apostolique et consul de France, âgé de 64 ans, infirme, négociateur entre le dey Hassan et l'amiral Duquesne, homme de paix, apprécié du dey Hassan et des Algérois, qui l'appelaient Papas, pour ses actions de paix et caritatives (épidémie de peste, secours aux captifs), avait tout fait pour éviter les bombardements de la marine française qui ont tué des centaines de personnes et occasionné d'importants dégâts à Madina El-Jazaïr, malgré la libération de tous les captifs français et européens. La vérité historique sur la mort du père Jean Le Vacher Le père Jean Le Vacher, victime de «hogra-mépris » par l'amiral Abraham Duquesne qui lui a reproché de défendre l'intérêt des Algériens, d'être «plus Turc que chrétien» et d'être «maure» ce qui lui a valu cette réponse humaniste : «Je suis prêtre.» Le nouveau dey Haj Hussein dit Mezzomorto (moitié-mort) qui avait assassiné le dey Hassan, avait accusé le père Jean Le Vacher d'être complice de Duquesne et l'avait condamné à mort par exécution par canon. Selon le Manuscrit de Rome (1683) et le rapport (Sates Papers 1683) du consul anglais Ricaut à son ministre : «Le père Jean Le Vacher a été tué le 28 juillet 1683 par un canon qui creva» (explosé), ainsi que 10 autres Français, exécutés par des tobbanas-batteries de canons des borjs (forts) de l'Amirauté. Le glorieux Baba Merzoug, non opérationnel en 1683, était relégué depuis 17 ans après sa mise hors service (1666) derrière Borj-es-Serdine, à 200 mètres face à Madina El-Jazaïr, ne pouvait ni participer à cette guerre ni être l'engin de mort du père Jean Le Vacher. Pendant 147 ans (1683-1830), personne n'avait incriminé Baba Merzoug dans le crime du père Jean Le Vacher ; crime incriminé à tort, le 5 juillet 1830, par le mythomane Amiral Duperré, l'inventeur de cette fausse accusation, contre Baba Merzoug qu'il a surnommé « La Consulaire » pour humilier le viril canon célèbre dans le monde entier. Cette légende « fake news » (fausse information) de l'amiral Duperré avait été entérinée au niveau international par les politiques, les historiens et les médias y compris par des chercheurs et autres politiciens algériens... Il est venu le temps de rétablir la vérité historique car « Baba Merzoug a été un moudjahid, un combattant, le protecteur de Madina El Jazaïr-el-Mahroussa, il n'a jamais été l'assassin du père Jean Le Vacher » comme le démontre Maître Fatima Benbraham, avocate et présidente du Comité national pour la restitution de Baba Merzoug, dans un plaidoyer pour la réhabilitation de Baba Merzoug, et qui va être présenté au niveau international. Lettre de l'amiral Duperré, commandant la flotte d'invasion : «Baie d'Alger, à bord du vaisseau l'Alger, le 6 août 1830 (Le navire amiral La Provence a été rebaptisé Alger le 14 juillet 1830). À Son Excellence, le Ministre de la Marine et des Colonies, Monseigneur, J'ai fait charger et j'expédie sur Toulon, par le transport La Marie Louise, Capitaine Caspench, n°221, la pièce en bronze dite La Consulaire, provenant des batteries de la Marine d'Alger, contre lesquelles l'armée sous mon commandement a combattu. C'est celle dans laquelle ou à la volée de laquelle fut placé le consul de France, le père Le Vacher, lors du bombardement exécuté par Duquesne en 1683. Comme amiral commandant l'armée navale, j'ose réclamer en son nom, et pour la marine, ce trophée de la marine française. Comme préfet maritime de Brest, j'oserai demander de plus que le don en soit fait à ce port, dont les armements ont une si grande part à la campagne d'Alger. Daignez, Monseigneur, ajouter encore au sentiment de reconnaissance que conservera la marine en soumettant au roi cette nouvelle demande, dont le succès sera pour elle un honorable témoignage de la satisfaction de Sa Majesté : c'est la part de prise à laquelle l'armée attache le plus grand prix.» «Rapport au roi, et décision de Sa Majesté portant que la pièce en bronze La Consulaire, provenant des batteries de la marine à Alger, sera envoyée à Brest pour y être conservée comme trophée. Paris, le 4 octobre 1830 Sire, la pièce en bronze dite la Consulaire, provenant des batteries de la Marine d'Alger, a été envoyée à Toulon par M. l'amiral Duperré. C'est à la volée de cette pièce que fut placé le consul de France à Alger (le P. Levacher), lors du bombardement exécuté par Duquesne, en 1683, et de là vient son nom. M. Duperré demande que cette pièce soit donnée au port de Brest, et qu'elle y soit conservée comme un trophée de la prise d'Alger en 1830. M. Duperré était préfet maritime à Brest, lorsqu'il a été appelé au commandement de l'armée navale d'Afrique, et un grand nombre des bâtiments de cette flotte ont été armés en ce port. Par ces motifs, j'ai cru devoir accéder au désir exprimé par cet amiral, et j'ai prescrit d'envoyer à Brest la pièce dite La Consulaire. J'ai l'honneur de prier Votre Majesté de vouloir bien approuver cette disposition. Je suis avec le plus profond respect. Signé Horace Sébastiani Approuvé. Signé Louis-Philippe Par le roi : le ministre secrétaire d'Etat de la Marine et des Colonies. Signé Horace Sébastiani.» COMMENTAIRES : Faux et usage de faux de l'amiral Duperré 1/ L'amiral Duperré a combattu en 1830 les batteries de la Marine, mais jamais Baba Merzoug, hors service depuis 1666, qu'il a trouvé relégué sous une voûte à 200 mètres face à Alger. La Revue des Etudes Historiques (octobre-décembre)/1917 pages 495 : «En 1830, les Français trouvèrent la fameuse pièce de canon sous une voute.» 2/ Duperré a été le premier à le surnommer « La Consulaire » et le premier à incriminer Baba Merzoug dans l'exécution du père Le Vacher en 1683. 3/ Auparavant, aucun écrit et aucun témoignage n'ont incriminé Baba Merzoug mais un « canon qui a crevé » (explosé) d'une batterie de canons qui ont servi pour l'exécution simultanée de dix autres français, le 28 juillet 1683. Selon l'enquête historique de La Revue des Etudes Historiques (octobre-décembre)/ 1917 pages 493 et 494, qui a consulté les documents contemporains de l'époque : «La véritable Consulaire n'existerait plus ; la couleuvrine (canon) de Brest ne porte aucune trace apparente d'éclat ou de crevasse ; nous l'avons examinée nous-même et fait examiner avec soin par deux officiers de marine et n'ont remarqué rien d'anormal. Il viendrait donc naturellement à l'esprit, comme conclusion, que La Consulaire de Brest n'est pas la fameuse couleuvrine instrument de supplice du vieux consul de France .» 4/ La stèle de La Consulaire à Brest : « Et des évènements de 1683, du consul mis en pièces, pas un mot » (La Revue des Etudes Historiques (octobre-décembre) / 1917 pages 497). 5/ La stèle au ministère des Affaires étrangères à Paris (1910) ne cite pas La Consulaire mais « un canon ». (La Revue des Etudes Historiques (octobre-décembre) / 1917 pages 476). 6/ La stèle à Alger du Comité du Vieil Alger (1912) qui avait le premier en 1912 demandé la restitution de Baba Merzoug ne cite pas La Consulaire mais « un canon » (La Revue des Etudes Historiques (octobre-décembre) / 1917 pages 497). 7/ Le peintre hollandais Jan Luyken avec sa gravure de 1698, illustrant l'exécution fantasmée d'un supplicié dans la bouche d'un canon, n'avait jamais cité ni le père Le Vacher ni Baba Merzoug. 8/ À signaler l'impossibilité de mettre un homme ni par la tête ni par les pieds, dans la bouche d'un canon dont le diamètre intérieur maximum était de 25 cm. S. B. (*) Porte-parole du Comité national pour la restitution de Baba Merzoug (créé en 2011). Email : [email protected] Sources : - Manuscrit de Rome/Relation de la campagne d'Alger, par la flotte du roi très chrétien, sous la direction du sieur Duquesne, lieutenant général et commandant dans les mers du Levant/1683. - Rapport du consul d'Angleterre Ricaut/States Papers (Foreign Series) Barbary States, vol.2, Algiers, 1671 to 1684, page 1121. - France maritime tome 2, 1853 - Revue des Etudes Historiques (octobre-décembre) / 1917 - Jean Le Vacher-Lucien Misermont, C.M./1935 - Marine algérienne, Moulay Belhamissi/1986 -Histoire des chrétiens d'Afrique du Nord-Jean Landousies - Sous la direction de Monseigneur Teissier - Centre d'études diocésaines/1991 - L'Epopée de Baba Merzoug, Belkacem Babaci/2010-2021. L'amitié à portée de canon(*) Restitution de Baba Merzoug le 1er novembre 2021 À l'occasion du 191e anniversaire de la déportation de Baba Merzoug, le 6 août 1830, prisonnier depuis 1833 à Brest (France), le Comité national pour la restitution de Baba Merzoug réitère son appel pour sa libération et son retour à Alger pour le 1er novembre 2021. Le Président Emmanuel Macron, lors de sa visite officielle en 2017 par l'intermédiaire de l'ambassadeur Xavier Driencourt, avait promis sa restitution à l'Algérie. Le rapport Benjamin Stora (2021) suggère sa restitution. L'ambassadeur de France François Gouyette garde le silence et ne daigne même pas répondre à notre courrier... Nous lançons un appel à la mobilisation des Algériens et des Français pour le retour de Baba Merzoug, qui sera le canon de l'amitié et de la concorde entre nos peuples. (*) Laurent Vedrine L'express 12 janvier 2006.
Maquette du canon Baba Merzoug au musée de la Marine (France). Le canon Baba Merzoug Fabriqué à Dar Nhass à Madina-el-Jazaïr - Alger. Opérationnel de 1542 à 1666 (124 ans). Mis hors service 1666. Portée 4 852 mètres. Longueur 6,25 m. Poids 12 tonnes. Calibre (bouche) 25 cm de diamètre intérieur Boulet (pierre, marbre ou métal) environ 25 cm de diamètre et poids environ 24 kg.