Quarante ans apr�s la mort de Gamal Abdel Nasser, journalistes et apprentis historiens fouillent encore dans son pass�, voire dans ses derni�res heures, � la recherche d'indices probants. Il ne s'agit plus cette fois-ci, et contrairement aux autres ann�es, d'imputer � Nasser la responsabilit� de ce qui va mal, mais de montrer du doigt son successeur. Les conditions n�cessaires et suffisantes pour attaquer le d�funt Sadate, signataire des accords de paix avec Isra�l, sont r�unies. C�t� palestinien, la plaie b�ante de l'�gypte, la poursuite de la colonisation isra�lienne, d�montre chaque jour � qui profite Camp David. Les Isra�liens ont, certes, �vacu� le Sina�, mais ils s'offrent des compensations ind�niables en Cisjordanie, et surtout � Al-Qods. Il est donc temps de convier le fant�me de Sadate � une nouvelle s�ance de pilori, pour expliquer l'inexplicable. Il y a des coupables qui sont toujours plus cr�dibles que d'autres, surtout lorsqu'il s'agit de d�signer les responsables suppos�s des d�boires spirituels et moraux d'une nation. Pour l'�gyptien d'aujourd'hui, d'autre part, s'en prendre � Sadate, c'est critiquer indirectement Moubarak, un autre successeur dont il est plus difficile de se d�barrasser. Une occasion � ne pas manquer pour Hassane�n Heykal, le journaliste le plus c�l�bre du monde arabe, grand raconteur d'Histoire devant l'�ternel, et devant les millions de t�l�spectateurs de la cha�ne Al-Jazeera�. Depuis des d�cennies, Heykal est partag� entre ses vieux d�mons de la presse qui le poussent � continuer et sa prudence de vieux renard qui lui dicte de se tenir coi, de battre en retraite devant les nouveaux dangers. Somm� d'�tre � l'avant-garde du combat actuel pour la d�mocratie, qui ne le stimule gu�re, ou de se retirer dans sa �Isba� (ferme vill�giature) des bords du Nil, il a choisi de se raconter, au d�triment des autres. Heykal nous fait revisiter l'histoire en ouvrant des portes, dont lui seul d�tient les cl�s, et en citant � la barre des t�moins muets. Car la m�thode Heykal est simple : pour rendre plus cr�dible son propos, il cite des t�moins qui sont tous d�c�d�s et qui ne risquent donc pas de le contredire, comme le note notre confr�re �gyptien Sammy Buha�ri. La technique est au point et elle est quasiment infaillible : chaque fois que Heykal relate une rencontre, une dispute ou un d�bat, tous les protagonistes ne sont plus de ce monde, � l'exception du narrateur(1). Bref, au cr�puscule de sa vie professionnelle, Heykal se comporte comme un t�moin de l'Histoire, mais un t�moin calculateur et m�me suborn�. On conna�t l'hostilit�, voire la haine, que voue Heykal au d�funt pr�sident Sadate, qui l'a fait emprisonner, apr�s l'avoir priv� de son tr�ne � Al-Ahram. Il n'a jamais perdu, au demeurant, une occasion de l'exprimer, que ce soit dans ses livres ou dans ses interviews. Cette fois-ci, cependant, il a tellement trifouill� dans sa m�moire qu'il a d� provoquer un effondrement. C'est du moins l'explication avanc�e par notre ami Buha�ri qui, sans chercher plus loin, met en cause la maladie d'Alzheimer dont serait atteint le journaliste-historien. Il n'y a pas de doute, selon lui, Alzheimer n'aurait pas �pargn� Heykal, pas plus qu'elle n'aurait �pargn� les m�decins �gyptiens eux-m�mes. Il en veut pour preuve, le SMS qu'il a re�u � l'occasion de l'A�d Al-Fitr, de la part d'une association de m�decins, sp�cialistes d'Alzheimer, lui souhaitant un bon �A�d Al-Adha�. Pourtant, la mani�re, subtile et diabolique dont Heykal expose sa th�se de l'empoisonnement contredit formellement la conclusion h�tive de Buha�ri. Il n'accuse pas formellement Sadate d'avoir foment� l'assassinat de Nasser, mais il proc�de par insinuations, telles que celle-ci : �Il y a des soup�ons qui se sont port�s sur le pr�sident Sadate, mais on ne peut pas les prendre en consid�ration. Ceux qui les ont formul�s se basent sur une sc�ne, � laquelle j'ai assist�, et qui s'est d�roul�e � l'H�tel Hilton, trois jours avant le d�c�s (de Nasser)�. Selon l'ancien directeur et �ditorialiste du quotidien Al-Ahram, Nasser se trouvait en grande conversation avec Yasser Arafat, en pr�sence du roi Hussein de Jordanie. L'entretien l'avait �puis� nerveusement, semble-t-il, et il aurait demand� � Sadate de lui ramener un caf�. Celui qui �tait alors vice-pr�sident de l'�gypte s'ex�cuta et lui ramena la tasse de caf� incrimin�e(2). Voil� comment Heykal, t�moin passif d'une sc�ne ordinaire, la transforme sans en avoir l'air en complot d'�tat, ourdi par un successeur potentiel et impatient. La fille de Anouar Sadate ne s'est pas tromp�e sur la r�alit� de l'accusateur, puisqu'elle a, aussit�t, d�pos� une plainte contre Heykal. Quant � notre confr�re, et � l'encontre de sa croyance en la probabilit� de la maladie d'Alzheimer, il se demande pourquoi Heykal a attendu quarante ans avant de tenir de tels propos. Revenant � une plus juste appr�ciation des choses, il affirme ne pas pouvoir imaginer Sadate, avec une fiole de poison dans la poche, et se demandant �qui il va trucider aujourd'hui�. �voquant enfin le c�t� larbin, pr�t� � Sadate, il ajoute : �Peut-on admettre qu'un vice-pr�sident de l'�gypte puisse tenir le r�le d'un gar�on de caf�, pour Nasser, alors que celui-ci disposait de toutes les commodit�s offertes par l'h�tel ? Et si ce r�le devait �tre tenu par quelqu'un de l'entourage du pr�sident, pourquoi n'aurait-il pas �t� d�volu � Heykal, le personnage le moins haut plac� de cet ar�opage ?� Une qui doit se sentir abandonn�e de tous, comme Sadate, c'est Suzanne Temim, la starlette libanaise, assassin�e � Duba�, par un ancien policier �gyptien, � l'instigation de l'homme d'affaires �gyptien Hichem Talaat. On se souvient qu'en premi�re instance, Hichem Talaat avait �t� condamn� � mort avec son homme de main, Hossam Sokkari, par un tribunal p�nal du Caire. L'ex�cution des deux condamn�s, valid�e par Al- Azhar, a �t� sans cesse diff�r�e jusqu'� une premi�re conclusion la semaine derni�re devant la cour de cassation. Cette juridiction, press�e par le temps, n'a pas daign� �couter les plaidoiries de la d�fense, mais a commu� les peines des deux justiciables. En tant que riche homme d'affaires et d�put� du parti au pouvoir, Hichem Talaat a �t� condamn� � quinze ans de d�tention. Hossam Sokkary, l'ancien officier de police semeur de preuves de sa culpabilit�, a �cop� de la perp�tuit�, c'est le moins qu'on puisse faire pour un comparse. Ce qui a fait dire � notre confr�re du quotidien Al-Quds, Selim Azzouz, que l'issue du prochain jugement ne fait aucun doute : Hichem Talaat sera d�clar� innocent. Les cha�nes satellitaires pr�parent d�j� l'opinion � cette �ventualit�. Quant � Suzanne T�mim, la victime, et faute d'avoir �t� condamn�e, � titre posthume, pour incitation � son propre meurtre, elle est d�j� condamn�e pour ce qu'elle a �t� : une femme, avec la beaut� comme circonstance aggravante. A. H. 1) Il y a, par ailleurs, des confr�res, �mules de Heykal qui n'h�sitent pas � se r�clamer de l'amiti� que leur vouait telle personnalit� de la presse ou tel grand disparu, et je les comprends. C'est plus facile de capter l'amiti� de quelqu'un qui n'est plus l� pour d�mentir, et c'est parfois une forme de repentir tardif, mais sinc�re. 2) Ce n'est pas tr�s orthodoxe, mais c'est plausible dans notre monde arabe. J'ai vu un ambassadeur, confus et penaud, tenir le cigare de son ministre pendant que celui-ci discourait devant les cam�ras. De l� � lui servir le petit-d�jeuner au lit. Heureusement qu'au royaume de �Nous savons tous porter une gandoura�, nous n'avons pas de vice-pr�sident pour servir le caf� et le pays accessoirement.