Trop, c'est trop ! Longtemps confinée dans un silence volontaire et digne, la famille du chahid Henri Maillot avait décidé de le rompre en 2017. Et elle l'a brisé, 55 ans après l'indépendance de l'Algérie, parce que cette famille de notre compatriote, grand martyr de la guerre de Libération, s'était insurgée alors contre « l'ostracisme et le déni de reconnaissance énigmatique que d'aucuns n'arrivent pas à expliquer ». Une proscription et une scotomisation à la base de son « bannissement du panthéon réservé aux martyrs ». Et lorsque votre éditorialiste, amis lecteurs, parle de scotomisation, il ne force en rien le trait. La scotomisation, c'est bien ce processus de dénégation psychologique qui permet de refuser de voir des contenus, des images et des souvenirs trop angoissants. Il y a alors formation d'un véritable scotome psychique sélectif qui rétrécit le champ de conscience, et qui favorise du coup l'amnésie. C'est bien de cela qu'il s'agit d'une certaine manière à propos d'Henri Maillot et de bien d'autres compatriotes qui furent des combattants héroïques pour la liberté, la nôtre. L'excommunication et la dénégation, volontaires ou non, et avant qu'elles ne soient le fait de l'autorité officielle, sont d'abord celles des mots des médias et de monsieur tout-le-monde. Tenez, par exemple, au mois de juin 2015, comme le relevait elle-même la famille d'Henri Maillot, l'APS, l'inimitable agence officielle, avait publié une dépêche qualifiant le grand chahid « d'ami de la Révolution algérienne ». Un « impair lourd de sens et qui illustre on ne peut mieux le sort réservé aux chouhada et moudjahidine d'origine européenne », soulignait, avec la profonde douleur que l'on peut imaginer, la famille du martyr emblématique. Cette marque d'ostracisme et d'inculture historique est malheureusement assez courante dans la presse écrite et audiovisuelle, privée et publique, unies dans l'opprobre. Faudrait-il alors, comme le faisait la famille Maillot, rappeler aux ignares en question certains faits historiques qui montrent l'enracinement et l'attachement d'Henri Maillot et des siens à notre patrie commune, l'Algérie ? Ces crétins indécrottables, prompts à exclure tout Algérien non musulman, non arabo-berbère et surtout communiste - car c'est ce non-dit qui est à la base du bannissement qui ne dit pas son nom -, ignorent peut-être que « la famille Maillot est installée en Algérie depuis six générations et ne l'a jamais quittée en dépit de tous les drames qui ont secoué notre pays ». Ils oublient ou feignent d'oublier encore que le moudjahid Henri a offert ce qu'il avait de plus précieux pour défendre sa patrie : sa vie. Ils ignorent sans doute que son père fut secrétaire du Syndicat des travailleurs de la ville d'Alger (mairie d'Alger), et qu'il a été licencié sèchement « pour avoir déclenché une grève pour réclamer les droits et plus de dignité pour les éboueurs musulmans ». Faudrait-il rappeler aussi à ces fieffés imbéciles qu'une fois l'indépendance acquise, « tous les membres de la famille Maillot ont opté pour la nationalité algérienne au détriment de la nationalité française ». Et pour se convaincre, une fois pour toutes, de l'engagement patriotique sans faille d'Henri Maillot, mort, les armes à la main, le 5 juin 1956, au cœur du massif montagneux de l'Ouarsenis, en compagnie d'un autre chahid, le communiste et internationaliste Maurice Laban, il suffirait alors de lire sa lettre expliquant son engagement anticolonialiste à la presse parisienne. Une missive destinée à justifier sa désertion avec un camion rempli d'armes et de munitions, destinées aux moudjahidine de l'ALN. Le combattant de la liberté et de la dignité algérienne disait alors : « Il y a quelques mois de cela, Jules Roy, écrivain et colonel de l'armée française, disait : '' Si j'étais musulman je serais du côté des fellagas .'' Moi je ne suis pas musulman mais je considère l'Algérie comme ma patrie et je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils. Et ma place est aux côtés de ceux qui ont engagé le combat libérateur... Ce n'est pas une lutte de religion ni de race, comme voudraient le faire croire certains possédants de ce pays, mais une lutte d'opprimés contre leurs oppresseurs sans distinction de races ni d'origines... Notre victoire est certaine... En désertant avec un camion rempli d'armes, j'ai conscience d'avoir servi les intérêts de mon peuple et de ma patrie...» Par conséquent, et afin de mieux préserver la mémoire du martyr symbolique et des idéaux pour lesquels il s'est sacrifié, sa famille ne demandait rien d'autre qu'une « reconnaissance ». Aussi simple que cela ! Elle aimerait tant « voir son nom gravé sur le fronton d'un lycée, d'une université, d'une cité ou bien lui dédier un lieu de mémoire pour que son sacrifice pour une Algérie libre, indépendante, fraternelle, tolérante et juste ne soit pas vain ». Un geste tellement simple qui « le sortira de la nuit de l'oubli où il a été longtemps confiné, à l'instar d'autres martyrs algériens d'origine étrangère ». En mars 2014, le nom du martyr de la dignité algérienne Henri Maillot avait été donné à la placette située en face du cimetière chrétien algérois d'El Madania, ex-Clos Salembier, dans un espace toutefois peu fréquenté par les piétons. Et point de plaque commémorative. Geste symbolique d'une reconnaissance a minima, mais pas tout à fait à la mesure de l'attente de sa famille qui souhaite que son nom brille beaucoup plus dans le pays, pour mieux immortaliser son grand sacrifice pour que vive libre sa patrie algérienne ! N. K.