Par Arezki Metref [email protected] Lundi 11 : Bonheur des uns� Sid�rant. A�roport d�Orly, cap sur Alger. De m�moire de transhumant, �a ne s�est jamais vu. In�dit pour pareille p�riode. Devant le comptoir d�embarquement, la cha�ne est, comme dit l�autre, �civilis�e�. C�est tout juste si on n�en est pas aux salamalecs. Pas de cohue, les bousculeurs se sont convertis au savoir-vivre. C�est tout ce qu�on aime, ce petit quelque chose d�impalpable qui, miracle, fait qu�au lieu que ce soit une corv�e, un voyage devient un plaisir. Tout baigne ! Le must demeure l�arriv�e � Alger. Fluidit� aux contr�les. S�r�nit� soufie devant le tapis roulant sur lequel cahotent les bagages. On se frotte les yeux, pourquoi bouder son plaisir ! Moi qui �tais parti avec les r�serves d�appr�hension plus charg�es que les r�serves de change, me voil� verni ! Un voyage de r�ve, parole ! La radio de la voiture met fin au suspense. Gr�ve � Air Alg�rie, alias Air Couscous ! C�est affectueux, of course. Le couscous n�est pas seulement le plat national qu�on s�honore d�avoir export� au point o� � New York un restau le sert avec du caviar, c�est aussi un patrimoine national. Mais, au-del� de tout, le couscous est le fondement inali�nable du seul consensus national qui vaille. Except� quelques irr�ductibles �l�ments subversifs, qui oserait affirmer d�tester le couscous ? Gr�ve des personnels commerciaux d�Air Alg�rie. C�est donc �a qui a fichu toute cette pagaille dans les a�roports ! Des milliers de voyageurs dans quelques a�roports d�Alg�rie et d�ailleurs ont p�ti de ce que les avions restent clou�s au sol. P�ti ? Euph�misme ! On signale m�me des mouvements d�humeur � l�encontre de repr�sentants de la compagnie. Les passagers ont v�cu un calvaire innommable. Mais les dizaines d�avions qui n�ont pas d�coll� ont �t� une vraie b�n�diction pour ceux qui sont partis. Comme quoi, le bonheur des uns peut, comme le dit l�adage, �tre la cons�quence directe et brute de d�coffrage du malheur des autres� Mardi 12 : Petit pr�cis de la chaleur ! Dieu, qu�il fait chaud ! Les feux de l�enfer br�lent tous en m�me temps sur la surface de la peau. L�appareil nerveux est soumis � rude �preuve. La chaleur est si intense qu�elle forme comme un voile de poussi�re devant les yeux. On ne sait plus que faire de sa personne. S�asseoir, marcher, travailler, paresser, tout cela n�a de sens que si la temp�rature est supportable. Il y a comme un d�r�glement de l�univers� Mais t�es pas l� pour faire de la philo � quat �sous avec la canicule ! J��coute les commentaires autour de moi. C�est instructif. S�il est une chose que la chaleur ne grippe pas, c�est la parole. En grimpant aux sommets, le mercure ne tarit pas la source. Bien au contraire, �a stimule. Ne pouvant aventurer aucun geste, on compense par le mouvement complexe de la langue qui, en bougeant, ramasse dans le palais l�air qui se transforme en sons, lesquels sons forment � leur tour des mots qui, articul�s, produisent des phrases qui� Bref, la canicule n�emp�che pas qu�on cause. Au contraire, elle favorise la discutaille. Et plus on parle, davantage il y a d�occurrences pour qu�on produise de l�humour. C�est le cas. Petit floril�ge des �normit�s glan�es sur la canicule et exon�r�es de commentaires. Anonyme : Cette canicule n�est qu�un cran plus haut dans l�enfer ordinaire que nous vivons. Autre anonyme : Quelque chose a d� susciter la col�re divine. Il nous fait r�tir� Troisi�me anonyme : C�est un entra�nement intensif pr�paratoire aux forges de Satan. Quatri�me anonyme : C�est un coup des mecs de la m�t�o. Ils sont m�contents de leurs salaires et comme ils n�ont pas d�autres moyens de se plaindre, ils nous ont envoy� cette lave de volcan. C�est une fa�on de faire gr�ve et on la sent pardi. (Comme certaines s�quences t�l�, il faut pr�ciser que celle-ci est truqu�e. Pour �tre plus clair et lever d�entr�e toute �quivoque, ce ne sont pas les mecs de la m�t�o qui ont envoy� la canicule. Compris ?) Je vous dispense d�autres commentaires, r�els ou imaginaires. Mais encore un ou deux quand m�me� Soixanti�me anonyme : Un bon point, il n�y a pas eu de coupures d�eau. Soixante et uni�me anonyme : Mauvais point, le d�lestage. Ce n�est pas forc�ment ceux qui forcent sur la dose de clim qui subissent les coupures� On ne sera pas menti par ces gus qui, d�sorient�s, dans le noir, ont cass� les locaux de Sonelgaz. Mercredi 13 juillet : Raconte�Arts On ne voyage pas que dans le temps. Heureusement. Taourirt Mokrane surgit apr�s une succession de lacets. C�est le plus grand village de Kabylie. Le plus peupl�, du moins ! Et c�est lui qui h�berge cette ann�e la huiti�me �dition de Raconte�Arts, festival itin�rant qui tient sans moyens et sans soutien, gr�ce � la passion pers�v�rante de quelques mordus de culture, convaincus que le progr�s r�side l�. Partout o� c�est pass�, Raconte�Arts a fait bouger les lignes. Une salle, en haut du village. P�nombre. D�s l�entr�e, on aper�oit la silhouette de Denis Martinez. Un fid�le habitu� de Raconte�Arts ? Plus que �a ! Un des trois fondateurs de la manifestation, avec l�infatigable Hac�ne Metref et feu Salah Silem - � qui cette �dition est d�di�e. Br�ves s�quences. La vid�aste et po�tesse Cristina Alvarez, les cheveux ramass�s dans un foulard berb�re, dit des vers en espagnol accompagnant des images qu�elle a r�alis�es. Il est question d�enfance au bord de la mer, du berceau dans un milieu populaire puis de la violence de l�arrachement et de l�exil dans le nord de l�Europe. Et aussi de la nostalgie � pugnace, combative � que l�exil entra�ne. Nostalgie aussi dans le spectacle donn� par la com�dienne et chanteuse A�ni Iften � partir des po�mes, beaux, poignants, de Keltoum Staali. Sous les percussions d�Alain Bressand-Pichetto, les mots de Keltoum Staali et la voix d�A�ni Iften font vibrer. Ce semble �tre l�avis du public, si on en juge par l�accueil donn� au spectacle. Accueil triomphal aussi fait � Mohsa, le chanteur qui r�habilite la chanson � texte kabyle. Une voix sublime, une m�lodie itou, que demander de plus ! Quelque chose passe, une sorte de communion, en d�pit de l�approximation de la sono. Jeudi 14 : Bijou Inauguration de la f�te du bijou � At Yani. Le coll�ge Larbi- Mezani o� se d�roulent les festivit�s est sur son trente-et-un. Que dire d�un coup de ciseau qui tranche un ruban ? Eh bien, il faut donner l��cho qu�il m�rite aux revendications des bijoutiers d�At Yani qui se plaignent de ce que leur profession soit en p�ril � cause du prix prohibitif de l�argent et de l�indiff�rence de l�Etat devant ce p�ril. Il semble qu�� chaque f�te du bijou, on surench�risse en promesses, et chaque fois, �a s�av�re parole. Et ainsi de suite. Que dire� Vendredi 15 : Pilote ! Au fin fond de la cambrousse d�o� je contemple le Djurdjura, la radio m�explique la gr�ve d�Air Alg�rie. Je ne pige rien � rien. Y�a des gens comme �a ! Ce que je crois comprendre, c�est que pour prendre en otage en haute saison un si grand nombre de voyageurs, il faut que l�enjeu soit �norme. Quelqu�un m�explique que ce qui rend inextricable le probl�me, c�est que le steward veut avoir le m�me statut que le pilote. C�est un peu exag�r� ? Certes dans la formulation grossi�re de la chose. Dans le fond ? �Toujours pas pig� !