L�autre jour, un des mes amis, ambulancier, me racontait qu�exc�d� dans un mariage o� un convive voulait co�te que co�te savoir ce qu�il faisait dans la vie, lui a l�ch� : �Je travaille � la morgue !� Il n�avait pas trouv� mieux, lui semblait-il, pour que l�autre n�ait aucun service � lui demander. Patatras ! Fut� comme un crayon, l�autre lui demande quand m�me s�il ne pourrait pas l�aider � d�gotter un vieux syst�me de r�frig�ration pour qu�il l�adapte � la chambre froide de la boucherie qu�un neveu collat�ral du c�t� de la m�re comptait ouvrir � Ariwa-les-deux- Dromadaires. A la r�flexion, mon pote s�est ravis� : il aurait d� r�torquer qu�il �tait fossoyeur ou gardien de cimeti�re. A la r�flexion itou, l�autre aurait peut-�tre demand� si, dans ce cas, il lui �tait possible de lui r�troc�der un peu du marbre d�une pierre tombale pour en faire un plan de travail pour sa cuisine ou s�il �tait dans ses comp�tences, du moment qu�il travaille dans la proximit� imm�diate des autorit�s de l�Au-del�, de faire revenir un d�funt le temps de vider une querelle de succession. Le surr�alisme de la demande aurait au moins eu l�avantage de sauter aux yeux. Qui n�a pas �t� confront�, aussit�t d�clin�es sa qualit� et sa sph�re d�activit�, � une sollicitation de �piston� qui, souvent, est improvis�e confirmant que l�occasion fait le larron ? Qui ne s�est pas surpris lui-m�me � formuler des demandes de choses dont il n�avait absolument aucun besoin trois secondes avant de supposer que l�interlocuteur peut les satisfaire ? T�es menuisier, c�est bien ce que j�entends ? J�ai besoin justement d�une armoire � glace. T�es m�decin ? �a tombe bien, il me faut absolument une bonne sant� totale, tout le kit quoi ! T�es chakhssia dans l�arm�e ? La liste est longue : j�ai besoin de faire r�former du Service national mes deux fils et trente-trois neveux divers et vari�s, d�une licence d�importation de verres � pied pour mon voisin opticien, d�une autorisation pour ouvrir une ligne de transports en commun, d�une demi-douzaine de licences de taxi, d�une bourse � l��tranger pour mon rejeton inadapt� au climat local et, pour emballer tout �a, de la cl�mence du tribunal qui juge les d�lits de presse. T�es gardien de la paix ? On a retir� � mon fils son permis de conduire et au sien son permis de chasse, tu ne peux pas... Ah tu es planton � l�APC ? Un logement ?� un petit terrain,� une charrette � bras ?� Une �soci�t� de services � ? �a s�appelle comme �a, qu�on dit ! Euph�misme pour d�signer une �g�opolitique de l�appropriation� de la chose publique o� chaque parcelle de pouvoir, aussi infime soit-elle, procure quelque chose � monnayer. Dans une boulimie consum�riste sans pr�c�dent qui favorise que tout se vende et tout s�ach�te, � commencer par l�influence, rien ne se perd. Le donnant-donnant devient un lien social et gare � qui n�a rien � offrir en contrepartie. Un gardien de parking autoproclam� peut, au bas mot, te vendre le confort de l��pi l�-bas et, en prime, la s�curit� pour ton v�hicule. Dans un syst�me pareil, qui peut se vanter de rester, contre vents et mar�es, droit comme un i, sans jamais, au grand jamais, avoir recours au coup de pouce de quelqu�un, � �l�aide� d�un tiers, � la �facilitation � d�Untel ? Qui, voulant obtenir une r�servation dans un avion, n�a pas appel� une h�tesse de l�air de sa tribu ou un agent de celle d�Air Alg�rie pour griller la cha�ne ? Qui n�a pas r�veill� au milieu de la nuit le cousin pr�pos� � l��tat civil pour trouver, � l�aube, un extrait de naissance pli� impec devant le caf�-cr�mekhfaf ? Devenu �normal�, institu� en norme, ce syst�me d��changes de services sur le dos de la chose publique a forg� une mentalit� et une �chelle des valeurs banalisant le passe-droit, le �piston� ouvertement pratiqu�, le favoritisme et, comme il se doit, la corruption dans sa ressemblance physionomique � la graine de couscous : fine, moyenne et grosse. L�inversion de l��chelle de valeurs a fait jeter la suspicion d�incomp�tence sociale et parfois d�incomp�tence tout court sur quiconque continue � prendre l�administration pour un bien public r�gi par des r�gles connues et codifi�es dans les lois. De m�me, l�individu qui n�a pas le bon �carnet d�adresses�, capable, avec son seul portable, de te r�gler n�importe quel probl�me, du remplacement d�une puce � celle d�un dirlo, est hors jeu. Alors que ce syst�me se mettait en place pour creuser les galeries de l��conomie souterraine et de la gouvernance sous-marine au point de faire effondrer l��difice moral, Malek Bennabi se plaignait, dans une chronique consacr�e � l��thique publi�e apr�s l�ind�pendance dans R�volution africaine, de ce que la morale se soit affaiss�e au point o� un voleur est per�u comme un d�brouillard alors et un honn�te homme comme un niais. Cet �lu municipal qui n�a pas de logement alors qu�il en attribue aux autres, n�est-il pas vu comme un jayah ? M�me si, dans l�affaire, les d�formations morales ont fait prosp�rer les fausses promesses de propret� des islamistes qui ont prouv�, dans la gestion des mairies dans les ann�es 1990, qu�ils �taient pareillement dans le syst�me, elles ne font que refl�ter le morcellement de l�Etat en autant de satrapies dont les r�gles internes priment sur tout. Et si la petite corruption et la capacit� des �petits� � se rendre service dans un �change quotidien sont visibles, elles ne sont possibles que dans un syst�me o� les grandes magouilles et l��change de grandes politesses restent, eux, un secret d�Arlequin en m�me temps une pratique tellement courante ! Que plusieurs g�n�rations d�Alg�riens grandissent dans ce syst�me o� on se voit encourag� � �tre �kafaz� dans le sens �normal� du terme fait miroiter plein de belles pages encore au carnet d�adresses !