Par Ma�mar FARAH [email protected] Il faut vraiment fouiller dans les m�andres de la m�moire pour d�nicher une soir�e aussi froide que cette nuit qui ne veut pas se terminer, tra�nant en longueur dans cette chambre glaciale o� l�on n�ose m�me pas sortir sa t�te de sous l�immense montagne de couvertures qui est cens�e vous prot�ger du froid sib�rien qui a envahi les lieux. Peine perdue, car ses morsures perfides p�n�trent au plus profond de votre corps, vous emp�chant de vous assoupir. Insupportable insomnie. La nuit s��ternise et l�on a la d�sagr�able impression que le jour ne se l�vera jamais et que l�unique po�le � mazout qui diffuse une maigre chaleur dans l�immense appartement s�arr�tera de fonctionner avant l�aube... Et pourtant, le jour se l�ve in�vitablement. Il �claire un paysage recouvert d�une fourrure aussi blanche que le ciel qui tombe � l�horizon comme un rideau infini. Dans ce village perdu de l�extr�me est du pays, la neige n�est vraiment pas une nouveaut�. Seulement, elle se fait rare depuis quelques ann�es et son apparition provoque de nos jours la joie des grands et des petits. Les vieux fellahs disent que ce sera une bonne ann�e agricole et les enfants s�en donnent � c�ur joie � coups de boules de neige qu�ils lancent sur n�importe quel passant. �� et l�, des bonshommes de neige, d�fiant obstin�ment le vent qui souffle de plus belle, veillent sur les rues et les placettes comme de braves sentinelles. Apr�s une nuit et une matin�e agit�es, le vent semble se calmer et l�on peut mieux contempler le panorama qui s��tend � perte de vue jusqu�aux monticules longeant la RN 16, � la sortie sud de la bourgade. De l�autre c�t�, en regardant vers les sommets de Boussessou qui dominent les ruines romaines de Madaure, on ne voit qu�une immense nappe blanch�tre s��tendant � perte de vue. Sur les hauteurs nord-ouest, la symphonie des vents ne s�est pas arr�t�e ; elle se fait m�me plus cadenc�e, port�e par des notes nouvelles qui se jouent sur les chemin�es et les toitures, sur les cimes des arbres et les fils des poteaux �lectriques. S�engouffrant dans ce long corridor qui part de Tiffech jusqu�aux montagnes rocheuses de Oued Keb�rit, le vent est particuli�rement violent et lorsqu�il rencontre la neige sur son chemin, il se fait un malin plaisir � en affoler les flocons qui vous cinglent le visage et s�accrochent � vos v�tements. En avan�ant p�niblement sur cette route de tous les extr�mes pour aller rendre visite � un parent malade, je sens que je lutte contre une puissance titanesque qui m�emp�che d�avancer et me pousse en arri�re. Malgr� tout, j�arrive � bon port et la chaleur r�confortante d�un autre po�le � mazout me fait oublier les vicissitudes du chemin. Apr�s avoir aval� une infusion bien bouillante et �chang� les salamalecs d�usage, mes h�tes abordent des sujets ayant un rapport avec le temps ex�crable qui r�gne sur les lieux. C�est ainsi que l�on parlera des cons�quences sur la campagne agricole (ici, c�est le royaume des c�r�ales), de l��tat des routes coup�es, des pannes r�p�t�es du courant �lectrique. Des difficult�s pour se nourrir, se v�tir, se loger, se d�placer... Une nuit pass�e dans une maison � chauff�e pourtant � m�a renseign� sur les immenses souffrances de ces Alg�riens qui n�en peuvent plus et qui n�attendent plus rien de la vie. Ce matin, on m�apprend qu�une femme a �t� sauv�e in extremis d�une mort certaine gr�ce � l�intervention de la gendarmerie, qui a pu l�acheminer du village mitoyen � Dr�a vers l�h�pital de M�daourouch. La route �tant coup�e par la neige, aucun v�hicule, y compris l�ambulance, n��tait en mesure de transporter la malade. On a bien vu un chasseneige faire son boulot en pleine nuit, mais apr�s son passage, la neige s�est remise � tomber d�une mani�re soutenue et ce matin, une couche de plusieurs dizaines de centim�tres couvre maisons, arbres et champs. Dans de telles conditions climatiques, l�utilisation des moyens de transport a�rien pour sauver des malades ou des personnes en difficult� s�av�re d�une n�cessit� absolue. Un h�licopt�re pour toute la r�gion s��tendant de Annaba � T�bessa ne serait pas de trop. Cet h�licopt�re que l�on aurait trouv� facilement si le malade avait �t� une personnalit� ou un g�n�ral ! Du coup, �a ne me donne plus envie de r�veillonner. A quoi bon f�ter une ann�e nouvelle qui porte dans ses germes les m�mes douleurs, la m�me morosit� ? A quoi bon exhiber sa joie lorsqu�on a la profonde certitude que l�ann�e qui s�annonce n�apportera pas cette chaleur tant attendue, ni ce travail tant recherch�, ni la fin de l�exclusion et de la marginalisation. De ce coin perdu qui est aussi mon village natal, je vois la vie telle qu�elle est, sans les couleurs et les lumi�res �ph�m�res de ces lampions festifs qui brillent de mille feux avant de s'�teindre, comme les discours des hommes politiques ; je la vois sans les assurances enchant�es des plumes optimistes et sans les serments de ceux qui courent derri�re le bulletin de vote. Je vois la vie moins rose, car les lumi�res des r�jouissances qui se pr�parent partout n�ont pas atteint les cimes de Tiffech, ni effleur� les p�riph�ries de ce monde oubli� o� je viens fr�quemment puiser cette authenticit�, cette sagesse et cette r�serve qui permettent, en tout lieu et en tout temps, de relativiser les avatars de la vie et de voir avec un regard toujours d�sabus� la st�rile agitation des hommes politiques. Ni optimisme, ni pessimisme. Mais simplement le scepticisme qui na�t de tant d�espoirs d��us, simplement le doute install� par tant de d�sillusions. Ici, sous la neige bienvenue qui annonce des r�coltes prometteuses, je r�apprends � vivre dans le temps et l�espace de la v�rit�, loin des fi�vres passag�res des cirques �lectoraux qui ont ce rare don de transformer les m�chants loups et les odieuses sorci�res en anges bienveillants. Le bien, le bonheur collectif, le don de soi, le sens du sacrifice, l�amour de son prochain et l�int�grit� n�ont pas besoin de campagnes �lectorales pour s�exprimer. Ils sont ou ils ne sont pas ! Dans la nuit froide et crayeuse, j�avance difficilement, les pieds aval�s par la neige qui continue de tomber dans un silence glacial. Tout est magique et irr�el. La nature a ce don particulier de nous faire oublier les inconstances des hommes. Juste pour quelques moments, car le jour se l�vera immanquablement sur les m�mes ignominies et les m�mes iniquit�s. Cela ne nous emp�chera pas de vous souhaiter une bonne ann�e en esp�rant qu�elle vous apportera sant�, bonheur et prosp�rit�. Un v�u ? Que chacun de nous pense � son prochain. C�est peut-�tre un parent, un voisin, un passant qui attend un petit geste de votre part. Tendez votre main pour apporter chaleur et r�confort et ne faites pas semblant d�ignorer les sanglots, les cris et les g�missements de celles et de ceux qui ont tant besoin de vous. Si nous r�ussissons ce minimum, loin des cercles officiels et officieux, en r�pondant simplement � l�appel de notre conscience, nous aurons donn� � l'ann�e qui arrive les couleurs de l�amour et de la solidarit� qui sont celles du v�ritable arc-en-ciel. Celui qui na�t dans les c�urs et ne meurt jamais. M�daourouch, le 24 d�cembre 2003